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il ne faut ni se réjouir, ni se lamenter à la pensée que le parti libéral est à la veille de se dissoudre; il convient au contraire de se féliciter hautement de ce qu'il est mis en demeure de se renouveler et de se transformer, pour être mieux en mesure de remplir le rôle qui lui appartient dans notre rénovation théologique. Nul ne lui ravira la gloire d'avoir été le premier, lui, pauvre péager, à sentir qu'il y avait des fautes à confesser.

Disons-le bien haut, un renouvellement radical lui était plus indispensable qu'au parti contraire. En effet, en dépit de son nom et des apparences, il s'était encore moins modifié depuis trente ou quarante ans que l'orthodoxie. On ne manquera pas de nous renvoyer au nouveau libéralisme datant de 1850, beaucoup plus négatif et scientifique que l'ancien qui remonte aux premiers jours du Réveil. Mais ces deux branches de l'école avaient un point commun qui était toujours demeuré le cri de ralliement du parti: le libre examen. Sous les larges replis de ce drapeau indécis, avaient fini par s'abriter les opinions les plus hétérogènes, les plus contradictoires. Tenant infiniment plus à la méthode qu'aux résultats, on ne s'apercevait pas que, tout en se faisait scrupule de répudier les esprits légers et frivoles qui souvent tournaient en ridicule les choses saintes, sous prétexte de les examiner, on rompait successivement avec la révélation, avec le christianisme, avec la simple morale et le spiritualisme le plus élémentaire.

J'estime, dit M. Maurice Vernes, que la théologie moderne, - si depuis dix ans tout travail n'avait cessé dans son sein, et si elle ne s'était bornée à se répéter, j'estime, dis-je, que la théologie moderne, poussant plus avant dans la voie où elle avait marché si rapidement et dépourvue de tout contre-poids par son subjectivisme effréné (qu'elle décore du nom pompeux mais aussi vide, aussi antiphilosophique que sonore, de souveraineté de la conscience religieuse), n'avait plus que peu de chemin à faire pour ébranler la foi à l'immortalité personnelle, pour jeter des doutes sur la doctrine de la personnalité divine, pour réduire enfin la personne de Jésus à un minimum d'importance, qui aurait tout au plus autorisé le nom de théisme chrétien ou de théisme christianisé. Dieu soit loué de ce que ce

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mouvement fougueux se soit tout à coup apaisé! car, un pas de plus, et le schisme devenait nécessaire. >>

Ajoutons que M. Maurice Vernes n'a pas connu toute la profondeur du mal auquel il allait chercher si couragement à porter remède. Hélas! le schisme est déjà effectué sinon dans les faits, du moins dans les idées. Grâce au voisinage du panthéisme et du matérialisme de l'Allemagne, le libéralisme en Suisse a de beaucoup devancé celui de France. Voici le bilan de l'école tel qu'il est solennellement dressé par un organe autorisé. On signale d'abord jusqu'où peut aller la diversité dans le sein du parti. « Il est vrai que nous, libéraux, nous n'avons pas tous la même dogmatique, nous pouvons différer sur le miracle, sur la Bible, sur Jésus, sur le culte, sur l'église, sur la religion, sur Dieu même. Parmi nous se trouvent des gens religieux au point de vue ecclésiastique et d'autres qui le sont peu ou pas du tout. Certains d'entre nous admettent une révélation particulière et unique déposée dans la Bible, d'autres n'admettent que la révélation universelle, d'autres n'admettent peutêtre rien qui ressemble à une révélation quelconque. Certains d'entre nous croient peut-être à la Trinité et certains autres restent peut-être à peine persuadés qu'il y ait un Dieu conscient et réel. >>

On remarquera l'absence complète de l'idée de salut et de rédemption par Jésus-Christ qui est la doctrine fondamentale de la théologie moderne. Serait-ce peut-être que les libéraux n'en sont plus à discuter sur ce point capital, mais qu'ils s'accordent à l'omettre comme étant sans importance?

On serait vraiment tenté de le supposer en voyant ce qui nous est donné comme le côté positif du credo de l'école. Tous les libéraux catholiques ou protestants s'accordent à dire : « Je crois au progrès, je crois à la liberté, je crois à la démocratie, je crois aux droits de toute conscience, je crois à la raison et je respecte la science. >>

Grâce à ce credo, l'union entre les libéraux « est puissante, elle repose sur le roc de l'unité spirituelle et vivante. » Spirituelle si l'on veut, mais en tout cas pas religieuse : le christianisme et la religion brillent en effet par leur absence dans ce

programme; un démocrate d'Athènes ou de Rome aurait pu en dire autant, et le parti libéral se trouve placé en fait de religion plus bas que la franc-maçonnerie qui, tout en prétendant rester neutre, professe croire au Grand Architecte de l'univers. Et cette incartade d'enfants terribles n'a pas provoqué la moindre protestation au sein du parti. Au nom de quoi protester en effet lorsqu'on n'admet qu'un seul principe ferme, la méthode du libre examen? Si par aventure quelque libéral s'avise de nier la liberté, le progrès ou la démocratie, on reléguera ces articles parmi ceux sur lesquels on diffère et il ne restera plus comme unique lien que les droits de toute conscience et les deux sœurs inséparables, la raison et la science, divinités du moment que l'on adore avec d'autant plus de ferveur et de recueillement qu'elles sont enveloppées de voiles et se dérobent dans un lointain plein de mystère. Si, moins timides, les libéraux de Genève consentaient à entretenir avec leurs divinités favorites un commerce plus habituel et plus intime, ils ne manqueraient pas d'en recevoir maintes confidences précieuses: la raison leur crierait qu'il est absurde de vouloir constituer un parti religieux sans religion; la science leur apprendrait que les belles choses qu'on célèbre aujourd'hui au bout de notre lac comme de grandes nouveautés et le dernier mot du progrès sont des vieilleries empruntées au XVIIIe siècle allemand que les plus grands philosophes de notre âge ont poursuivies de leurs impitoyables sarcasmes et qui, aujourd'hui encore, au delà du Rhin, sont honnies par les libéraux scientifiques qui se donnent la peine de penser et de réfléchir.

