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DES DEMOISELLES.

I.

ESTEBAN MURILLO.

des gardes du palais et demanda à entrer chez don Velasquez.

Un officier vint, et toisant le jeune homme, dit avec dédain :

« Señor caballero, don Velasquez vous attend-il?

Un jeune homme qui pouvait avoir atteint sa vingt-cinquième année, et dont la physionomie fine et expressive offrait un singulier mélange de douceur, d'observation et de rêverie, suivait d'un pas inégal la route qui, côtoyant la rive du Mança de lui. narez, conduit à la porte Saint-Vincent. Inattentif aux objets qui l'entouraient, à la majesté de Madrid qui se dressait à ses yeux, avec ses grandes places, ses cent églises et couvents, ses fontaines, ses larges barrios (1), il passait d'une rue à une autre et semblait se concentrer dans une idée qui l'absorbait.

Il était arrivé en face du Buen-Retiro, ce palais sombre, sans régularité, et cependant empreint d'un véritable cachet de grandeur. C'est là qu'il s'arrêta: son œil sérieux mesura les noires murailles derrière lesquelles s'étaient abrités tant de douleurs, de fatigues, de travaux, et aussi tant de puissance, à une époque où le souverain de l'Espagne portait vingt-deux couronnes et où l'on pouvait dire sans exagération que jamais le soleil ne se couchait dans ses États.

Notre inconnu s'était, en marchant, trop bien affermi dans sa résolution pour hésiter au dernier moment. Il s'approcha

(1) Quartiers.

VINGT-UNIÈME ANNÉE, 5e SÉRIE. - N° I.

Je n'ai pas l'honneur d'être connu

Avez-vous à lui remettre quelque lettre de recommandation?

Aucune. »>

L'officier se mit à rire en haussant les épaules.

« Et vous croyez, dit-il, qu'on peut être admis ainsi chez le grand Velasquez, chez le premier peintre de Sa Majesté Philippe IV et du célèbre ministre le comteduc d'Olivarès! Ah! vous vous imaginez que le plus illustre artiste du monde entier, que l'ami de Rubens, que le favori des rois, va se déranger pour recevoir le premier venu ! »>

Ici l'officier prit une pose triomphante et aiguisa les longs crocs de sa moustache. Le jeune homme était consterné. Cependant il se ravisa.

« Seigneur capitaine, dit-il, si vous êtes un vrai chrétien, vous ne refuserez pas d'obliger un pauvre garçon qui est venu de bien loin pour obtenir une audience de don Velasquez. Pourriez-vous lui faire porter ceci?

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1

Profitant de la permission, le solliciteur s'ouvrirent: Velasquez pressa Murillo con

tira de dessous son manteau un petit carton, et le remit à l'officier avec ce billet qu'il écrivit rapidement au crayon:

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« Illustre Velasquez,

>> Je vous suis inconnu; mais moi, j'é>> prouve le besoin de vous voir, de vous

témoigner ma respectueuse admiration.

tre son cœur.

« Viens, mon fils, dit-il avec une tendre effusion; viens, tu as eu raison de compter sur moi. »

Il l'entraîna. Murillo, en pénétrant dans l'atelier, vit sur une table son carton ouvert et ses dessins éparpillés. Velasquez le mena devant la table, et là, posant forte

» Pour cela, je suis venu de Séville à pied.ment le doigt sur une tête de Vierge :

» L'art est ma vie ou plutôt mon rêve : » car j'ignore ce que Dieu a mis en moi, » et si ce que j'ai pris pour une vocation » n'est point le délire de l'orgueil et la fu» mée de l'ambition. L'homme ne saurait » se connaître ni mesurer ses forces, sur>> tout lorsqu'il est comme moi sans ex» périence. Mais que je vous voie, que » je contemple une fois vos œuvres im» mortelles, et je me croirai trop heu

>> reux.

» Bartolomé Esteban MURILLO. >>

Au bout de dix minutes, l'officier du palais revint vers la grille. Son pas était pressé, sa physionomie riante. Il tendit la main au jeune homme et lui dit avec une certaine expression de déférence :

« Que votre Seigneurie veuille bien me suivre.

