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les laisser paroistre à l'exterieur. Il ne se faut pas donc estonner ny descourager quand nous commettons des imperfections et des defauts devant nos Sœurs : ains au contraire il faut estre bien aises que nous soyons recognuës pour telles que nous sommes. Vous aurez fait une faute, ou une lourdise, il est vray : mais c'est devant vos Sœurs, qui vous ayment chercment, et partant qui vous sçauront bien supporter en vostre defaut, et en auront plus de compassion sur vous que de passion contre vous. Et par ainsi ceste confiance nourriroit grandement la cordialité et la tranquillité de nos esprits, qui sont sujets à se troubler quand nous sommes recognus defaillans en quelque chose, pour petite qu'elle soit, comme si c'estoit grand merveille de nous voir imparfait. Enfin pour conclusion de ce discours il faut se ressouvenir tousjours, que pour quelque manquement de suavité que l'on commet quelquesfois par mesgarde, l'on ne se doit pas fascher, ny juger que l'on n'ait point de cordialité; car l'on ne laisse pas d'en avoir. Un acte fait par cy, par là, pourveu qu'il ne soit pas frequent, ne fait pas pas l'homme vicieux, specialement quand on a bonne volonté de s'amender.

DEMANDE II.

Ce que c'est de faire toutes choses en esprit d'humilité, ainsi que les Constitutions l'ordonnent.

Pour mieux entendre cecy, il faut sçavoir que comme il y a difference entre l'orgueil, la coustume de l'orgueil, et l'esprit de l'orgueil (car si vous faites un acte d'orgueil, voila l'orgueil; si vous en faites des actes à tout propos et à toute rencontre, c'est la coustume de l'orgueil; si vous vous plaisez en ces actes, et les recherchez, c'est l'esprit d'orgueil), de mesme il y a difference entre l'humilité, l'habitude de l'humilité, et l'esprit d'humilité. L'humilité, c'est de faire quelque acte pour s'humilier; l'habitude est d'en faire à

toute rencontre et en toutes occasions qui s'en presentent; mais l'esprit d'humilité est de se plaire en l'humiliation, de rechercher l'abjection et l'humilité parmy toutes choses: c'est à dire, qu'en tout ce que nous faisons, disons ou desirons, nostre but principal soit de nous humilier et avilir, et que nous nous plaisions àrencontrer nostre propre abjection en toutes occasions, en aymant cherement la pensée. Voila que c'est que faire toutes choses en esprit d'humilité, et c'est autant que qui diroit rechercher l'humilité et l'abjection en toutes choses. C'est une bonne pratique d'humilité de ne regarder les actions d'autruy que pour en remarquer les vertus, et non jamais les imperfections; car tandis que nous n'en avons point de charge, il ne faut point tourner nos yeux de ce costé-là, ny moins notre consideration. Il faut tousjours interpreter en la meilleure part qu'il se peut ce que nous voyons faire à nostre prochain; et és choses douteuses il nous faut persuader que ce que nous avons apperceu n'est point mal, ains que c'est nostre imperfection qui nous cause telle pensée; afin d'eviter les jugemens temeraires sur les actions d'autruy, qui est un mal tres-dangereux, et lequel nous devons souverainement detester. És choses evidemment mauvaises, il nous faut avoir compassion et nous humilier des defauts du prochain comme des nostres propres, et prier Dieu pour leur amendement d'un mesme cœur que nous ferions pour le nostre si nous estions subjets aux mesmes defauts.

i Mais que pourrons-nous faire (dites-vous) pour acquerir cet esprit d'humilité tel que nous avons dit? O! il n'y a point d'autre moyen pour l'acquerir que pour toutes les autres vertus, qui ne s'acquierent que par des actes reïterez.

L'humilité nous fait aneantir en toutes les choses qui ne sont pas necessaires pour nostre avancement en la grace, comme seroit de bien parler, avoir un beau maintien, grands talents pour le maniement des choses exterieures, un

de

grand esprit, de l'eloquence, et semblables; car en ces choses exterieures il faut desirer que les autres y fassent mieux que nous. VIVE JESUS,

ENTRETIEN V.

De la Generosité.

Pour bien entendre que c'est, et en quoy consiste ceste force et generosité d'esprit que vous me demandez, il faut premierement respondre à une question que vous m'avez faite fort souvent, sçavoir en quoy consiste la vraye humilité; d'autant qu'en resolvant ce poinct je me feray mieux entendre parlant du second, qui est de la generosité d'esprit, de laquelle vous voulez que maintenant je traite.

