Obrazy na stronie
PDF
ePub

traire il creut qu'il avoit tort et qu'il s'estoit laissé tromper à son propre jugement, et montant en chaire, il leut tout haut ce que le Pape luy avoit escrit, print son livre, le dechira en pieces, puis il dit tout haut, que ce que le Pape avait jugé sur ce fait avoit esté fort bien jugé; qu'il approuvoit de tout son cœur la censure et correction paternelle qu'il avoit daigné luy faire, comme estant tres-juste et tres-douce à luy qui meritoit d'estre rigoureusement chastié, et qu'il s'estonnoit grandement comme il avoit esté si aveugle, que de s'estre laissé tromper à son propre jugement en chose si manifestement mauvaise. Il n'estoit nullement obligé de faire cecy, parce que le Pape ne le commandoit pas; ains seulement qu'il eust à rayer de dessus son livre certaine chose qui n'avoit pas semblé bonne, car (ce qui est bien remarquable) elle n'estoit pas heretique, ny si manifestement erronée qu'elle ne peust estre defendue. Il tesmoigna une grande vertu en ceste occasion, et une mortification du propre jugement admirable. L'on void encore assez souvent des sens mortifiez, parce que la propre volonté se mesle de les mortifier, et ce seroit une chose honteuse de se monstrer retifs à l'obeyssance : que diroit-on de nous? mais de propre jugement, fort rarement on en trouve de bien mortifiez. Faire advoüer que ce qui est commandé est bon, l'aimer comme une chose qui nous est bonne et utile au dessus de toute autre, ô! c'est à cela que le jugement se trouve retif; car il y en a plusieurs qui disent : je feray bien cela ainsi que vous le dites; mais je voy bien qu'il seroit mieux autrement. Helas! que faites-vous? si vous nourrissez ainsi le jugement, sans doute il vous enyvrera; car il n'y a point de difference entre une personne enyvrée et celuy qui est plein de son propre jugement. Un jour David estant en la campagne avec ses soldats lassez et harassez de faim, ne trouvant plus de quoy manger, il envoya vers le mary d'Abigail pour avoir quelques vivres : par malheur ce pauvre

homme estoit yvre, et commençant à parler en yvrogne, dit que David, apres avoir mangé ses voleries, envoyoit chez luy pour le ruiner comme les autres, et qu'il ne leur donneroit aucune chose. David sçachant cecy: Vive Dieu! dit-il, il me la payera, le mecognoissant qu'il est du bien que je lui ay fait de sauver ses troupeaux et empescher qu'aucune chose ne luy fust faite. Abigail, sçachant le dessein de David, s'en alla le lendemain au devant de luy avec des presens pour l'appaiser, usant de ces termes : Monseigneur, que voudriezvous faire à un fol? Hier que mon mary estoit yvre, il parla mal, mais il parla en yvrogne et comme un fol. Monseigneur, appaisez vostre courroux, et ne veuillez pas mettre vos mains sur luy car vous auriez regret d'avoir mis la main sur un fol. Il faut faire les mesmes excuses d'une personne yvre et de nostre propre jugement; car l'un n'est guere plus capable de raison que l'autre. Il faut donc avoir un tres-grand soin de l'empescher de faire ces considerations, afin qu'il ne nous enyvre de ses raisons, principalement en ce qui concerne l'obeyssance. Vous voulez en fin sçavoir si vous devez avoir une grande confiance et un grand soin à vous advertir les unes les autres, en charité, de vos fautes. C'est sans doute, ma fille, qu'il le faut faire; car à quel propos verrez-vous une tasche en vostre Sœur, sans vous essayer de la luy oster par le moyen d'un advertissement? Il faut neantmoins estre discrette en ceste besongne; car il ne seroit pas temps d'advertir une Sœur tandis que vous la verrez indisposée ou pressée de melancholie; car il seroit dangereux qu'elle ne rejettast d'abord l'advertissement si vous le luy fassiez. Il faut un peu attendre, puis l'advertir en confiance et charité. Si une Sœur vous dit des paroles qui ressentent le murmure, et que d'ailleurs ceste Sœur ait le cœur en douceur, sans doute il faut que tout confidemment vous luy disiez Ma Sœur, cela n'est pas bien fait; mais si vous vous appercevez qu'il y ait quelque passion esmeue dans son cœur,

alors il faut destourner le propos le plus dextrement que l'on peut. Vous dites que vous craignez d'advertir si souvent une Sœur des fautes qu'elle fait, parce que cela luy oste l'assurance, et la fait plustost faillir à force de craindre. O Dieu ! il ne faut pas faire ce jugement des Sœurs de ceans; car cela n'appartient qu'aux filles du monde de perdre l'asseurance quand on les advertit de leurs defauts. Nos Sœurs ayment trop leur propre abjection pour faire ainsi : tant s'en faut qu'elles s'en troublent, qu'au contraire elles prendront un plus grand courage et plus de soin de s'amender, non pas pour eviter d'estre adverties (car je suppose qu'elles ayment souverainement tout ce qui les peut rendre viles et abjectes à leurs yeux), ains afin de faire tousjours mieux leur devoir, et se rendre capables de leur vocation.

ENTRETIEN XII.

De la Simplicité et Prudence religieuse.

