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n'avez plus la memoire ou l'esprit si bon que vous souliez avoir pour bien parler : hé! qui ne void que vous pretendez que l'on vous die, que vous parlez tousjours extremement bien? Cherchez donc au fond de vostre conscience, si vous y pouvez trouver de l'affection à la vanité. Vous pourrez aussi facilement cognoistre si vous estes attachée à quelque chose, lorsque vous n'aurez pas la commodité de faire ce que vous avez proposé; car si vous n'y avez point d'affection, vous demeurerez autant en repos de ne la pas faire comme si vous l'eussiez faite, et au contraire, si vous vous en troublez, c'est la marque que vous y avez mis vostre affection. Or, nos affections sont si precieuses (puis qu'elles doivent estre tout employées à aymer Dieu), qu'il faut bien prendre garde de ne les pas loger en des choses inutiles; et une faute, pour petite qu'elle puisse estre, faite avec affection, est plus contraire à la perfection que cent autres faites par surprinse et sans affection.

Vous demandez comment il faut aymer les creatures : je vous dis briefvement qu'il y a certains amours qui semblent extremement grands et parfaits aux yeux des creatures, qui devant Dieu se trouveront petits et de nulle valeur, parce que ces amitiez ne sont point fondées en la vraye charité, qui est Dieu; ains seulement en certaines alliances et inclinations naturelles, et sur quelques considerations humainement loüables et agreables. Au contraire, il y en a d'autres qui semblent extremement minces et vuides aux yeux du monde, qui devant Dieu se trouveront pleines et fort excellentes, parce qu'elles se font seulement en Dieu et pour Dieu, sans meslange de nostre propre interest. Or les actes de charité qui se font autour de ceux que nous aymons de ceste sorte sont mille fois plus parfaits, d'autant que tout tend purement à Dieu mais les services et autres assistances que nous faisons à ceux que nous aymons par inclination, sont beaucoup moindres en merite, à cause de la

grande complaisance et satisfaction que nous avons à les faire, et que (pour l'ordinaire) nous les faisons plus par ce mouvement que par l'amour de Dieu. Il y a encore une autre raison qui rend ces premieres amitiez, dont nous avons parlé, moindres que les secondes; c'est qu'elles ne sont pas de durée, parce que la cause en estant fresle, dés qu'il arrive quelque traverse, elles se refroidissent et alterent; ce qui n'arrive pas à celles qui sont fondées en Dieu, parce que la cause en est solide et permanente.

A ce propos sainte Catherine de Sienne fait une belle comparaison. Si vous prenez, dit-elle, un verre et que vous l'emplissiez dans une fontaine, et que vous beuviez dans ce verre sans le sortir de la fontaine, encore que vous beuviez tant que vous voudrez, le verre ne se vuidera point; mais si vous le tirez hors de la fontaine, quand vous aurez beu, le verre sera vuide: ainsi en est-il des amitiez : quand l'on ne les tire point de leur source, elles ne tarissent jamais. Les caresses mesmes et signes d'amitié que nous faisons contre nostre propre inclination aux personnes ausquelles nous avons de l'aversion, sont meilleures et plus agreables à Dieu que celles que nous faisons, attirez de l'affection sensitive: et cela ne se doit point appeller duplicité ou simulation; car si bien j'ay un sentiment contraire, il n'est qu'en la partie inferieure, et les actes que je fay, c'est avec la force de la raison, qui est la partie principale de mon ame. De maniere que quand ceux ausquels je fay ces caresses sçauroient que je les leur fay parce que je leur ay de l'aversion, ils ne s'en doivent point offenser, ains les estimer et cherir davantage que si elles partoient d'une affection sensible : car les aversions sont naturelles, et d'elles-mesmes ne sont pas mauvaises quand nous ne les suivons pas ; au contraire, c'est un moyen de pratiquer mille sortes de bonnes vertus : et nostre Seigneur mesme nous a plus à gré quand avec une extreme repugnance nous luy allons baiser les pieds, que si nous y

III.

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allions avec beaucoup de suavité. Ainsi ceux qui n'ont rien d'aymable sont bienheureux, car ils sont asseurez que l'amour que l'on leur porte est excellent, puis qu'il est tout en Dieu. Souvent nous pensons aymer une personne pour Dieu, et nous l'aymons pour nous-mesme; nous nous servons de ce pretexte, et disons que c'est pour cela que nous l'aymons; mais en verité nous l'aymons pour la consolation que nous en avons car n'y a-t-il pas plus de suavité de voir venir à vous une ame pleine de bonne affection, qui suit extremement bien vos conseils, et qui va fidellement et tranquillement dans le chemin que vous luy avez marqué, que d'en voir une autre toute inquietée, embarrassée et foible à suivre le bien, et à qui il faut dire mille fois une mesme chose? Sans doute vous aurez plus de suavité. Ce n'est donc pas pour Dieu que vous l'aymez, car ceste derniere personne est aussi bien à Dieu que la premiere, et vous la devriez davantage aymer; car il y a davantage à faire pour Dieu. Il est vray que là où il y a davantage de Dieu, c'est à dire, plus de vertu, qui est une participation des qualitez divines, nous y devons plus d'affection; comme, par exemple, s'il se trouve des ames plus parfaites que celle de vostre Superieure, vous les devez aymer davantage pour ceste raison-là; neantmoins nous devons aymer beaucoup plus nos Superieurs, parce qu'ils sont nos Peres et nos Directeurs.