Comment! il me serait accordé..... Nous allons chez don Velasquez. >> Ils côtoyèrent le palais, tournèrent derrière l'aile gauche; puis, par une petite cour ornée de bas-reliefs en marbre, de vases grecs et de fleurs, digne vestibule du logis d'un grand artiste, ils arrivèrent à une porte au seuil de laquelle se tenait debout un homme d'une taille majestueuse. C'était Jacques Rodriguez de Silva y Velasquez, le chef de l'école de Madrid; celui que Philippe IV, se consolant par les arts des tristes épreuves de son règne, avait comblé de faveurs et installé au Buen-Retiro.

Velasquez contemplait Esteban qui s'avançait timidement, et lorsque celui-ci ne fut plus qu'à deux pas, les bras du maître

« Ton âge? demanda-t-il.
Vingt-cinq ans.
-Ton pays?

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rez.

- Séville.

Tes parents?

- Gaspar Esteban Murillo et Maria Pe

- Ils sont pauvres?

Oui, seigneur.

Qui t'a donné les premières leçons de peinture?

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Un de mes parents, Juan de Castillo. Mais il n'a pas tardé à me renvoyer chez moi en disant qu'il n'avait plus rien à m'apprendre.

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Je m'en suis aperçu. Et comment, étant pauvre, as-tu osé et pu entreprendre le voyage de Madrid ?

-Voici ce que j'ai imaginé de faire. J'ai acheté beaucoup de toile : je l'ai divisée en petits compartiments bien égaux, je l'ai imprimée (1) moi-même, j'y ai peint une quantité de sujets pieux, de fleurs, d'oiseaux; puis j'ai vendu le tout à des marchands qui préparaient leur cargaison pour l'Inde.

-Fort bien dit en riant Velasquez. C'est là de l'industrie, et j'aime à voir un

(1) On se sert de ce terme pour indiquer la préparation de la toile destinée à la peinture à l'huile.

esprit tendre si droit et si ferme vers son but. Maintenant écoute, mon fils, et pèse mes paroles; car ce sont celles d'un homme qui a quelque expérience du métier. Cette tête de la sainte Vierge m'a suffi pour deviner ton avenir. Dès ce moment, je te le prédis, si Dieu daigne te prêter force et longue vie, tu es appelé à... »

Velasquez n'avait pas achevé sa phrase lorsqu'une porte latérale s'ouvrit : un homme parut et s'avança d'un air affectueux vers les deux artistes. La richesse de son costume, le collier de la Toison d'or qui tombait sur sa poitrine, son air de commandement, tout indiquait son rang élevé. A sa vue, Velasquez s'était profondément incliné. Quant au nouveau venu, il avait laissé tomber un regard indifférent sur Murillo.

Velasquez, demanda-t-il, quel est ce jeune homme ? et que lui disais-tu quand je suis entré?

- Sire, répondit le peintre, j'allais faire une prédiction.

-Ah! ah!... Parle, si je ne suis pas de trop. Et vous, mon ami, ne vous troublez pas ainsi le roi d'Espagne dépose ici l'étiquette.

:

Puisque Votre Majesté m'y autorise, reprit Velasquez, je continue. Notre patrie

est fière de ses artistes: elle compte en première ligne Antonio del Rincon, Luis de Vergas, Luis de Moralès, el Mudo, Alonzo Sanchez Coello, Pablo de Cespades.

- Et elle compte surtout, interrompit Philippe IV, mon amé et féal Velasquez, l'auteur des portraits inimitables de Fonseca, d'Olivarès et de l'amiral Pazeja.

Eh bien! Sire, dit solennellement Velasquez; eh bien! veuillez accorder à ce jeune Sévillan la permission de copier pendant quelques années dans vos palais et à l'Escurial, les Titien, les Ruben, les Van-Dyck si précieux qui s'y trouvent réunis. Après cela, voici ce que je prédis: Bartholomé Esteban Murillo sera la gloire de votre règne, l'objet de l'admiration de

la postérité, et dépassera tous les artistes de l'Espagne, sans en excepter votre fidèle sujet Velasquez!... >>

Le roi et Murillo demeurèrent, l'un stupéfait, l'autre comme épouvanté de cette immense prédiction, tandis que Velasquez, calme et noble, fixait de nouveau son regard sur cette tête de Vierge qui justifiait ses paroles, et qui, à trente années de distance, était le présage certain de la Conception immaculée.

