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pays, comme font ceux qui cinglent en haute mer sous un vent propice.

Alors tous les evenemens et varietez d'accidens qui surviennent sont receus doucement et suavement; car qui est entre les mains de Dieu, et qui repose dans son sein, qui s'est abandonné à son amour, et qui s'est remis à son bon plaisir, qu'est-ce qui le peut esbranler et mouvoir? Certes, en toutes occurrences, sans s'amuser à philosopher sur les causes, raisons et motifs des evenemens, il prononce de cœur ce sainct acquiescement du Sauveur : Ouy, mon Pere, car ainsi il a esté agreé devant vous. Alors nous serons toutes destrempées en douceur et suavité envers nos Sœurs et les autres prochains; car nous verrons ces ames-là dans la poictrine du Sauveur. Helas! qui regarde le prochain hors de là, il court fortune de ne l'aymer ny purement, ny constamment, ny esgalement : mais là qui ne l'aymeroit, qui ne le supporteroit, qui ne souffriroit ses imperfections, qui le trouveroit de mauvaise grace, qui le trouveroit ennuyeux? Or il est, ce prochain, mes tres-cheres filles, dans la poictrine du Sauveur; il est là comme tres-aymé, et tant aymable que l'amant meurt d'amour pour luy.

Alors encore l'amour naturel du sang, des convenances, des bien-seances, des correspondances, des sympathies, des graces, sera purifié et reduit à la parfaite obeyssance de l'amour tout pur du bon plaisir divin; et certes le grand bien et le grand bonheur des ames qui aspirent à la perfection, seroit de n'avoir nul desir d'estre aymées des creatures, sinon de cet amour de charité qui nous fait affectionner le prochain, et chacun en son rang, selon le desir de nostre Seigneur.

Avant que finir, il faut dire un mot de la prudence du serpent; car j'ay bien pensé que si je parlois de la simplicité de la colombe, l'on me jetteroit viste le serpent dessus. Plusieurs ont demandé quel estoit le serpent duquel nostre Sei

gneur vouloit que nous apprissions la prudence. Laissant toutes autres responses qui se peuvent faire à ceste demande, nous prenons maintenant les paroles de nostre Seigneur : Soyez prudens comme le serpent, lequel, lors qu'il est attaqué, expose tout son corps pour conserver sa teste : de mesme devons-nous faire, exposant tout au peril quand il est requis, pour conserver en nous sain et entier nostre Seigneur et son amour : car il est nostre chef, et nous sommes ses membres, et cela est la prudence que nous devons avoir en nostre simplicité. Encore vous diray-je qu'il se faut souvenir qu'il y a deux sortes de prudence, à sçavoir la naturelle et la surnaturelle. Quant à la naturelle, il la faut bien mortifier comme n'estant pas du tout bonne, nous suggerant plusieurs considerations et prevoyances non necessaires, qui tiennent nos esprits bien esloignez de la simplicité.

La vraye vertu de prudence doit estre veritablement pratiquée, d'autant qu'elle est comme un sel spirituel qui donne goust et saveur à toutes les autres vertus; mais elle doit estre tellement pratiquée des filles de la Visitation, que la vertu d'une simple confiance surpasse tout; car elles doivent avoir une confiance toute simple qui les fasse demeurer en repos entre les bras de leur Pere celeste et de leur tres-chere Mere nostre Dame, devant estre asseurées qu'ils les protegeront tousjours de leur soin tres-aymable, puis qu'elles sont assemblées pour la gloire de Dieu et l'honneur de la tres Sainte Vierge. Dieu soit beny!

ENTRETIEN XIII.

Des Regles et de l'esprit de la Visitation.

C'est une chose tres-difficile que celle que vous me demandez, quel est l'esprit de vos Regles, et comme vous le pourrez prendre? Or premier que de parler de cet esprit, il

faut que vous sçachiez que veut dire cela, avoir l'esprit d'une Regle; car nous entendons ordinairement dire, un tel Religieux a le vray esprit de sa Regle. Nous tirerons du sainct Evangile deux exemples qui sont tres-propres pour vous faire comprendre cecy. Il est dit que S. Jean-Baptiste estoit venu en l'esprit et vertu d'Helie, et pour cela qu'il reprenoit hardiment et rigoureusement les pecheurs, les appelant engeance de viperes, et telles autres paroles. Mais quelle estoit ceste vertu d'Helie? c'estoit la force qui procedoit de son esprit pour aneantir et punir les pecheurs, faisant tomber le feu du Ciel pour perdre et confondre ceux qui vouloient resister à la majesté de son maistre : c'estoit donc un esprit de rigueur qu'avoit Helie. L'autre exemple que nous trouvons en l'Evangile, qui sert à nostre propos, est que nostre Seigneur voulant aller en Hierusalem, ses disciples l'en dissuadoient, parce que les uns avoient affection d'aller en Capharnaum, les autres en Bethanie, et ainsi taschoient de conduire nostre Seigneur au lieu où ils vouloient aller; car ce n'est pas d'aujourd'huy que les inferieurs veulent conduire leurs Maistres selon leur volonté. Mais nostre Seigneur, qui estoit tres-facile à condescendre, raffermit toutesfois son visage (car l'Evangeliste use de ces mesmes mots) pour aller en Hierusalem, afin que les Apostres ne le pressassent plus de n'y pas aller. Allant donc en Hierusalem, il voulut passer par une ville de Samarie, mais les Samaritains ne le voulurent pas permettre; dequoy S. Jacques et S. Jean entrerent en colere, et furent tellement indignez contre les Samaritains de l'inhospitalité qu'ils faisoient à leur maistre, qu'ils luy dirent: Maistre, voulez-vous que nous fassions tomber le feu du Ciel pour les abysmer, et les chastier de l'outrage qu'ils vous font? et nostre Seigneur leur respondit : Vous ne sçavez de quel esprit vous estes; voulant dire : ne sçavezvous pas que nous ne sommes plus au temps d'Helie, qui avoit un esprit de rigueur? et bien qu'Helie fust un tres-grand

