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Fénelon en lutte avec Bossuet. Ses succès comme orateur

et comme précepteur.

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Sa disgrâce.

Télémaque. Massillon. Caractère de son éloquence. Historiens. Mémoires de Saint-Simon.

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Nous avons déjà entrevu, au passage, bien des ombres mêlées à l'éclat du siècle de Louis XIV, et nous venons de surprendre de graves symptômes qui donnent de tristes pressentiments. Le regard pénétrant de La Bruyère a saisi sous cette enveloppe brillante qui couvrait déjà tant de misères, de corruption et de scepticisme, les causes secrètes de l'agitation qui troublera et qui emportera les esprits pendant le siècle suivant. Dès lors tout commence à décliner. L'activité des intelligences n'est plus entretenue que par la recherche des moyens de guérir les maux qu'on éprouve et de prévenir ceux qu'on redoute; le pouvoir absolu s'affaisse sous le poids des fautes commises et de la responsabilité qui retombe sur lui seul. Au dedans, le silence succède aux acclamations, et du dehors arrivent, par la voix des réfugiés, des cris accusateurs et des imprécations. La révocation de l'édit de Nantes, qui devait accomplir l'unité de croyance, favorisa le progrès de l'incrédulité. Les docteurs de la foi, débarrassés d'un contrôle aussi utile qu'il paraissait incommode, s'endormirent dans

une sécurité trompeuse, et lorsque les grandes intelligences qui s'étaient formées dans les luttes de la parole au temps où la contradiction était permise se furent éteintes, personne parmi les successeurs des Bossuet, des Fénelon, des Massillon, ne se trouva prêt pour le combat contre des adversaires d'une autre sorte qui ne se contentaient plus de discuter quelques points de doctrine, et qui prétendaient non pas à réformer, mais à détruire. Mais reprenons la suite des faits, où nous trouverons encore l'occasion de contempler de nobles figures.

Dans le même discours où La Bruyère, devançant le jugement de la postérité, mettait Bossuet au rang des Pères de l'Église, il disait aussi, en parlant d'un autre prélat qui commençait à partager avec lui l'admiration publique : « On sent la force et l'ascendant de ce rare esprit, soit qu'il prêche de génie et sans préparation, soit qu'il prononce un discours étudié et oratoire, soit qu'il explique ses pensées dans la conversation. Toujours maître de l'oreille et du cœur de ceux qui l'écoutent, il ne leur permet pas d'envier ni tant d'élévation, ni tant de facilité, de délicatesse, de politesse: on est assez heureux de l'entendre, de sentir ce qu'il dit et comme il le dit; on doit être content de soi, si l'on emporte ses réflexions et si on en profite1. » Ce rare esprit qui méritait ainsi d'être loué à côté et presque à l'égal de Bossuet, c'était Fé nelon. Leur panégyriste commun ne prévoyait pas que l'Aigle et le Cygne, comme les appelle Voltaire,

1 La Bruyère, p. 619, édit. Walckenaer.

seraient bientôt aux prises l'un contre l'autre, et que lui-même deviendrait partie dans le procès en combattant contre le quiétisme. Les deux rivaux étaient dignes de se mesurer. Nous avons vu déjà quel était l'ascendant du génie de Bossuet; apprenons d'un témoin qu'on ne récusera pas quel était le charme et la séduction du génie de Fénelon : « Ce prélat, dit Saint-Simon', était un grand homme maigre, bien fait, pâle, avec un grand nez, des yeux dont le feu et l'esprit sortaient comme un torrent, et une physionomie telle que je n'en ai point vu qui y ressemblât, et qui ne se pouvait oublier quand on ne l'aurait vue qu'une fois. Elle rassemblait tout, et les contraires ne s'y combattaient point. Elle avait de la gravité et de la galanterie, du sérieux et de la gaieté; elle sentait également le docteur, l'évêque et le grand seigneur; ce qui y surnageait, ainsi que dans toute sa personne, c'était la finesse, l'esprit, les grâces, la décence, et surtout la noblesse. Il fallait effort pour cesser de le regarder. On ne pouvait le quitter, ni s'en défendre, ni ne pas chercher à le retrouver. C'est ce talent si rare, et qu'il avait au suprême degré, qui lui tint tous ses amis si entièrement attachés toute sa vie, malgré sa chute, et qui, dans leur dispersion, les réunissait pour se parler de lui, pour le regretter, pour le désirer, pour se tenir de plus en plus à lui, comme les Juifs pour Jérusalem, et soupirer après son retour, et l'espérer toujours, comme ce

