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ble, nous n'en verrons rien ici-bas qu'en énigme et comme dans un miroir obscur. Et alors même qu'après la résurrection, qui, selon les promesses de l'Écriture, rendra nos corps tout spirituels, chacun de nous verra la Trinité, autant qu'il en sera capable, il est certain que, soit que nous la voyions par la seule intelligence, ou que, par une merveille incompréhensible, le don ineffable de l'immortalité dont nos corps seront revêtus nous rende capables de la voir de nos yeux même corporels, nous ne la verrons point dans un espace, en sorte qu'il en paraisse moins dans une moindre partie de l'espace, et plus dans une plus grande, parce qu'enfin ce n'est point un corps, et qu'elle est tout entière partout.

Quant à ce que vous dites dans votre lettre qu'il vous semble, ou plutôt qu'il vous semblait autrefois, que la justice n'est point une substance vivante, et qu'ainsi vous ne sauriez concevoir que Dieu, qui est une substance vivante, soit quelque chose de semblable à la justice, puisqu'elle n'est vivante qu'en nous, et non pas en ellemême; et qu'à parler exactement, c'est nous qui vivons selon la justice, quand nous sommes justes, et non pas elle qui vit en nous, puisque par elle-même elle n'est rien de vivant, je veux que vous puissiez vous répondre à vous-même; et pour cela, voyez, je vous prie, si l'on pourrait dire que la vie qui fait vivre tout ce que nous pouvons appeler véritablement vivant, n'est rien de vivant? Car je crois que vous trouverez qu'il n'y a rien de plus absurde que de dire que la vie, qui est ce qui fait qu'on est vivant, ne soit pas elle-même vivante. Si, au contraire, il n'y a rien de si vivant que ce qui rend vivant tout ce qui l'est, songez un peu quelles sont les âmes que l'Écriture appelle mortes, et vous trouverez que ce sont les âmes injustes, impies et infidèles. Cependant les âmes même impies ont toujours quelque sorte de vie, puisqu'elles font vivre des corps. Ainsi les âmes de ceux mêmes dont il est dit : « Laissez les morts ensevelir leurs

morts,» sont vivantes d'une vie qu'elles ne sauraient perdre; c'est la vie qui fait qu'on appelle les âmes immortelles, et sans laquelle elles ne pourraient communiquer la vie aux corps, mais qui n'empêche pas qu'il ne soit vrai de dire que les âmes sont mortes, quand elles ont perdu la justice qui est leur véritable vie, et, pour ainsi dire, la vie de la vie de ces substances d'ailleurs immortelles, et incapables de perdre cette autre sorte de vie qu'elles communiquent à leurs corps, qui ne sauraient vivre par eux-mêmes. Comme donc de ce que le corps n'est vivant que par l'âme, en sorte qu'il meurt dès qu'elle l'abandonne, il s'ensuit que l'âme ne saurait être sans avoir toujours en elle-même quelque sorte de vie; ainsi, de ce que les âmes elles-mêmes tirent leur véritable vie de la justice, en sorte que l'on traite de mortes celles qui l'ont perdue, quoiqu'elles ne cessent pas pour cela de vivre d'une autre sorte de vie, il s'ensuit, et à bien plus forte raison, que cette justice qui fait vivre les âmes est en elle-même quelque chose de vivant.

Or, cette justice qui est vivante en elle-même, et d'une vie immuable et inaltérable, n'est autre chose que Dieu. Et de la même manière que ce Dieu, qui est vie par luimême, devient notre vie lorsque nous participons en quelque sorte à son essence, ainsi ce même Dieu, qui est justice par lui-même, devient notre justice, lorsqu'étant unis à lui nous menons une vie juste et sainte; et nouš sommes plus ou moins justes, selon que nous lui sommes plus ou moins unis. Aussi est-il dit du Fils unique de Dieu, qui est la justice et la sagesse du Père toujours subsistante en elle-même, qu'il nous a été donné de Dieu pour être notre justice et notre sagesse, notre sanctification et notre rédemption, afin que, comme il est écrit, celui qui se glorifie, ne se glorifie que dans le Seigneur. »

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Et c'est ce que vous avez vous-même entrevu, lorsqu'après ce que je viens de rapporter de votre lettre, vous

ajoutez Mais peut-être que ce qu'il peut y avoir de justice dans les hommes n'est point justice, et que Dieu est la seule véritable justice. C'est sans doute ce Dieu souverain qui est la véritable justice, ou, ce qui est la même chose, c'est ce vrai Dieu qui est la souveraine justice; et comme notre justice dans ce pèlerinage, où elle n'ést que commencée, est d'avoir faim et soif de cette souveraine justice, la consommation de notre justice dans l'éternité sera d'en être rassasiés. Ne concevons donc pas Dieu comme quelque chose de semblable à notre justice, mais concevons plutôt que nous serons d'autant plus semblables à Dieu, que nous serons plus justes, par une plus grande participation de cette souveraine justice.