II.

Dans la vaste plaine où Séville étale fièrement ses maisons moresques et s'enorqueillit de son immense cathédrale, que termine si majestueusement la chapelle de Nuestra Senora de los Reyes (1); dans cette plaine où nous ne pourrions énumérer les merveilles de l'architecture et les

prodiges de la foi, il y a un faubourg délicieux qu'on nomme la Triana. On s'y rend, de la ville, par un grand pont de bateaux. A l'entrée du faubourg est la maison de l'Inquisition, espèce de bâtiment sombre et antique; à quelques pas de là, un cours (2) avec une belle fontaine que décorent deux hautes colonnes de pierre surmontées des statues d'Hercule et de Jules César (3).

C'est près de cette fontaine que s'arrêta venait de sortir, tout en larmes, de la maiune jeune fille d'environ quatorze ans qui son des Dominicains. Son costume déla

bré, mais original par la forme et les couleurs, avait une étrangeté pittoresque. Il n'était pas difficile de reconnaître dans cet enfant une de ces filles de Gitanos que la fervente Espagne réprouvait, chassait de tous côtés, et considérait comme autant

(1) Bâtie par le roi Ferdinand le Saint, qui y est enseveli avec son fils Alphonse le Sage et la reine Béatrix sa femme.

(2) Lieu de promenade.

(3) Le premier passe pour le fondateur, le second pour le restaurateur de Séville.

d'émissaires de l'enfer. Aussi, tous les Sévillans qui passaient près d'elle, se gardaient-ils bien de lui témoigner aucun in

térêt.

Seul, un homme, après l'avoir considérée longtemps avec attention, s'approcha d'elle et lui adressa la parole. En entendant cette voix, la jeune fille tressaillit, leva lentement la tête, puis la laissa retomber, comme si elle n'espérait plus rien en ce monde. Cependant cet homme n'avait pas entrepris de l'assister, de la consoler, pour la quitter brusquement. Il demeura immobile et reprit la parole:

« Au nom du ciel, dit-il, qu'avez-vous, mon enfant? Est-ce la misère qui vous accable?

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Ah! pauvre enfant!... dit son interlocuteur. Je vous plains: car vous n'avez pas eu le bonheur d'être élevée dans la foi; ce n'est pas votre faute; on ne vous a point fortifiée par la culture de l'âme contre les maux de cette vie.

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le duc d'Arcos qui passait, suivi de trois laquais, et venait de s'arrêter pour entendre ce colloque. Vous voulez convertir cette païenne?

- Monseigneur, répondit l'artiste, si j'avais cette joie, si j'obtenais cette victoire, j'y attacherais plus de prix qu'à dix de mes meilleures toiles. »>

Le duc sourit en levant légèrement les épaules, et suivit son chemin.

Après un moment de réflexion, Murillo se dit:

«< Autrefois j'ai béni la main du généreux Velasquez, lorsqu'elle s'est tendue vers moi. Velasquez eût pu me repousser, moi inconnu. Il en avait le droit. Et cependant il s'est montré pour moi un second père. Ce qu'a fait Velasquez, Murillo peut et doit le faire à son tour. Il ajouta :

« Venez, mon enfant, venez. Ma maison n'est qu'à deux pas, et ma femme vous y recevra cordialement.

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Oui, si vous tenez au salut de votre père. » Zorah, subjuguée, se leva de son banc de pierre et suivit le peintre.

Ils arrivèrent à une maison large et silencieuse. Au rez-de-chaussée, il y avait une salle très-simple et ornée seulement d'arbustes exotiques. Une dame s'y tenait assise : c'était dona Béatrix de Cabrera y Sotomayor qui, pénétrée d'admiration pour les vertus et le génie de Murillo, avait été fière de s'unir, elle noble et riche, à l'artiste plébéien et pauvre. Bientôt elle fut mise au fait de cette singulière visite. Son premier soin fut d'appeler ses gens pour commander qu'on apportât une collation; mais Zorah refusa d'y toucher.

« Pourquoi, dit dona Béatrix, hésitezvous à réparer vos forces? Vous êtes pâle, vous souffrez, mon enfant.

Si je souffre, madame, c'est pour mon

Que faites-vous, cher Murillo?... dit père qui doit mourir demain.

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