1 Mémoires du duc de Saint-Simon, t. XI, ch. xII, p. 458, édit. Chéruel; Hachette, 1856.

malheureux peuple attend encore et soupire après le Messie. » Cette attente, on le sait, devait être vaine. Fénelon était destiné à mourir dans son exil de Cambrai, où il a laissé de si touchants souvenirs, précédant au tombeau Louis XIV, qui l'avait disgracié, mais consolé de tout par l'espérance de retrouver ceux qu'il avait tant aimés, le duc de Bourgogne, son élève, et Beauvilliers, qui avait partagé l'honneur de cette difficile éducation.

La plus grande gloire de Fénelon est d'avoir excellé dans l'art de nourrir et de diriger l'esprit de l'enfance. Il l'a prouvé d'abord dans son humble ministère auprès des Nouvelles Converties, d'où sa première expérience a tiré un livre exquis, le traité de l'Éducation des filles, et plus tard auprès du duc de Bourgogne, dont il sut avec tant d'habileté dompter la nature indocile. Son caractère était merveilleusement disposé pour cette tâche à laquelle toutes les lumières de l'esprit ne suffisent pas : c'était un mélange exquis de tendresse et de force, de complaisance et de fermeté, de patience et de souplesse, où l'énergie se tempérait de grâce. Le plus sûr moyen de maîtriser l'enfance est de l'aimer et de ne la craindre pas, de se dévouer sans s'asservir, car cette affection courageuse qui prévient toute faiblesse et toute violence est le point d'appui le plus solide et le plus énergique levier de l'autorité. Les enfants ont une stratégie pleine d'artifices que le sang-froid peut seul déjouer céder avec mollesse ou résister avec emportement, c'est se trahir également à ces petits regards pénétrants et impitoyables; soit qu'ils lassent

ou qu'ils irritent, ils sentent leur avantage et ils en profitent en tyrans consommés. Il faut avec eux du caractère et de l'âme de l'âme pour les attirer, du caractère pour les dominer. Ces deux qualités, Fénelon les possédait dans un rapport plein d'harmonie; il en usa pour prendre sur son élève l'ascendant nécessaire, et dès lors il put instruire avec fruit cette jeune et riche intelligence, frémissante encore par intervalles, mais domptée et disciplinable. C'est pour ce royal enfant, « né terrible, dit Saint-Simon, et dont la jeunesse fit trembler, » que Fénelon a composé ces Fables si ingénieuses et si attachantes qu'on lit encore après celles de La Fontaine; ces Dialogues des morts, où tant de leçons de saine morale sont données par des personnages réels, dont le Langage est conforme à leur rôle et à leur caractère historiques; enfin, le Télémaque, qui rendit irrémédiable la disgrâce de l'imprudent et vertueux précepteur, et qui est de tous ses titres à l'admiration de la postérité le plus considérable.

Nous n'avons plus à louer ces œuvres, destinées par leur auteur moins encore à l'ornement des esprits qu'à la culture des âmes; nous en sommes dispensé par l'appréciation qu'a faite du génie de Fenelon M. Villemain dans une de ses plus belles études littéraires. C'est là seulement que justice entière a été rendue au Télémaque, un peu rabaissé par Voltaire, qui n'aurait pas voulu, et pour cause, « chercher le bonheur dans les murs de Salente1. » Certes, il ne

1 Cette boutade de Voltaire sur Fénelon est bien irrévéren

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