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siècles des enfants des hommes, dont toutes les vies des hommes ne sont aussi que des parties.

Mais d'autant, mon Dieu, que votre miséricorde est préférable à toutes les vies, je vous confesse que ma vie n'est qu'une dissipation continuelle dans laquelle votre main favorable m'a recueilli par le moyen de Jésus-Christ mon Seigneur, par le moyen de ce fils de l'homme médiateur entre vous qui êtes un, et nous qui sommes plusieurs, et qui en mille diverses manières nous laissons emporter à une infinité d'objets; afin que, comme il m'a uni à lui, je m'unisse aussi à vous par lui, et que me détachant de cette multiplicité des jours dans lesquels je vivais selon le vieil homme, je me réunisse à l'unité souveraine, et oublie toutes les choses passées, non pour me porter à celles qui sont à venir et qui passeront comme ont fait les autres, mais pour m'attacher à celles qui sont devant moi et qui subsistent toujours; de telle sorte que demeurant ferme en elles, au lieu de m'écouler avec elles, je poursuive sans cesse ma course, non par une vague dissipation d'esprit, mais par une application constante vers cette récompense à laquelle vous nous avez appelés dans le ciel, où j'entendrai retentir les cantiques de vos louanges, et vous contemplerai dans votre joie ineffable, qui ne connaît ni l'avenir, ni le passé, parce qu'elle est immuable et toujours présente.

Mais maintenant mes années s'écoulent dans les gémissements et dans les douleurs et au lieu que vous, Seigneur, qui êtes mon bon père et toute ma consolation, jouissez d'une éternité bienheureuse, je suis devenu par mon péché sujet à la vicissitude et aux impressions des temps, dont j'ignore l'ordre et les suites; et mes pensées qui sont comme les entrailles de mon âme sont déchirées par mille différents troubles qui les agitent, et les agiteront toujours jusqu'à ce qu'étant purifié par le feu de votre amour, je m'unisse à vous de telle sorte que je ne sois plus qu'une même chose avec vous.

C'est alors, Seigneur, que je serai ferme et immuable en vous et en votre vérité, qui est la forme qui m'a donné l'être; et je ne serai plus tourmenté de ces importunes questions des hommes, qui par une maladie qui est la peine de leur péché ont plus de curiosité de savoir, que de capacité de comprendre, et demandent ce que Dieu faisait avant qu'il eût créé le ciel et la terre ou comment il s'est avisé de faire quelque chose, attendu qu'auparavant il n'avait jamais rien fait.

Accordez-leur la grâce, mon Dieu, de mieux penser à ce qu'ils disent, et de reconnaître qu'on n'use point de ce terme de jamais, où il n'y a point de temps. Car en disant que vous n'aviez jamais rien fait, que dit-on autre chose sinon que vous n'aviez rien fait en aucun temps? Qu'ils voient donc qu'il n'aurait pu y avoir aucun temps si vous ne l'aviez créé : et qu'ainsi ils cessent de parler avec si peu de lumière; mais qu'au contraire ils portent leurs pensées vers les choses qui sont devant eux, toujours stables et permanentes, et qu'ils comprennent que vous qui êtes le créateur éternel de tous les temps, êtes avant tous les temps; et que tous ces temps, ni aucune autre créature, s'il s'en rencontre quelque-une qui les ait précédés, ne vous sont point coéternels.

Seigneur mon Dieu, combien est profond l'abîme de votre secret, et combien m'en suis-je éloigné par les malheureuses suites de mes péchés! Guérissez, je vous prie, les yeux de mon âme, et faites que j'aie la joie d'apercevoir votre lumière. Certes s'il y avait un esprit qui fût rempli d'une si grande science et d'une telle connaissance de l'avenir, que toutes les choses passées et les choses futures lui fussent aussi connues que m'est un psaume, il faut avouer que cet esprit serait non-seulement admirable, mais qu'il le serait jusqu'à donner de l'étonnement, puisqu'il verrait aussi clair dans tout ce qui est des siècles passés et des siècles à venir, que lorsque je

chante un psaume je vois clairement quelle partie j'en ai déjà dite, et ce qui m'en reste à dire. Mais ne permettez pas, s'il vous plaît, Seigneur, qu'il m'entre dans la pensée que vous qui êtes le créateur des corps et des âmes, connaissez en cette sorte toutes les choses futures et les choses passées vous les connaissez d'une manière incomparablement plus merveilleuse, et qui nous est incomparablement plus cachée. Car, au lieu que l'esprit et l'imagination de celui qui chante ou qui écoute chanter un psaume qu'il sait, ressentent divers mouvements, et se partagent en quelque sorte par l'attente des vers qui restent encore à réciter, et par le souvenir de ceux qui ont déjà été réci– tés, il ne nous arrive rien de semblable, mon Dieu, qui êtes le souverain créateur de nos esprits, parce que vous êtes vraiment éternel, et par conséquent incapable de quelque changement que ce puisse être.