les

L'humilité donc n'est autre chose qu'une parfaite recognoissance que nous ne sommes rien qu'un pur neant, et elle nous fait tenir en ceste estime de nous-mesmes. Ce que pour mieux entendre, il faut sçavoir qu'il y a en nous deux sortes de biens: les uns qui sont en nous et de nous, autres qui sont en nous, mais non pas de nous. Quand je dis que nous avons des biens qui sont de nous, je ne veux pas dire qu'ils ne viennent de Dieu, et que nous les ayons de nous-mesmes; car en verité, de nous-mesmes nous n'avons autre chose que la misere et le neant: mais je veux dire que ce sont des biens que Dieu a tellement mis en nous, qu'ils semblent estre de nous : et ces biens sont la santé, les richesses, les sciences, et autres semblables. Or l'humilité nous empesche de nous glorifier et estimer à cause de ces biens-là, d'autant qu'elle n'en fait non plus de cas que d'un neant et d'un rien; et en effet cela se doit par raison, n'estant point des biens stables et qui nous rendent plus agreables à Dieu, ains muables et subjets à la fortune. Et qu'il ne soit ainsi, y a-t'il rien de moins asseuré que les richesses qui dependent du temps et des saisons, que la beauté qui se ternit

en moins de rien? Il ne faut qu'une dartre sur le visage pour en oster l'esclat; et pour ce qui est des sciences, un petit trouble de cerveau nous fait perdre et oublier tout ce que nous en sçavions. C'est donc avec grande raison que l'humilité ne fait point d'estat de tous ces biens-là. Mais d'autant qu'elle nous fait plus abaisser, et humilier par la cognoissance de ce que nous sommes de nous-mesmes, par le peu d'estime qu'elle fait de tout ce qui est en nous et de nous; d'autant aussi nous fait-elle grandement estimer à cause des biens qui sont en nous, et non pas de nous, qui sont la foy, l'esperance, l'amour de Dieu, pour peu que nous en ayons; comme aussi une certaine capacité que Dieu nous a donnée de nous unir à luy par le moyen de la grace; et quant à nous autres, nostre vocation, qui nous donne asseurance (autant que nous la pouvons avoir en ceste vie) de la possession de la gloire et felicité eternelle. Et ceste estime que l'humilité fait de tous ces biens, à sçavoir de la foy, de l'esperance et de la charité, est le fondement de la generosité de l'esprit. Voyez-vous? ces premiers biens dont nous avons parlé appartiennent à l'humilité pour son exercice, et ces autres à la generosité. L'humilité croit de ne pouvoir rien, eu esgard à la cognoissance de nostre pauvreté et foiblesse, en tant qu'est de nous-mesmes; et au contraire, la generosité nous fait dire avec saint Paul : Je puis tout en celui qui me conforte. L'humilité nous fait desfier de nous-mesmes, el la generosité nous fait confier en Dieu. Vous voyez donc que ces deux vertus d'humilité et de generosité sont tellement jointes et unies l'une à l'autre, qu'elles ne sont jamais et ne peuvent estre separées. Il y a des personnes qui s'amusent à une fausse et niaise humilité, qui les empesche de regarder en eux ce que Dieu y a mis de bon. Il ont tres-grand tort; car les biens que Dieu a mis en nous veulent estre recognus, estimez et grandement honnorez, et non pas tenus au mesme rang de la basse estime que nous devons faire de ceux qui

sont en nous et qui sont de nous. Non seulement les vrays chrestiens ont recognu qu'il falloit regarder ces deux sortes de biens qui sont en nous, les uns pour nous humilier, les autres pour glorifier la divine bonté qui les nous a donnez; mais aussi les philosophes : car ceste parole qu'ils disent, Cognois toy-mesme, se doit entendre non seulement de la cognoissance de nostre vileté et misere, mais encore de celle de l'excellence et dignité de nos ames, lesquelles sont capables d'estre unies à la divinité par sa divine bonté, qui a mis en nous un certain instinct, lequel nous fait tousjours tendre et pretendre à ceste union, en laquelle consiste tout nostre bonheur.

L'humilité qui ne produit point la generosité est indubitablement fausse : car apres qu'elle a dit, Je ne puis rien, je ne suis rien qu'un pur neant, elle cede tout incontinent la place à la generosité de l'esprit, laquelle dit: Il n'y a rien, et il n'y peut rien avoir que je ne puisse, d'autant que je mets toute ma confiance en Dieu qui peut tout; et dessus ceste confiance elle entreprend courageusement de faire tout ce qu'on luy commande : mais remarquez que je dis, tout ce qu'on luy commande ou conseille, pour difficile qu'il soit : car je vous puis asseurer qu'elle ne juge pas que faire des miracles luy soit chose impossible, luy estant commandé. d'en faire que si elle se met à l'execution du commandement en simplicité de cœur, Dieu fera plustost miracle que de manquer de luy donner le pouvoir d'accomplir son entreprise, parce que ce n'est point sur la confiance qu'elle a en ses propres forces qu'elle l'entreprend, ains elle est fondée sur l'estime qu'elle fait des dons que Dieu luy a faits; et ainsi elle fait ce discours en elle-mesme: Si Dieu m'appelle à un estat de perfection si haute, qu'il n'y en ayt point en ceste vie de plus relevée, qu'est-ce qui me pourra empescher d'y parvenir, puis que je suis tres-asseurée que celuy qui a commencé l'œuvre de ma perfection la parfaira? Mais pre

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