Obrazy na stronie
PDF
ePub

Et, au milieu de ces miasmes impurs, le corps du prolétaire s'atrophie, son âme ne voit plus d'horison, son teint blêmit, et les traits déformés de son visage, lui donnent l'aspect d'un cadavre qui se meut.

Dans ces lugubres demeures du travail, l'humidité, les infiltrations, l'air vicié et corrompu cause souvent une mortalité effrayante. Tandis que les constitutions les plus robustes s'affaiblissent et s'épuisent, les natures plus délicates s'étiolent et succombent. La phthisie enlève les femmes et les jeunes filles; les scrofules, le rachitisme torturent les enfants. Et c'est avec le cœur serré de douleur et de tristesse que je contemplais des générations entières, dont les débris languissent, énervés, incapables de fournir au travail nécessaire à leur subsistance, propageant au milieu des grandes villes des natures dégénérées et des races abatardies.

A peine l'enfant du prolétaire a-t-il franchi le seuil de la vie, que déjà une lutte criminelle s'engage contre son existence. Sa malheureuse mère, accablée de veilles et de privations, épuisée par les fatigues de trop longues journées passées à la fabrique, n'a plus à lui offrir qu'une mamelle tarie. Sur son sein desséché, l'enfant gémit; mais ses cris importunent le maître, et, pour les étouffer on lui verse la mort goutte à goutte, sous la forme d'un liquide impur, qui paralyse ses organes, déforme ses membres, énerve ses facultés, et bientôt lui fait un cerueil du berceau même de ses premiers jours.

Et dans ma tristesse, je me disais : Si Dieu multiplie ses créatures, c'est qu'elles sont nécessaires au développement de l'Humanité, afin que toutes les régions du globe soient habitées et fertilisées, et que, par le travail intelligent de l'homme, les épidémies disparaissent de dessus la terre et cessent de tourmenter le genre humain.

Pourquoi donc les hommes laissent-ils mourir ainsi les enfants que Dieu leur envoie ?

Pourquoi les mères n'ont-elles pas même de langes pour envelopper leur premier-né? Pourquoi, faute de nourriture, leur lait tarit-il dans leurs mamelles desséchées ? Pourquoi voient-elles leur nourrisson dépérir lentement dans leurs bras, et la mort verser ainsi, goutte à goutte, de la mère à l'enfant et de l'enfant à la mère, le calice du désespoir ?

Mais, hélas! un voile de ténèbres enveloppe l'existence du travailleur, et son corps est enlacé comme dans un réseau de fer.

Et, si l'enfant du prolétaire, échappe à la mort, dont ses premiers jours sont menacés, et qu'il parvienne à sortir vivant des langes de son berceau, à peine est il arrivé à l'adolescence, à cet âge où, pour se développer, il aurait le plus besoin d'air et de soleil, qu'on l'enferme dans les ateliers des grandes villes, dans ces geôles du prolétariat, où il passe les journées et quelquefois les nuits entières à pousser la navette ou à frapper du marteau.

Le prolétaire travaille le jour, il travaille la nuit. Il n'a devant lui d'autre horison à contempler que la sombre perspective d'une longue suite de jours, de mois, d'années de labeurs, de tristesse et de privations. Il désespère

de tout repos, de tout bien-être, et sans cesse il travaille pour dérober quelques heures de plus à la mort qui l'attend.

Harassé des fatigues de la journée, l'angoisse au cœur, la pâleur au visage, il regagne chaque soir son étroite et sombre demeure; et porte à sa famille affamée un pain insuffisant, acheté d'un salaire insuffisant aussi. Et cette nourriture insuffisante est presque entièrement abandonnée à des enfants malingres, hâves et décharnés.

M

Et pourtant, durant leur insomnie, le père et la mère les entendent encore crier leur faim inassouvie.

Chaque jour le prolétaire se lève dès l'aube, il court à son labeur et l'accomplit sous les yeux du maître, en proie à l'obsession de cette déchirante pensée: " aujourd'hui "encore et demain aussi, je n'aurai pas gagné assez pour “apaiser la faim de mes enfants. Cette nuit encore et les "autres nuits aussi, leurs plaintes me tiendront éveillé "jusqu'au matin.”

Et, quand sonne l'heure du travail, il va de nouveau épuiser ses forces, son corps, sa vie, sous ce fardeau écrasant; et les dures fatigues et la souffrance, sans espoir de bonheur, l'accablent, jusqu'à ce qu'il tombe dans la fosse, où il repose pour la première fois.

