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à la vénération que doit nous inspirer cet antique monument de poésie nationale '.

Rien n'est plus martial que l'attitude et les paroles de Roland depuis le début de la bataille jusqu'à sa mort. Quand l'ennemi arrive voici ce qu'il répond à Olivier, qui lui rappelle avec reproche son refus de sonner du cor :

« Quant Rolland veit que bataille serat,
Plus se fait fiers que leun ni leupart,
Franceis escriet, Oliver apelat :

Sire compains, amis, ne l'dire ja!
Li emperere ki Franceis nous laissat,
Itels xx milie en mist a une part;
Son escientre, n'en i out un cuard!

Par son seignur deit hom susfrir granz mals,

Et endurer e forz freiz e granz chalz;

S'en deit hom perdre del sanc e de la chair.

Fier de ta lance, e jo de Durandal,

Ma bone espee que li reis me dunat!
Se jo i moere, dire poet ki l'avera :
Iceste espee fut a noble vassal ! »

1 M. Génin est plus ambitieux que nous, il va jusqu'à supposer que le manuscrit imprimé par M. Francisque Michel et réimprimé par lui a pu être le vade mecum de Taillefer le jongleur, qui figure dans le récit de la bataille d'Hastings, Roman de Rou, par Robert Wace; v. 1319:

Taillefer, qui moult bien cantoit,
Sur un roncin qui tost aloit,
Devant eux s'en aloit cantant
De Carlemagne et de Rolant,
Et d'Oliver et des vassaus

Qui moururent à Ronscevaus.

Éd. G., ch. 11, p. 95. Ed. F. Michel, p. 44. « Quand Roland

La rouille du langage n'efface pas le relief de ces mots simples et forts, de ces idées si nette, de ces sentiments si héroïques. Le dévouement au prince, à l'honneur de la France, l'amour si naturel au guerrier pour ses armes qui l'ont aidé à vaincre, le sacrifice de la vie, tout est là sans fausse gloire et sans vaines paroles.

Lorsque Roland a cessé de vivre, après quels exploits, on le sait, et que les anges du Seigneur ont emporté son âme vers le ciel, le héros n'en reste pas moins présent aux yeux du lecteur, par les regrets qu'il excite et par la vengeance poursuivie contre le traître qui a dressé le piége où il a péri. Déjà même avant qu'il ait rendu l'âme la nature est en deuil, le ciel se voile, la terre tremble, les vents grondent et gémissent:

C'est li granz doel por la mort de Rollant 1.

s'écrie le poëte. Mais citons le passage tout entier tel que M. Génin l'a traduit : « En France en est moult

voit qu'il y aura bataille,

Plus fier il se fait que lion et léopard, — Il crie aux Français, il s'adresse à Olivier : « Seigneur, compagnon, ami, ne parle pas ainsi !

L'empereur,

qui nous a laissé des Francais, Les a mis tels au nombre de vingt mille en un corps; A son escient, il n'y a pas entre eux un seul couard! Pour son Seigneur doit-on souffrir

grands maux - Et endurer grands froids et fortes chaleurs; Tout homme doit en perdre du sang et de la chair. - Frappe de ta lance et moi de Durandal, Ma bonne épée que le roi m'a donnée! Si je meurs, celui qui l'aura pourra dire: Cette épée était celle d'un noble soldat!»

1 Ed. Génin, p. 1

merveilleux tourment; grands tourbillons de tonnerre et de vent; pluies et grésil à demesure; foudres qui tombent; et la terre, en vérité, tremble de Saint-Michel de Paris jusqu'à Sens, de Besançon jusqu'au port de Wissant! il n'est logis dont les murs ne se crèvent! vers le Midi sont de grandes ténèbres, et n'y fait clair que quand le ciel se fend! nul ne le voit que moult ne s'épouvante; disent plusieurs « C'est le définement, c'est la fin du siècle présent!» Ils ne le savent, et se trompent : c'est le grand deuil pour la mort de Roland! » Quel tableau! C'est, si l'on veut, l'enfance de l'art et de la langue, mais n'est-ce pas en même temps le point le plus élevé et la pleine maturité du sentiment héroïque ?