Mais il y aurait de l'injustice à insister: les libéraux genevois ne sont pas en effet seuls responsables de la victoire inattendue qu'ils célèbrent avec une joie aussi bruyante que naïve. Ils se sont admirablement acquittés d'une mission que personne ne leur enviera. Les physiciens en sont encore à se demander s'il est possible d'arriver à un degré de froid absolu. Les libéraux du bout de notre lac ont prouvé pratiquement que l'on peut continuer à se donner comme un parti ecclésiastique alors que le thermomètre religieux est décidément arrivé au froid absolu. Le peuple de Genève, qui ne se croit pas

moins spirituel que celui de Paris, estime comme ce dernier que le monde entier est tenu d'admirer tout ce qu'il fait. La galerie profite en effet de la leçon comme faisait la jeunesse de Sparte à la vue des ilotes.

La brochure de M. Vernes ne pouvait venir plus à propos. Sans cette énergique protestation, le parti tout entier aurait pu être rendu responsable de pareilles fantaisies. Le point le plus profond de l'abîme ayant été atteint, il ne restait plus qu'à se relever par un effort énergique ou à périr. Espérons, dans notre intérêt à tous, que mis en demeure de se transformer radicalement, le parti libéral ne faillira pas à la tâche. Il paraît difcile que les paroles de M. Vernes ne trouvent pas de l'écho dans le cœur des hommes sérieux, religieux qui depuis longtemps doivent souffrir des allures que les esprits négatifs ont imposées au parti. Quelques personnes ne veulent voir dans le libéralisme qu'une négation qui méconnaît les besoins religieux les plus élémentaires, et laisse passer inaperçues les leçons les plus claires de l'histoire. D'autres voient dans cette école un fait trop général et trop important pour que, chez les meilleurs du moins, il n'ait pas sa raison d'être dans le besoin de réagir en faveur de quelque grande vérité morale et religieuse méconnue par l'orthodoxie. Tout le monde sera heureux de voir la tâche de ceux qui soutiennent cette dernière opinion facilitée par l'attitude que le parti libéral prendra en face de la courageuse mise en demeure de M. Maurice Vernes. L'école qui se piquait d'être le moins exclusive n'a que trop longtemps vécu exclusivement de la maxime du libre examen. Les hommes étrangers à la religion, qui assistent en spectateurs désintéressés aux débats entre les orthodoxes et les libéraux, signalent depuis longtemps tout ce qu'elle a de fallacieux et de vide; les faits récents rappelés plus haut se chargent à leur tour de montrer où elle conduit. Le parti est arrivé au moment où il doit se dissoudre, s'il n'a la vitalité suffisante pour se transformer en donnant la prépondérance aux éléments positifs qu'il porte dans son sein. Ce sera le moyen de devenir plus religieux et plus chrétien, plus franchement libéral aussi, car rien ne sent plus l'étroitesse et l'intolérance que cette disposition à railler

toute foi positive pour s'incliner respectueusement devant la première négation venue que tel esprit frivole donne comme fruit du libre examen dont il n'abuse pas. En faisant cette évolution, le parti libéral abandonnerait les froides et vides régions de la libre pensée, dans lesquelles il a failli se perdre, pour reprendre la place légitime qui lui revient dans la grande famille protestante, et concourir à la solution de la crise actuelle.

M. Maurice Vernes rappelle en effet un lieu commun connu de tous ceux qui ont consenti à étudier la question et dont le parti libéral n'a pas encore su faire son profit. L'histoire s'inscrit en faux contre « les appréciations superficielles qui prétendent voir dans le grand mouvement religieux dont nous sommes issus la revendication du libre examen, de la foi individuelle, de la liberté de conscience et que sais-je encore? Ce sont là des idées philosophiques assez modernes, dont l'énoncé aurait singulièrement étonné nos pères. Il y a eu, je le veux bien, une partie de tout cela dans la réforme, mais la réforme n'a pas été cela. >>

Un moment, au début du Réveil, alors que les orthodoxes prétendaient rétablir les confessions de foi du XVIe siècle, la revendication du libre examen a pu avoir sa légitimité. Mais le parti s'est obstiné à vivre pendant un demi-siècle sur cette unique idée, sans s'apercevoir que les adversaires s'étaient profondément modifiés et que le terrain de la lutte avait été à tant d'égards changé. Il y a plus: la revendication exclusive du libre examen a fini par inspirer une sainte horrreur pour toute définition de foi positive.

Nous arrivons ainsi au second reproche que M. Vernes adresse à son parti. « Ce qui a compromis, dit-il, ce qui a failli perdre l'œuvre du protestantisme libéral, ç'a été à mon sens principalement son dédain de la dogmatique. Il avait eu, dans le principe, le souci de justifier devant l'intelligence les postulats du sentiment religieux, d'établir une philosophie religieuse qui fût l'exposition rationnelle et systématique de la foi. Il y a bientôt renoncé pour s'en tenir aux lieux communs du spiritualisme contemporain. Puis, sous la détestable influence du vieux ratio

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