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fragments d'un texte écrit il y a plus de six cents ans, abordables à tous nos lecteurs.

Citons encore quelques exemples, et pour donner une idée de l'éloquence guerrière, prenons presque au hasard le discours qu'Eminidus d'Arcade, c'est le nom roman d'Eumène, adresse à ses compagnons, que l'effroi a saisis à l'approche de Gadifer, qui arrive au bruit des clairons et des tambours. Cette fois le texte aura besoin d'éclaircissements; nous les donnerons. Qu'on lise d'abord :

« Seigneur, ne vous caut esmaier,

Car en notre compagne n'ont li couart mestier.
Penst aucuns que il puist sa vië calengier.

Tout sommes gentil homme, duc et conte et princier;

Si devomes tant faire, pener et esploitier

C'on ne l' puist après nous, à nos oirs reprocier:

Que ci ne fera bien, puis ne devra mangier

A la table le roi que nous avomes cier.

Li brans de ceste espée ne se viut estancier

De si que jou le voie en cervielle baignier.

Hui mais voel la bataille et l'essor surhaucier;
Penst cescuns de bien faire; le jeu voel commencer1. »

C'est bien là un discours d'homme de guerre, plein de sentiments courageux exprimés avec énergie. Tous

1 P. 155, v. 25 et suiv. « Seigneur, il ne vous convient pas de vous effrayer, Car en notre compagnie les couards n'ont que faire. Que chacun pense aux moyens de défendre sa vie. Tous nous sommes gentilshommes, ducs, comtes et princes; A ce titre, nous devons tant faire, peiner et exploiter Que personne ne puisse après nous faire reproche à nos héritiers. Qui ne fera bien ici, ne devra à l'avenir manger A la table du roi que nous avons si cher. La lame de cette

ces soldats d'Alexandre, qui seront rois après sa mort, ont naturellement le ton héroïque. Le courage de leur chef les échauffe et sa grandeur les élève. Alexandre, qui les domine tous, ne les efface pas; mais il garde son rang, ce qui n'arrive guère aux rois de l'épopée. Là est la grande originalité du poème d'Alexandre. Le héros macédonien est donné en exemple à tous les rois de la terre. C'est la conclusion expresse du poëme, qui est bien, sous forme épique, un traité de morale à l'usage des rois :

Li rois qui son roiaume veut par droit gouverner,
Et li dus et li conte qui terre ont à garder,
Tous cil doivent la vie Alexandre escouter.
Se il fut crestiens, onques ne fut teus (tel) ber;
Rois ne fut plus hardis, ne mius séust parler,
Ni onques ne fu hom plus larges de douner;
Onques puis qu'il fu mors, ne vit nus hom son per '.

On comprend que ce poëme, ainsi écrit dans un langage clair et souvent harmonieux, rempli d'ailleurs de nobles sentiments, de hauts faits et d'aventures merveilleuses, dut devenir le thème favori des trouvères et comme la Bible des chevaliers. Il obscurcit, en effet, de son éclat les prouesses de Charlemagne et de ses douze pairs. Au reste, Alexandre avait pris, par la grâce des trouvères, le costume chevaleresque

épée ne se veut reposer

(ennemie) baigner.

Avant que je la voie en cervelle Aujourd'hui je veux faire grandir la bataille et la mêlée; - Que chacun pense de bien faire; pour moi, je veux commencer le jeu. »

1 P. 550, v. 5 et suiv.

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et reçu pour compagnons douze pairs, nombre sacré, cortége inévitable, que nous retrouverons auprès d'Arthur, autour de la Table ronde.

Arthur est un présent de la Bretagne à la France'. On sait qu'il y eut, au sixième siècle de notre ère, un chef breton qui défendit courageusement l'indépendance de sa province contre les Saxons; qu'il disparut après un combat meurtrier, et que, privés de leur roi, les Bretons, forcés de fuir, se réfugiérent dans notre Armorique, qui prit d'eux le nom de Bretagne. Arthur était bien mort, les Bretons bien chassés; mais les peuples de bonne race ne se résignent pas ainsi. Les Bretons attendirent Arthur pour le jour de la vengeance. Ce petit peuple adore volontiers ses souvenirs, et ses regrets sont toujours des espérances, tant il a le cœur bien placé! Ainsi doué, il attendit pieusement le retour d'Arthur; en attendant il le chanta, et sa longue attente lui laissa le loisir de com