Quant à ce que vous me demandez, s'il faut estre bien ayse qu'une Sœur pratique la vertu aux despens d'une autre, je dis que nous devons aymer le bien en nostre prochain comme en nous-mesmes, et principalement en Religion, où tout doit estre parfaitement en commun, et ne devons point estre marris qu'une Sœur pratique quelque vertu à nos despens; comme par exemple, je me trouve à une porte avec une plus jeune que moy, et je me retire pour luy donner le devant; à mesure que je pratique ceste humilité, Ale doit avec douceur pratiquer la simplicité, et essayer à une autre

rencontre de me prevenir. De mesme, si je luy donne un siege ou me retire de ma place, elle doit estre contente que je fasse ce petit gain, et par ce moyen elle en sera participante; comme si elle disoit : Puisque je n'ay peu faire cet acte de vertu, je suis bien ayse que ceste Sœur l'ait fait; et non seulement il ne faut pas estre marrie, mais il faut estre disposée à contribuer tout ce que nous pouvons pour cela, jusques à nostre peau, s'il en estoit besoin: car pourveu que Dieu soit glorifié, nous ne nous devons pas soucier par qui: de telle sorte que, s'il se presentoit une occasion de faire quelque œuvre de vertu, et que nostre Seigneur nous demandast qui nous aymerions mieux qui la fist, il faudroit respondre Seigneur, celle qui la pourra faire plus à vostre gloire. Or n'ayant point de choix, nous devons desirer de la faire, car la premiere charité commence à soy-mesme; mais ne la pouvant, il faut se resjouir, se complaire, et estre extremement ayse de ce qu'une autre la fait, et ainsi nous aurons mis parfaitement toutes choses en commun. Autant en faut-il dire pour ce qui regarde le temporel; car pourveu que la maison soit accommodée, nous ne devons pas nous soucier si c'est par nostre moyen ou par un autre. S'il se trouve de petites affections contraires, c'est signe qu'il y a encore du tien et du mien.

Vous demandez enfin si on peut cognoistre si on avance à la perfection ou non. Je responds que nous ne cognoistrons jamais nostre propre perfection; car il nous arrive comme à ceux qui navigent sur mer : ils ne sçavent pas s'ils avancent; mais le maistre pilote, qui sçait l'air où ils navigent, le cognoist : ainsi nous ne pouvons pas juger de nostre avancement, mais ouy bien de celuy d'autruy; car nous n'osons pas nous asseurer, quand nous faisons une bonne action, que nous l'ayons faite avec perfection, d'autant que l'humilité nous le defend. Or encore que nous puissions juger de la vertu d'autruy, si ne faut-il pourtant jamais

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determiner qu'une personne soit meilleure qu'une autre, parce que les apparences sont trompeuses; et tel qui paroist fort vertueux à l'exterieur et aux yeux des creatures, devant Dieu le sera moins qu'un autre qui paroist beaucoup plus imparfait. Je vous souhaite sur toute perfection celle de l'humilité, qui est non seulement charitable, mais douce et maniable. Car la charité est une humilité montante, et l'humilité est une charité descendante. Je vous ayme mieux avec plus d'humilité et moins d'autres perfections, qu'avec plus d'autres perfections et moins d'humilité.

ENTRETIEN IX.

Auquel est traité de la Modestie, de la façon de recevoir les corrections, et du moyen d'affermir tellement son estat en Dieu, que rien ne l'en puisse destourner.

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Vous demandez que c'est que la vraye modestie. Je vous dirai qu'il y a quatre vertus qui portent toutes le nom de modestie la premiere est celle qui le porte par eminence au dessus des autres, c'est la bien-seance de nostre maintien exterieur; et à cette vertu sont opposez deux vices, à sçavoir, la dissolution en nos gestes et contenances, c'est à dire, la legereté; l'autre vice qui ne lui est pas moins contraire, est une contenance affectée. La seconde qui porte le nom de modestie est l'interieure bien-seance de nostre entendement et de nostre volonté : celle-cy a de mesme deux vices opposez, qui sont, la curiosité en l'entendement, la multitude des desirs de sçavoir et d'entendre toutes choses, et l'instabilité en nos entreprises, passant d'un exercice à un autre, sans nous arrester à rien : l'autre vice, c'est une certaine stupidité et nonchalance d'esprit, qui ne veut pas mesme sçavoir ny apprendre les choses necessaires pour nostre perfection; imperfection qui n'est pas moins dangereuse que l'autre. La troisiesme sorte de modestie consiste en nostre

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