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DEUXIÈME PARTIE.

LES PÈRES ET LA PHILOSOPHIE.

I. DE LA LECTURE DES AUTEURS PROFANES.

A MAGNUS, ORATEUR ROMAIN.

Je m'aperçois que notre cher Sébésius a profité de vos conseils; c'est ce que son changement de vie me fait connaître encore mieux que votre lettre. Et sa conversion me donne plus de joie que ses égarements ne m'ont causé de chagrin. On a vu dans cette occasion une espèce de combat entre la tendresse d'un père et la piété d'un enfant; celui-là oubliant le passé, et celui-ci promettant de mieux vivre. Cet heureux changement doit être et pour vous et pour moi un grand sujet de contentement, puisque je retrouve un fils, et vous un disciple.

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Quant à ce que vous me demandez à la fin de votre lettre, pourquoi je cite dans mes ouvrages les auteurs profanes, souillant ainsi la pure doctrine de l'Église des ordures du paganisme, je n'ai sur cela qu'un mot à vous dire c'est que vous ne me feriez jamais une pareille question, si vous n'étiez point si entêté de Cicéron, et si vous aviez abandonné le poëte Volcatius pour lire l'Écriture sainte et les ouvrages des interprètes. Car qui ne sait que Moïse et les prophètes se sont servis des auteurs païens, et que Salomon a fait des questions aux philosophes de Tyr, et répondu à celles qu'ils lui ont proposées? C'est

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pour cela que, dès le commencement de ses Proverbes, il nous avertit qu'il ne les a écrits que « pour nous faire comprendre les discours de la sagesse, les paroles ambiguës, les paraboles et leur sens mystérieux, les maximes et les énigmes des sages; ce qui ne convient qu'aux dialecticiens et aux philosophes. L'apôtre saint Paul, écrivant à Tite, ne cite-t-il pas ce vers d'Épiménide : « Les Crétois sont toujours menteurs; ce sont de méchantes bêtes, qui n'aiment qu'à manger et à ne rien faire. » Callimaque a depuis inséré dans ses ouvrages un hémistiche de ce vers héroïque. Au reste il ne faut point s'étonner que la traduction latine ne réponde pas exactement à l'original, puisqu'à peine trouve-t-on quelque sens dans celle qu'on a faite en prose des ouvrages d'Homère. Ce même apôtre s'est encore servi dans une autre de ses épîtres de ce vers de Ménandre : « Les mauvais entretiens corrompent les bonnes mœurs. » Et disputant à Athènes devant l'aréopage, il cite ces paroles d'Aratus sommes la race de Dieu. » C'est la fin d'un vers héroïque. Ce chef de l'armée chrétienne et ce grand orateur n'en demeure pas là; car pour soutenir les intérêts de JésusChrist, et prouver la vérité de notre religion, il se sert avec avantage d'une inscription qu'il avait vue par hasard sur un autel. C'est qu'il savait qu'on doit, à l'exemple du véritable David, désarmer son ennemi, et couper la tête au superbe Goliath avec sa propre épée. C'est qu'il avait lu que Dieu même ordonne dans le Deutéronome, qu'avant d'épouser une prisonnière de guerre, on lui rase la tête et les sourcils et qu'on lui coupe les ongles. Faut-il donc s'étonner que, charmé des beautés de l'éloquence humaine, je mette au nombre des Israélites cette belle captive; et qu'après avoir rasé sa chevelure, c'est-àdire l'avoir purifiée de ses idolâtries, de ses erreurs, de ses impuretés, de ses déréglements, et de tout ce qui est mort en elle, je la prenne pour mon épouse, et que j'en aie des enfants légitimes capables de servir le Dieu des

armées? Je travaille pour l'établissement de la famille de Jésus-Christ, et le commerce que j'ai avec cette étrangère ne sert qu'à augmenter le nombre de ses serviteurs. Le prophète Osée épouse une femme de mauvaise vie nommée Gomer, fille de Debelaïm, dont il a un fils appelé Jezrhaël, c'est-à-dire « enfant de Dieu. »> Isaïe prend « un rasoir tranchant » pour raser « le menton et les pieds des pécheurs. » Le prophète Ézéchiel, voulant nous représenter les malheurs dont l'impie Jérusalem était menacée, se rase la tête et en retranche tout ce qui n'a ni sentiment ni vie.

Firmianus rapporte qu'on a reproché à saint Cyprien, cet homme si célèbre dans l'Église par son éloquence et par son martyre, d'avoir cité, lorsqu'il écrivait contre Démétrien, plusieurs passages tirés des prophètes et des apôtres, que son adversaire prétendait être faux et supposés, au lieu de s'appuyer de l'autorité des philosophes et des poëtes, laquelle un païen n'eût pas osé contredire. Celse et Porphyre ont écrit contre la religion chrétienne; Origène a répondu au premier d'une manière très-solide, et Méthodius, Eusèbe et Apollinaire ont écrit contre le second avec beaucoup de force et d'éloquence. Origène a composé huit livres contre Celse; l'ouvrage que Méthodius a rédigé contre Porphyre contient jusqu'à dix mille lignes; Eusèbe et Apollinaire ont composé contre lui, l'un vingt-cinq volumes, et l'autre trente. Lisez-les, et vous avouerez que je suis un ignorant en comparaison d'eux, et qu'après avoir tant étudié, je me souviens à peine, et encore d'une manière très-confuse, de ce que j'ai appris dans ma jeunesse. L'empereur Julien, durant la guerre des Parthes, composa sept livres où il vomit ses blasphèmes contre Jésus-Christ, ou plutôt, comme parle la fable, où il se détruit lui-même par ses propres armes. Si j'entreprenais d'écrire contre lui, vous ne me permettriez pas sans doute d'employer l'autorité des philosophes et des stoïciens, et de m'en servir comme de la