La vertu de laquelle nous avons à traicter est si necessaire, que bien que j'en aye souventesfois parlé, vous avez neantmoins desiré que j'en fisse un entretien tout entier. Or il faut en premier lieu sçavoir que nous appellons communement une chose simple, quand elle n'est point brodée, doublée ou bigarrée; par exemple nous disons, voila une personne qui est habillée bien simplement, parce qu'elle ne porte point de façon ou de doublure en son habit, je dis de doublure façonnée ou qui se voye; ains sa robbe et son habit n'est que d'une estoffe, et cela est une robbe simple. La simplicité donc n'est autre chose qu'un acte de charité pur et simple, qui n'a qu'une seule fin, qui est d'acquerir l'amour de Dieu. Et nostre ame est simple, lors que nous n'avons point d'autre pretention en tout ce que nous faisons. L'histoire tant commune des hostesses de nostre Seigneur, Marthe et Magdeleine,

}

est grandement remarquable pour ce sujet : car ne voyezvous pas que Marthe, bien que sa fin fust louable de vouloir bien traicter nostre Seigneur, ne laissa pas d'estre reprise par ce divin Maistre, d'autant qu'outre la fin tres-bonne qu'elle avoit en son empressement, elle regardoit encore nostre Seigneur en tant qu'homme, et pour cela elle croyoit qu'il fust comme les autres, ausquels un seul mets ou une sorte d'apprest ne suffit pas, et c'estoit cela qui faisoit qu'elle s'esmouvoit grandement afin d'apprester plusieurs mets; et ainsi elle doubloit ceste premiere fin de l'amour de Dieu en son exercice de plusieurs autres petites pretentions, desquelles elle fut reprise de nostre Seigneur : Marthe, Marthe, tu te troubles de plusieurs choses, bien qu'une seule soit necessaire, qui est celle que Magdeleine a choisie, et qui ne luy sera point ostée. Cet acte donc de charité simple, qui fait que nous ne regardons et n'avons autre visée en toutes nos actions que le seul desir de plaire à Dieu, est la part de Marie, qui est seule necessaire, et c'est la simplicité; vertu laquelle est inseparable de la charité, d'autant qu'elle regarde droit à Dieu, sans que jamais elle puisse souffrir aucun meslange de propre interest, autrement ce ne seroit plus simplicité, car elle ne peut souffrir aucune doublure des creatures, ny aucune consideration d'icelles: Dieu seul y trouve place. Ceste vertu est purement Chrestienne. Les Payens, voire ceux qui ont le mieux parlé des autres vertus, n'en ont eu aucune cognoissance, non plus que de l'humilité. Car de la magnificence, de la liberalité, de la constance, ils en ont fort bien escrit; mais de la simplicité et de l'humilité, rien du tout. Nostre Seigneur mesme est descendu du Ciel pour donner cognoissance aux hommes tant de l'une que de l'autre vertu; autrement ils eussent tousjours ignoré ceste doctrine si necessaire. Soyez prudens comme le serpent, ditil à ses Apostres; mais passez plus outre, et soyez simples comme la colombe; apprenez de la colombe à aymer Dieu en

simplicité de cœur, n'ayant qu'une seule pretention et une seule fin en tout ce que vous ferez; mais n'imitez pas seulement la simplicité de l'amour des colombes, en ce qu'elles n'ont tousjours qu'un paron pour lequel elles font tout, et auquel seul elles veulent complaire, mais imitez-les aussi en la simplicité qu'elles pratiquent en l'exercice, et au tesmoignage qu'elles rendent de leur amour; car elles ne font point tant de choses ny tant de mignardises, ains elles font simplement leurs petits gemissemens à l'entour de leurs colombeaux, et se contentent de leur tenir compagnie quand ils sont presens. La simplicité bannit de l'ame le soin et la sollicitude que plusieurs ont inutilement pour rechercher quantité d'exercices et de moyens pour pouvoir aymer Dieu, ainsi qu'ils disent; et leur semble, s'ils ne font tout ce que les Saincts ont fait, qu'ils ne sçauroient estres contens. Pauvres gens! ils se tourmentent pour trouver l'art d'aymer Dieu, et ne sçavent pas qu'il n'en y a point d'autre que de l'aymer; ils pensent qu'il y ait certaine finesse pour acquerir cet amour, lequel neantmoins ne se trouve qu'en la simplicité. Or ce que nous disons qu'il n'y a point d'art, n'est pas pour mespriser certains livres qui sont intitulez l'Art d'aymer Dieu; car ces livres enseignent qu'il n'y a point d'autre art que de se mettre à l'aymer, c'est à dire, se mettre en la pratique des choses qui luy sont agreables, ce qui est le seul moyen de trouver et acquerir cet amour sacré, pourveu que ceste pratique s'entreprenne en simplicité, sans trouble et sans sollicitude. La simplicité embrasse voirement les moyens que l'on prescrit à un chacun selon sa vocation pour acquerir l'amour de Dieu; de sorte qu'elle ne veut point d'autre motif pour acquerir ou estre incitée à la recherche de cet amour, que sa fin mesme, autrement elle ne seroit pas parfaitement simple; car elle ne peut souffrir aucun regard, pour parfait qu'il puisse estre, que le pur amour de Dieu, qui est sa seule pretention. Par exemple, si on va à l'Office, si on va à l'Office, et que l'on de

« PoprzedniaDalej »