Que si nous devons bien nous garder de concevoir Dieu comme quelque chose de semblable à notre justice, puisque la lumière primitive, dont toutes les autres lumières empruntent tout ce qu'elles ont de clarté, doit être sans comparaison plus excellente que tout ce qui en est éclairé, combien plus nous devons nous garder de concevoir Dieu, comme quelque chose de moins noble et de moins excellent que notre justice? Quand cette justice est en nous, ou quelque autre vertu que ce soit, qui nous fait vivre selon les règles de la sagesse, n'est-ce pas ce qui produit la beauté de l'homme intérieur, selon laquelle il est vrai de dire, plutôt que selon la beauté extérieure du corps, que nous avons été faits à l'image de Dieu, comme l'Apôtre nous l'explique par ces paroles : « Ne vous conformez point au siècle présent; mais qu'il se fasse en vous une transformation par le renouvellement de votre esprit, afin que vous reconnaissiez ce que Dieu demande, ce qu'il y a de bon, d'agréable à ses yeux, et de parfait. >>

Si donc nous faisons consister tout ce que nous appelons beauté de l'âme, et tout ce que nous en pouvons concevoir et désirer pour nous-mêmes, non dans une masse de parties étendues et séparées les unes des autres, comme sont celles des corps que nous voyons ou

que nous imaginons, mais dans une certaine excellence à quoi la seule intelligence peut atteindre, et si c'est en revenant à cette sorte de beauté que nous sommes « transformés et renouvelés, » et que l'image de Dieu se retrace en nous, évidemment la beauté de ce Dieu qui nous a créés, et qui nous crée de nouveau à son image, ne consiste pas non plus dans rien de massif ni de corporel; et si cette beauté est incomparablement plus grande que celle de l'âme des justes, il faut croire que ce n'est qu'en ce que la justice qui y luit est incomparablement plus juste que tout ce qui l'est le plus. Mais c'est assez discourir, et peutêtre plus que vous ne l'espériez; plus même que la mesure ordinaire des lettres ne le comporte, quoique ce soit bien peu pour l'importance et l'étendue de la matière. Je ne prétends pas, néanmoins, que cela suffise pour votre instruction mais je crois qu'en y joignant ce que vous pourrez lire et apprendre d'ailleurs, vous serez en état de corriger vous-même ce que vous avez écrit de contraire à cette doctrine. C'est ce que vous ferez d'une manière d'autant plus parfaite, que vous y apporterez plus d'humilité et de foi.

:

(Saint Augustin. Lettrè CXX®.)

XXVII. DE LA PHILOSOPHIE CHRÉTIENNE.

AUGUSTIN A DIOSCORE.

Quand vous m'auriez éru sans affaires, et en pleine liberté, comment avez-vous eu le courage de me charger, ou plutôt de m'accabler d'un aussi grand nombre de questions; et quelque loisir que j'eusse, comment pourrais-je vous les résoudre toutes dans le peu de temps que peut avoir un homme aussi pressé de s'embarquer que vous l'êtes? Le seul nombre des questions ne me le permettrait pas, quand elles seraient très-simples; et elles sont en outre si difficiles et si embarrassées, que quelque peu qu'il y en eût, ce serait assez pour lasser l'esprit, et consumer le loisir de l'homme du monde qui aurait le plus de l'un et de l'autre. Oh! combien souhaiterais-je de vous retirer de toutes ces recherches inutiles, et qui ne vont qu'au plaisir, et de vous plonger dans la multitude des travaux qui m'accablent, pour vous apprendre à renoncer à toutes ces frivolités, ou du moins à ne pas charger du soin de repaître votre curiosité ceux dont un des principaux soins est d'éteindre et de réprimer la curiosité : car s'il faut passer quelques heures à vous écrire, combien ne vaut-il pas mieux les employer à combattre et à éteindre en vous une cupidité vaine et trompeuse, qui est d'autant plus capable de vous séduire, qu'elle est couverte du prétexte spécieux de faire du progrès dans des connaissances qui paraissent louables et dignes d'un honnête homme? Et ne dois-je pas prendre ce parti-là, plutôt que celui de me rendre le ministre, ou, si j'ose parler ainsi, le satellite de cette malheureuse cupidité qui vous domine, et contribuer à lui asservir de plus en plus un aussi bon esprit que le vôtre?

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