Comme donc, dès le commencement, vous avez connu le ciel et la terre sans aucune variété de connaissance, vous avez de même, dès le commencement, créé le ciel et la terre sans aucune différence d'action. Que celui qui peut comprendre ces choses confesse votre grandeur; et que celui qui ne les saurait comprendre ne laisse pas de la confesser. Oh! combien êtes-vous élevé, mon Dieu! et néanmoins les humbles de cœur sont votre maison et votre temple. Car c'est vous qui relevez ceux qui sont tombés, et qui empêchez de tomber ceux dont vous êtes l'élévation.

(Saint Augustin. Confessions, Liv. XI, chap. 111-XXXI.)

XI. DE LA MÉMOIRE.

Je passerai au delà de ces puissances naturelles qui sont en moi pour m'élever comme par degrés vers celui qui m'a créé, et j'arriverai à ces larges campagnes et à ces vastes palais de ma mémoire où sont renfermés les trésors de ce nombre infini d'images qui y sont entrées par les portes de mes sens. C'est là que nous conservons aussi toutes nos pensées en y ajoutant ou diminuant, ou changeant quelque chose de ce que nous avons connu par les sens, et généralement tout ce qui y a été mis comme en dépôt et en réserve, et que l'oubli n'a point encore effacé et enseveli.

C'est là que je demande que l'on me tire de ce trésor ce que je désire; et soudain quelques-unes de ces espèces en sortent et se présentent à moi; d'autres se font chercher plus longtemps et diffèrent davantage à venir, comme si on les tirait avec peine du fond de quelques replis cachés; d'autres sortent en foule; et bien que ce ne soit pas elles que je cherche ni que je demande, elles se produisent elles-mêmes, et semblent dire N'est-ce point nous que vous cherchez? Mais je les repousse comme de la main de mon esprit, et les éloigne de ma mémoire jusqu'à ce que l'idée que je désire se découvre et sorte du lieu où elle était cachée pour se présenter à moi. Il y en a d'autres qui, sans sortir de leur série, viennent avec facilité dans le même ordre que je les demande; et les premières, faisant place aux autres, se retirent pour revenir toutes les fois que je le voudrai; c'est ce qui arrive lorsque je récite par cœur quelque passage.

Dans ce même trésor de ma mémoire, je conserve distinctement et sans aucune confusion toutes les espèces, qui, selon leurs divers genres, y sont entrées, chacune

par la porte qui lui est propre, comme la lumière, toutes les couleurs et toutes les figures des corps par les yeux, tous les sons par les oreilles, toutes les odeurs par le nez, toutes les saveurs par la bouche; et par l'attouchement répandu dans tout le corps, tout ce qui est dur ou mou, chaud ou froid, doux ou rude, pesant ou léger, soit qu'il entre en nous, ou bien que nous le touchions. Ce grand réceptacle de la mémoire reçoit toutes ces espèces pour nous les représenter quand nous en avons besoin : chacune d'elles y entre par la porte qui lui est particulière, et la mémoire les conserve dans ses divers plis et replis, qui sont si secrets et si cachés, qu'aucune parole n'est capable de l'exprimer. Ce ne sont pas néanmoins les choses mêmes qui y entrent, mais seulement leurs images qui sont toujours prêtes à se représenter à notre esprit quand il veut s'en souvenir.

Qui pourrait dire de quelle sorte toutes ces images et toutes ces espèces ont été formées, encore que l'on remarque assez par quel sens elles ont été apportées et données en garde à la mémoire? Car lorsque je suis dans l'obscurité et dans le silence, je retire si je veux des couleurs de ma mémoire, et distingue le noir d'avec le blanc, et ainsi toutes les autres couleurs qu'il me plaît, sans que les sons se jettent à la traverse, ni me viennent troubler lorsque je considère ce que j'ai appris par la vue; et néanmoins ces sons sont aussi dans ma mémoire, et comme cachés dans d'autres replis; puisque si je veux qu'ils se présentent à moi, ils se présentent aussitôt. Et d'autre part, encore que je ne remue pas la langue, et que je ne fasse aucune action de la gorge, je chante autant qu'il me plaît, sans que ces images des couleurs qui sont aussi dans ma mémoire viennent non plus se jeter à la traverse, ni m'interrompre lorsque j'en tire cet autre trésor qui y était entré par les oreilles. Et je me souviens en la même sorte quand il me plaît de toutes les autres choses qui m'ont été apportées par les autres

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