leur représentation sur une surface plane. On exerce ainsi le jugement en même tems que l'œil, surtout si dans les premières leçons on s'aide de quelque machine facile à construire, pour rendre sensibles les phénomènes de la perspective voilà pour le trait.

A l'égard des teintes, le jeu de la lumière sur les corps, en raison de l'inclinaison de leurs faces par rapport au corps éclairant ou des enfoncemens et des saillies qu'ils présentent, peut et doit s'étudier toujours d'après nature, sur les polyèdres, le cylindre, le cône et la sphère. Les apparences étant bien senties sur ces premiers élémens des corps, l'œil devenu capable d'observer, reconnaîtra bientôt l'effet et la cause de celles. que montrent les objets les plus composés. A chaque leçon, pour redresser l'élève et lui donner le faire, il serait à propos de mettre sous ses yeux un dessin exact du corps qui lui a servi de modèle, et offrant les mêmes apparences que celles qu'il a dû voir. On ne me niera pas, qu'en ombrant un cylindre, un cône, une sphère, vus par leur convexité, puis. par leur concavité, la main ne se forme aussi bien qu'en copiant le dessin des bosses et des creux de la figure. Il paraît que Gérard de Lairesse était aussi de cet avis, du moins voulait-il que l'on commençât par des corps ina

nimés, familiers aux enfans (Voy. les premières leçons de ses Principes de dessin, dans le Grand Livre des Peintres et les Elémens de Perspective, par Ch. Valenciennes, pag. 395).

Après avoir appris à rendre des corps réguliers, on passera facilement à ceux qui ne le sont pas, mais dans lesquels on retrouve comme élémens de l'effet général, les effets particuliers qu'on a remarqués sur les premiers; et si l'on est forcé de s'arrêter à ce point, on aura du moins appris à voir, et l'on sera en état de représenter beaucoup d'objets assez clairement pour qu'ils soient reconnus par toutes les personnes qui auront à les con→ sidérer ou à les employer. Il en sera à cet égard du dessin comme de l'écriture ordinaire un petit nombre de personnes parviennent à la bien peindre, et cela suffit pour conserver les caractères dans leur pureté ; mais presque tout le monde écrit ou doit écrire de manière à pouvoir être lu. S'il était possible, et je crois que ce ne peut être que par la méthode que je viens d'indiquer, de populariser le dessin comme l'écriture, à laquelle il sert de supplément, les arts mécaniques feraient des progrès immenses. En effet, combien de conceptions perdues faute d'avoir pu être confiées au papier par leur inventeur; que de moyens ingénieux remarqués en voyageant

ou autrement, n'ont pu être retracés par ceux dont ils avaient attiré les regards!

Quant à la facilité d'apprendre par cette méthode, quelques expériences que j'ai vues, m'ont convaincu qu'elle serait très-grande, et qu'on pourrait même pousser ainsi le dessin fort loin par rapport à la figure; mais quoi qu'il en soit, pour ne pas choquer les artistes, on pourrait laisser aux écoles spéciales de peinture et de sculpture, l'enseignement du dessin tel qu'ils le conçoivent, et donner à celui que je propose de substituer pour les écoles générales, le nom de stéréographie, comme étant l'art de décrire les corps.

Si les vues que je propose échappent au reproche de bizarrerie qu'on pourra leur faire, lorsqu'on les comparera aux idées accréditées par le tems et par les préjugés, on dira peutêtre qu'elles ne sont pas nouvelles; et pour prouver que je ne l'ignore pas moi-même, je rapporterai un passage de l'Emile, auquel je m'étonne toujours qu'on ait eu si peu égard.

« On ne saurait apprendre à bien juger » de l'étendue et de la grandeur des corps, » qu'on n'apprenne aussi à les figurer et même » à les imiter; car au fond cette imitation >>> ne tient absolument qu'aux lois de la pers»pective, et l'on ne peut estimer l'étendue

» sur ses apparences, qu'on n'ait quelque >> sentiment de ces lois. Les enfans, grands » imitateurs, essayent tous de dessiner; je >> voudrais que le mien cultivât cet art, non » précisément pour l'art même, l'art même, mais pour » se rendre l'œil juste et la main flexible ; » et en général il importe fort peu qu'il sache >> tel ou tel exercice, pourvu qu'il acquière » la perspicacité du sens et la bonne habitude » du corps qu'on gagne à cet exercice (1). » Je me garderai donc bien de lui donner » un maître à dessiner qui ne lui donnerait » à imiter que des imitations, et ne le ferait >> dessiner que sur des dessins : je veux qu'il » n'ait d'autre maître que la nature, ni d'autre >> modèle que les objets. Je veux qu'il ait >> sous les yeux l'original même, et non pas >> le papier qui le représente; qu'il crayonne >> une maison sur une maison, un arbre sur » un arbre, un homme sur un homme, afin >> qu'il s'accoutume à bien observer les corps » et leurs apparences, et non pas à prendre » des imitations fausses et conventionnelles » pour de véritables imitations. Je le détour>> nerai même de rien tracer de mémoire en

(1) Ceci doit être bien apprécié par tous ceux qui s'occupent d'instruction publique; car le but de cette Instruction y est clairement énoncé.

» l'absence des objets, jusqu'à ce que, par >> des observations fréquentes, leurs figures » exactes s'impriment bien dans son imagi» nation; de peur que substituant à la vérité » des choses, des figures bizarres et fantas»tiques, il ne perde la connaissance des » proportions, et le goût des beautés de la

»> nature. >>>

(EMILE, Liv. II.)

Ajoutez à cela les graves inconvéniens d'une étude offrant à tous ceux qui l'entreprennent, un but où il y a peu d'exemples de succès (voyez ci-dessus pag. 101).

Il me reste à parler de la conformité qu'on trouvera entre la plus grande partie de mon ouvrage et les leçons données à l'Ecole Normale par M. Monge. Elle ne pouvait manquer d'avoir lieu, puisque ce géomètre s'est occupé depuis long-tems de cette branche des Mathématiques, à laquelle il a appliqué l'analyse avec beaucoup de succès; mais on aurait tort d'en conclure que mon travail est calqué sur le sien; car il existe des personnes qui tiennent de moi, depuis une époque bien antérieure à la publication de ses leçons, tous les matériaux que j'ai employés; j'ai pensé à les mettre en ordre lorsque j'ai été adjoint à l'enseignement de la géométrie descriptive dans l'Ecole Normale (celle de l'an III, 1794).