serviteur de Dieu, et qu'il fist bien en faisant ce que vous voulez faire, neantmoins vous autres ne feriez pas bien en l'imitant, d'autant que je ne suis pas venu pour punir et confondre les pecheurs, ains pour les attirer doucement à penitence et à ma suite. Or voyons maintenant quel est l'esprit particulier d'une regle. Pour le mieux entendre, il faut donner des exemples qui soient hors de nous; et apres nous reviendrons à nous-mesmes. Toutes les Religions et toutes les assemblées de devotion ont un esprit qui leur est general, et chacune en a un qui lui est particulier. Le general est la pretention qu'elles ont toutes d'aspirer à la perfection de la charité; mais l'esprit particulier, c'est le moyen de parvenir à ceste perfection de la charité, c'est à dire, à l'union de nostre ame avec Dieu, et avec le prochain pour l'amour de Dieu; ce qui se fait avec Dieu par l'union de nostre volonté à la sienne, et avec le prochain par la douceur, qui est une vertu dependante immediatement de la charité. Venons à cet esprit particulier : il est certes tres-different en divers Ordres. Les uns s'unissent à Dieu et au prochain par la contemplation, et pour cela ont une tres-grande solitude et ne conversent que le moins qu'ils peuvent parmy le monde, non pas mesme les uns avec les autres, si ce n'est en certain temps; ils s'unissent aussi avec le prochain par le moyen de l'oraison, en priant Dieu pour luy. Au contraire l'esprit particulier des autres est voirement de s'unir à Dieu et au prochain; mais c'est par le moyen de l'action, quoy que spirituelle. Ils s'unissent à Dieu, mais c'est en luy reünissant le prochain, par l'estude, predications, confessions, conferences, et autres actions de pieté; et pour mieux faire ceste action avec le prochain, ils conversent avec le monde. Ils s'unissent bien encore à Dieu par l'oraison; mais neantmoins leur fin principale est celle que nous venons de dire, de tascher de convertir les ames et les unir à Dieu. Les autres ont un esprit severe et rigoureux, avec un parfait mespris

du monde et de toutes ses vanitez et sensualitez, voulant par leur exemple induire les hommes à re mespris des choses de la terre, et à cela sert l'aspreté de leurs habits et exercices. D'autres ont un autre esprit, et c'est une chose fort necessaire de sçavoir quel est l'esprit particulier de chaque Religion, et assemblée pieuse. Ce que pour bien cognoistre, il faut considerer la fin pour laquelle elle a esté commencée, et les divers moyens de parvenir à ceste fin. Il y a la generale en toutes les Religions, comme nous avons dit : mais c'est de la particuliere de laquelle je parle, et à laquelle il faut avoir un si grand amour, qu'il n'y ait chose aucune que nous puissions cognoistre, qui soit conforme à ceste fin, que nous ne l'embrassions de tout nostre cœur. Avoir l'amour de la fin de nostre Institut, sçavez-vous que c'est? C'est estre exactes à l'observance des moyens de parvenir à ceste fin, qui sont nos Regles et Constitutions, et estre fort diligentes à faire tout ce qui en depend et qui sert à les observer plus parfaitement: cela, c'est avoir l'esprit de nostre Religion. Mais il faut que ceste exacte et ponctuelle observance soit entreprise en simplicité de cœur, je veux dire qu'il ne nous faut pas vouloir aller au delà, par des pretentions de faire plus qu'il ne nous est marqué dans nos Regles; car ce n'est pas par la multiplicité des choses que nous faisons que nous acquerons la perfection; mais c'est par la perfection et pureté d'intention avec laquelle nous les faisons. Il faut donc regarder quelle est la fin de votre Institut et l'intention de vostre Instituteur, et vous arrester aux moyens qui vous sont marquez pour y parvenir. Quant à la fin de vostre Institut, il ne la faut pas chercher en l'intention des trois premieres Sœurs qui commencerent, non plus que celle des Jesuites au premier dessein qu'eut S. Ignace, car il ne pensoit à rien moins qu'à faire ce qu'il a fait par apres; comme de mesme S. François, S. Dominique, et les autres qui ont commencé les Religions. Mais Dieu, à qui seul appartient de faire ces assemblées de

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