1 M. Hersart de la Villemarqué a mis hors de doute ce fait, qui avait été contesté par M. Fauriel. Lorsqu'on a lu le livre. où il compare, pièces en mains, les romans de la Table ronde et les anciens contes de la Bretagne, on reste convaincu, par exemple, que le conte breton d'Owen a précédé et inspiré le roman d'Yvain ou le Chevalier au Lion. Il demeure également évident que Pérédur est le prototype de Perceval. Nous sommes moins sûr que le Mael des contes bretons soi, le même personnage que le Lancelot des romans, bien que Mael ait dans la langue gaëlique le même sens que Lancelot, su plutôt Ancelot, qui signifie domestique. Il est vrai que l'un et l'autre ont enlevé la reine, mais Genièvre était très-sujette à être enlevée. L'ouvrage de M. de la Villemarqué a pour titre : Les Romans de La Table ronde et les Contes des anciens Bretons, 5o édit., 186€

poser à ce propos la plus curieuse, la plus compiiquée et la plus poétique des légendes. Rien n'est plus étrange que la diversité des éléments dont elle se compose et que ses pérégrinations. La mythologie, les évangiles apocryphes, la féerie avec ses géants, ses nains, ses sorciers et ses châteaux magiques, l'héroïsme et tous ses exploits, l'amour avec toutes ses délicatesses, ses séductions et ses perfidies, tout se combine et s'amalgame pour former cet ensemble singulier. Les lais bretons, qui en sont comme les molécules organiques, avant d'être recueillis en partie par un rimeur anglo-normand, Wace', s'étaient

1 Dans le Roman de Brut, chronique rimée sur les rois de la Grande-Bretagne. Wace a aussi composé le Roman de Rou ou Rollon, qui contient l'histoire des ducs de Normandie. Ces œuvres, utiles pour la connaissance des traditions sur les origines des peuples, n'ont rien de commun avec nos chansons de gestes et sont plutôt des documents historiques inexacts que des monuments littéraires. C'est dans le Roman de Rou que se trouvent ces vers si souvent cités, que M. Lenient (La Satire en France, 1 vol. in-18, 1859, ch. 11, p. 20) nomme une Marseillaise rustique, mis par Wace dans la bouche des paysans de la Normandie, précurseurs des Jacques du quatorzième siècle. La menace a toujours grondé dans les couches inférieures de la société aux époques d'ignorance et de misère :

Nos sumes homes cum (comme) il sunt,

Toz membres avum cum il unt,

At altresi grans cors avum,

Et altretant sofrir poum (pouvons).

Ne nus (nous) faut fors cuers sulement,
Alium (allions) nos par serement,
Nos aveir et nus defendum.

E tuit (tous) ensemble nus tenum.

condensés en prose latine sous la plume de Geoffroi de Montmouth, chapelain d'un roi d'Angleterre, puis ils se développèrent dans la prose romane de Robert Borron, de Luce de Guast, pour charmer la cour d'un autre successeur de Guillaume le Conquérant, en même temps qu'ils reprirent le vêtement poétique, au nord de la France, grâce à la verve enjouée d'un trouvère champenois, Chrétien de Troyes, qui est un de nos plus anciens poëtes et des meilleurs. Ainsi ce cycle romanesque a lui-même ses aventures.

Arthur est le centre de cette épopée, mais, comme Agamemnon dans l'Iliade, comme Charlemagne dans a plupart des chansons de gestes, comme Godefroi dans la Jérusalem délivrée, il n'en est pas le personnage le plus considérable; souvent il est éclipsé par les guerriers qui l'entourent. Dans Lancelot du Lac, notamment, il doit céder la première place au courage et à la galanterie d'un des chevaliers qu'il a fait asseoir autour de la Table ronde. Tristan du Leonois condamne au même rôle le roi Marc, époux de la blonde Iseult. Ces deux romans sont loin d'être édifiants; l'amour y domine, c'est peut-être pour cela qu'ils ont eu plus de vogue que les compositions du même cycle auxquelles la pensée religieuse impose une certaine gravité. Tel a été le sort du saint Graal,

E se nus voilent guerroier,

Bien avum, contre un chevalier,
Trente ou quarante paisanz
Maniables et cumbatans.

Ces paysans comptaient sans les armures des chevaliers,

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