massue d'Hercule pour écraser la tête de ce chien enragé. Il est vrai qu'il sentit bientôt dans le combat la puissance de notre Nazaréen, ou, comme il l'appelait par mépris, du Galiléen; car il fut percé d'un coup de lance, juste punition de ses impiétés et de ses blasphèmes.

Josèphe, qui a si bien défendu l'antiquité du peuple juif, a écrit deux livres contre Appion d'Alexandrie surnomméle Grammairien, où il cite un si grand nombre de passages tirés des auteurs profanes, que je ne saurais comprendre comment un homme, Juif de nation, et qui s'était appliqué dès ses plus tendres années à l'étude de l'Écriture sainte, a pu lire tous les ouvrages des auteurs grecs. Que diraije de Philon que les savants regardent comme le Platon des Juifs? Continuons à parcourir tous les auteurs qui citent les profanes dans leurs ouvrages. Quadratus, disciple des apôtres et évêque de l'église d'Athènes, n'offritil pas à l'empereur Adrien, dans le temps qu'il allait au temple de Cérès, un livre pour la défense de la religion chrétienne, où la force et l'élévation de son génie parurent avec tant d'éclat, qu'il s'attira l'admiration de tout le monde, et fit cesser une cruelle persécution qui s'était élevée contre l'Église? Le philosophe Aristides, homme très-éloquent, mit sous les yeux du même empereur une apologie pour les chrétiens toute remplie de passages tirés des philosophes. Justin, qui était aussi philosophe, suivit son exemple, et présenta à l'empereur Antonin, à ses fils et au sénat un livre qu'il avait composé contre les Gentils, où il défend hautement l'ignominie de la croix, et confesse avec une liberté véritablement chrétienne la résurrection de Jésus-Christ. Que dirai-je de Méliton, évêque de Sardes? d'Apollinaire, évêque d'Hierapolis? de Denys, évêque de Corinthe? de Tatien, de Bardesane, et d'Irénée successeur de saint Pothin martyr, qui tous ont écrit plusieurs volumes, pour faire voir à quels philosophes Origène avait emprunté le venin de son hérésie? Pantène, philosophe de la secte des stoïciens, fut envoyé aux

Indes par Démétrius, évêque d'Alexandrie, qui connaissait sa profonde érudition, afin d'annoncer Jésus-Christ aux Brachmanes et aux philosophes de ces contrées. Clément, prêtre de l'église d'Alexandrie, qui à mon sens est le plus habile de tous ceux qui ont écrit sur la religion, a fait huit livres intitulés Stromates, et huit autres qui ont pour titre Expositions, un contre les Gentils, et trois autres intitulés du Pédagogue, ou de l'instruction des enfants. Qu'y a-t-il dans tous ces ouvrages qui ne soit plein d'érudition et de tout ce que la philosophie renferme de plus curieux et de plus recherché? Origène à son imitation a écrit huit livres de Stromates, où il compare la doctrine des chrétiens avec celle des philosophes, et où il confirme tous les dogmes de notre religion par l'autorité de Platon, d'Aristote, de Numénius, et de Cornutus. Miltiades a écrit lui-même un livre fort savant contre les Gentils. Hippolyte et Apollonius, sénateur romain, ont donné aussi quelques ouvrages au public. Nous avons encore les livres de Jules l'Africain, qui a écrit l'histoire des temps; de Théodore, qui depuis fut appelé Grégoire, homme égal aux apôtres en miracles; de Denys d'Alexandrie, d'Anatolius de Laodicée; comme aussi des prêtres Pamphile, Piérius, Lucien et Malchion; d'Eusèbe de Césarée, d'Eustathe d'Antioche, d'Athanase d'Alexandrie, d'Eusèbe d'Émèse, de Triphille de Cypre, d'Astère de Scitople, et du confesseur Sérapion; de Tite, évêque de Bostres; de Basile, de Grégoire et d'Amphilochius, tous trois de Cappadoce. Tous les ouvrages de ces auteurs sont tellement remplis de passages et de sentences des philosophes, qu'on ne sait ce que l'on doit le plus admirer en eux, ou de la science de l'Écriture sainte, ou de la connaissance profonde qu'ils ont eue des auteurs profanes.

Venons maintenant aux écrivains de l'Église latine. Où trouve-t-on plus d'érudition et de subtilité que dans Tertullien? Son Apologétique et ses livres contre les Gentils contiennent ce qu'il y a de plus sublime et de plus

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