Et le maître, enrichi du fruit de ses labeurs, se nourrit d'ambroisie et de nectar; les bijoux et les pierreries étincellent sur ses vêtements d'étoffes précieuses; il habite de splendides demeures, son pied foule des tapis moelleux, et son carrosse, trainé par un somptueux attelage, et conduit par des serviteurs, richement galonnés, lance fastueusement la boue des ruisseaux passants, qu'il lorgne avec son binocle d'or.

sur les

Et, dans le monde civilisé, ils appellent cela: le respect de la religion, les droits de la propriété et de la famille!

C'est ainsi que, pour prolonger l'agonie du prolétaire et tirer de ses bras tout ce qu'ils peuvent produire, on l'assujétit à un travail pénible et continuel, qui dégrade son âme, en usant son corps. On ne lui laisse ni repos ni trève, et, pour salaire de toutes ses fatigues, on lui accorde un morceau de pain, quelques vêtements grossiers, un peu de paille dans un réduit humide, obscur et enfumé!

Pourquoi donc le pain coûte-t-il si cher au pauvre, quand son travail, son sang et sa vie sont à un prix si vil?

XXXIII.

Les habitants de la nuit.

Homme de la Vallée, qu'as-tu vu encore dans la ville opulente des brouillards?

- Au sein de la cité, dans des réduits étroits, enfumés, obscurs et humides, où jamais nul rayon de soleil n'a pénétré, j'ai vu de pauvres malades qui languissent sur de méchants grabats privés de tout secours, des malheureux qui pleurent, sans que personne vienne les consoler.

Pour subvenir à la subsistance de ces infortunés, de petits enfants demi-vêtus de quelques haillons, s'en vont, à la dérobée, grelottant de froid et de faim, mendier de porte un morceau de pain, que souvent ils n'obtiennent pas.

Jai vu des mères désolées rechercher l'obscurité de la nuit, pour déposer leurs nouveaux-nés dans l'embrasure des portes, afin de sauver leurs jours, en attirant sur eux le regard et la pitié du passant.

Et, en soulevant les plaies honteuses que les grands de ce pays tiennent cachées, j'ai vu, dans des lieux que l'étranger ignore, des êtres humains, des créatures abandonnées des hommes, croupir dans le fumier et la pourriture, de pauvres femmes qui n'ont jamais vécu que de vieux morceaux de pain moisi, ramassés dans les souillures de la rue.

Parce que les riches de la cité ont fait bâtir quelques maisons de travail où ils confinent l'indigent, comme dans une prison, ils disent qu'il n'y a point de pauvres

chez eux, et que la mendicité n'existe point dans leur ville.

Mais ayant visité ces demeures, que l'orgueil de l'opulence a concédé au dénûment de quelques uns, parmi les milliers de malheureux qui sont errants dans les rues et sur les chemins, j'ai trouvé qu'elles étaient pleines d'infection et de dégouts, que le pauvre y était privé d'air et de liberté, et que le travail exigé de ses bras, en échange de l'asile et du morceau de pain qu'on accordait à sa détresse, était semblable à celui que, dans les bagnes, ils imposent au criminel.

Et, dans ces lieux de dégradation et de pestilence, l'indigence honnête coudoie le vice échonté, et souvent de vertueuses mères de famille, réduites aux derniers abois de la misère, se voient forcées de venir, avec leurs enfants, chercher un refuge au milieu d'hommes et de femmes flétris par la débauche.

C'est pourquoi, l'indigent redoute ses demeures, qui sont comme les bagnes du prolétariat; et, à leur séjour rebuttant, il préfère les obsessions humiliantes des gens de police que le riche attache sur ses pas, et les affreuses perplexités qui accompagnent sa vie errante.

Et, quand la nuit étend son voile sur la riche et populeuse cité, une multitude innombrable de ces malheureux, de tout âge et de tout sexe, sans asile, sans pain et sans vêtements, semblent sortir comme des catacombes, pour venir, à la faveur de l'obscurité, aspirer un air moins lourd et chercher une place moins humide.

On les voit entassés sur les bans des allées, dans les embrasures des portes, sous les niches des ponts, sur la litière des marchés. De pauvres enfants demi-nus, grelottant de froid, se pressent les uns contre les autres șt se pelotonnent sous le péristile des édifices ou dans les

« PoprzedniaDalej »