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II.

DECLARATION MYSTIQUE

SUR

LE CANTIQUE DES CANTIQUES.

Preface de l'Auteur.

Il y a deux sortes d'unions de l'ame avec Dieu en ce monde : la premiere par grace, et laquelle se fait dans le baptesme, ou par le moyen de la penitence; et la seconde par devotion, et celle-cy se fait par le moyen des exercices spirituels. L'un nous rend innocents, et l'autre spirituels. Salomon pretendant avoir suffisamment enseigné la premiere sorte d'union dans ses autres livres, n'enseigne que la seconde es Cantiques, où il presuppose que l'Espouse qui est l'ame devote, soit desja mariée avec le divin Espoux, et represente les saints et chastes amours de leur mariage, qui se font par l'Orayson mentale, qui n'est autre chose que la consideration de Dieu et des choses divines.

Sous ce nom de consideration sont comprises quatre diverses actions de l'entendement, à sçavoir, la pensée, l'estude, la meditation et la contemplation. Nous pensons es choses sans fin et intention, nous les estudions pour estre plus doctes, nous les meditons pour les aymer, et nous les contemplons pour nous y plaire. Les uns regarderont simplement un portrait pour y voir les couleurs et images, sans autre fin; les autres, pour apprendre l'art et l'imiter; les autres, pour aymer la

personne representée, comme les princes font leurs espouses,' que bien souvent ils ne voyent qu'en image; les autres, parce qu'ils ayment desja la personne representée, se plaisent à regarder son portrait. L'une de ces quatre actions est sans fin; la seconde profite à l'entendement; la troisieme et la quatrieme profitent à la volonté, l'une l'enflammant, l'autre la resjouyssant. Ces deux dernieres sont supermystiques du Cantique: mais entre l'une et l'autre on peut justement colloquer la demande; et respondront toutes trois aux vertus theologales.

La meditation se fonde sur la foy, considerant ce que nous croyons pour l'aymer; la demande, sur l'esperance, demandant ce que nous esperons pour l'obtenir; la contemplation, sur la charité, contemplant ce que nous aymons pour nous y plaire: neanmoins le sujet de ce livre ne comprend pas la demande, ny les deux seules considerations affectives, ny mesme la devotion, laquelle n'est ny meditation, ny contemplation, mais en est l'effet, n'estant autre chose qu'une vertu generale contraire à la paresse spirituelle, qui nous rend prompts au service de Dieu en sorte que là où est la foy, nous sommes faits plus prompts à croire par la devotion; là où est l'esperance, nous sommes rendus plus prompts à desirer ce que Dieu promet, et par la charité, à aymer ce que Dieu commande; par la temperance, à nous abstenir; par la force, à endurer, et ainsi des autres. La devotion, aux promptitudes particulieres que les habitudes donnent, en adjouste une generale et commune, engendrée par la meditation et contemplation, ainsi que le pelerin est plus dispos par la refection.

Salomon a pour fin en ce livre la devotion, mais pour sujet l'orayson mentale, prise pour la meditation et contemplation, non pour la pensée, ny pour l'estude, ny pour la demande, ny pour la devotion, ny mesme pour la consolation et le goust que l'on a en l'orayson, lequel ne s'y trouvant pas tousjours,

est distingué d'icelle; ains arrive souvent que ce goust n'estant pas en l'orayson des bons, se trouve en celle des grands pecheurs mais le pelerin estant sain, apres estre repeu, soit avec goust ou sans goust, retourne tousjours plus promptement à son voyage.

Que si l'orayson mentale est distinguée du goust spirituel, comme la cause de l'effet, elle l'est encore plus de l'allegresse spirituelle qui est engendrée de la multitude des gousts. Le courtisan qui a reçu de son prince diverses faveurs, acquiert une habitude avec laquelle il le sert non seulement promptement, mais gayement. Ainsy nous devons tousjours servir Dieu promptement nous le servons seulement gayement, quand nous recevons plusieurs gousts spirituels qui reviennent de l'orayson mentale. Le pelerin sera plus disposé au voyage, s'il a mangé avec goust et appetit; il sera non seulement disposé, ains joyeux et allegre tout ensemble.