Si les choses elles-mêmes pleurent, sunt lacrymæ rerum, quelle sera la douleur des hommes ? Charlemagne ne veut pas être consolé, c'est le désespoir d'une mère privée de son enfant : « Ami Roland, s'écrie-t-il, Dieu fasse fleurir ton âme en paradis parmi les glorieux ! pour quel malheur es-tu venu en Espagne ? Jamais jour ne se passera que je n'aie douleur de ta mort. Combien vont déchoir ma force et mon courage! qui sera désormais le soutien de mon honneur? Je ne pense plus avoir sous le ciel un seul ami. S'il me reste des parents, il n'y en a point qui soit aussi brave. » Les sanglots, les cris de douleur, les gestes désespérés du pauvre empereur, qui s'arrache la barbe et les cheveux, se multiplient sans épuiser sa douleur, et dans l'armée entière il n'y a pas un seul témoin de ce deuil qui ne répande des larmes.

La chanson de Roland compte déjà bien des admis

rateurs.

C'est avoir profité que de savoir s'y plaire.

Mais pour s'y plaire, il faut la comprendre. Personne ne l'a mieux comprise que M. Vitet, qui en a donné une analyse fidèle ', lumineuse, où je ne sais quel souffle poétique soulève et colore les beautés latentes ou obscurcies du texte original. Elle invite les profanes qui méritent d'être initiés à entrer dans le sanctuaire, dont elle rend l'accès plus facile. N'est-ce pas aussi faire œuvre de saine critique et de patriotisme littéraire que de provoquer de pieux pèlerinages vers ces premiers et vénérables monuments, si longtemps délaissés, de notre vieille poésie 2?

Au reste, le désastre de Roncevaux, ainsi transfiguré et devenu plus triomphant qu'une victoire de ce côté des Pyrénées, répand d'autres lumières encore sur la formation des légendes poétiques. Nous pouvons voir ce que devient le même fait sous des influences diverses, puisque nous avons l'hymne des montagnards qui ont seuls détruit et détruit com

1 Revue des Deux Mondes, 1er juin 1852.

2 Il y aurait de l'ingratitude à ne pas rappeler que, dès 1832, M. H. Monin publiait sur le poëme de Roland, alors inédit, une très-intéressante dissertation; qu'en 1847, M. Bourdillon disposait, à la manière des diascévastes de la Grèce, un texte bardiment remanié de la Chanson de Roncevaux; enfin, que, vers la même époque, M. Delécluze nous en offrait une traduction complète.

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plétement l'arrière-garde de Charlemagne, en faisant rouler du haut des Pyrénées dans l'étroit vallon où s'étaient engagés nos soldats d'énormes blocs de pierre et des arbres entiers. Ce chant de victoire, ou plutôt d'extermination, a pris place dans l'histoire '. M. Henri Martin l'a enregistré comme un témoignage contemporain et authentique. Il a son genre de beauté étrange et terrible dans sa simplicité sauvage. C'est d'abord le bruit lointain d'une armée qui s'avance, on la voit, on essaye de la compter, elle est innombrable. Il faut la détruire. «< Unissons nos bras nerveux, dit le chef des montagnards, déracinons ces rochers, lançons-les du haut des montagnes jusque sur leurs têtes, écrasons-les,tuons-les. Les rochers en roulant tombent, ils écrasent les troupes; le sang ruisselle, les chairs palpitent. Ah! combien d'os broyés ! quelle mer de sang! » Bientôt de cette foule qu'on ne pouvait compter pas un soldat n'est resté debout. Il n'y a plus que des cadavres — «< la nuit les aigles viendront manger ces chairs écrasées, et tous ces ossements blanchiront dans l'éternité. » De l'autre côté des Pyrénées l'Espagne ne veut pas laisser aux Basques l'honneur de la mort de Roland. Aucun de ses vaillants n'était là. Qu'importe? Elle inventera un héros pour lui attribuer cette gloire dont elle aura le reflet. Ce héros s'appellera Bernard de Car

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1 Ce précieux document a été publié sous le titre de Chant d'Altabiçar en 1835, Journal de l'Institut historique, t. I, p. 176.

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