Disons aussi que la possibilité, la facilité, la promptitude et la gayeté, sont choses differentes en une action. Ressusciter un enfant mort n'est pas en la possibilité de la mere; le guerir estant extremement malade, est chose possible, mais non pas facile; mettre le feu à sa playe par ordonnance du medecin est possible et facile, mais non pas avec promptitude, ains avec resistance et frayeur; rafraischir son appareil, se fait facilement, possiblement, promptement, mais non pas allegrement, mais apres qu'il est gueri, le recevoir et accueillir entre ses bras, se fait possiblement, facilement, promptement et gayement.

Ainsi le pecheur n'a pas de soy la possibilité à servir Dieu meritoirement; estant en grace, il a la possibilité avec resistance et sans facilité; apres avoir continué, il le sert facilement; apres qu'il est devot, il le sert promptement; s'il est contemplatif, il le sert allegrement; il le sert allegrement; la grace donnant la possibilité; la charité donnant la facilité l'orayson mentale, la

promptitude et devotion; la multitude des gousts, la gayeté. Au dessus de toutes ces actions sont l'extase et le ravissement car lorsqu'en l'orayson, meditant et contemplant, l'homme s'attache tellement à l'objet, qu'il sort de soy-mesme, perd l'usage des sens, et demeure absorbé et attiré, cette alienation d'entendement de la part de l'objet qui ravit l'ame, s'appelle ravissement, et de la part de la puissance qui demeure adsorbée et engloutie, s'appelle extase, dernier effet de l'orayson mentale ici bas.

Bref, l'orayson mentale est le sujet des Cantiques; mais on a besoin de la cognoissance des choses susdites pour la declaration des termes, mesme lorsqu'ils ne semblent estre que litteraux, bien que ce soit fort rarement, et qu'il soit bien difficile de les y cognoistre; où au contraire les mystiques y sont en abondance et tres-divers, comme, par exemple, devotion, goust, allegresse, ravissement, extase et choses semblables, ne s'y trouvent jamais; mais à chaque pas, sommeil, songé, ényvrement, langueur, defaillance, et choses pareilles. Mesme la nature, ny les proprietés de Dieu ou de l'aine n'y sont point nommées; mais au lieu de tout cela, yeux, cheveux, dents, levres, cols, vestemens, jardins, onguens, et mille choses pareilles, qui ont mis confusion es expositions par la liberté que les expositeurs ont eue de les faire joindre un chacun à son sens, et qui pis est, par la licence insupportable qu'un mesme expositeur a prise d'entendre en une mesme page, une mesme parole en diverses manieres et pour diverses choses.

Mais nous n'avons rien entrepris sans imitation des meileurs auteurs, et sans apparente convenance entre le terme signifiant et le signifié, et ayant donné une fois une signification à un terme, nous ne l'avons depuis jamais changée. Les baisers signifieront toujours les consolations spirituelles; les embrassemens, les unions avec Dicu; les douceurs des

viandes, les gousts spirituels; les langueurs et deffaillances, les gayetés et allegresses; les sommeils et enyvremens, les ravissemens et extases. En l'Espouse, quand il se traitte de vertu exterieure, le col signifiera la force pour executer; quand on traitte de vertu interieure, il signifiera la partie irascible, et jamais ne changera de signification. En l'Espoux, le chef signifiera la charité. Le theatre de Hierusalem sera tousjours l'Eglise militante. L'Espoux sera toujours Dieu increé ou incarné; l'Epouse, l'ame; le chœur des dames, les conversations mondaines.

Enfin l'orayson mentale est le sujet mystique du Cantique. Mais quelles choses en veut dire Salomon, ou plus-tost le saint Esprit? Il nous veut monstrer par combien de degrés une ame estant en l'orayson mentale peut monter à la plus haute consideration de Dieu, et avec quels remedes elle se peut ayder contre beaucoup d'empeschemens, dont on peut faire cette division:

Il y a cinq principaux empeschemens en l'orayson, cinq principaux remedes, et cinq degres d'icelle. Mais la sixieme scene represente une ame, laquelle ayant surmonté tous ces empeschemens, n'a plus besoin de remedes; et à chacune des cinq autres scenes donnant ou mettant un empeschement, un remede et un degré.

En la premiere, la souvenance des playsirs passés sensitifs est l'empeschement; le remede est le desir des choses spirituelles, et de les demander à Dieu. Le premier degré est de considerer Dieu es choses corporelles.

En la seconde, l'empeschement est la distraction de l'imaginative par les phantosmes et visions sensibles; le remede est l'attention aux inspirations; le degré, la consideration de Dieu es choses spirituelles.

En la troisieme, l'empeschement et les louanges humaines; le remede est de gouster les divines; le degré est

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