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le vrai; car les racines qu'on croit retrouver dans l'hébreu pourraient avoir existé d'abord dans les dialectes celtiques.

8. Revenant aux opinions qui s'appuient sur l'histoire, j'examinerai d'abord la première, c'est-à-dire que la langue des aborigènes est la base des langues romanes.

Les idiomes celtiques étaient dominants dans les Gaules, à l'exception du sud-ouest, où l'on parlait ibérien ou basque, et de Marseille avec ses environs immédiats, où le grec était en usage en même temps que la langue celtique. Les savants à portée de faire des études sur ces idiomes celtiques s'en sont fort peu occupés jusqu'à présent, et ce point très-important de notre histoire nationale est malheureusement enveloppé d'épaisses ténèbres. Quoi de plus naturel qu'on ait mis à profit le mystère qui les couvre? Les uns en ont fait la langue primitive, les autres ont dérivé de là tous les mots dont ils ne pouvaient découvrir l'origine.

Duclos (Mém. de l'Ac. d. Inscr. et B.-L. t. XV) fut le premier à avancer que le français était un mélange de celtique et de latin. La Ravalière (Pierre Alexandre Lévesque de) adopta cette idée, et, selon lui, le latin a été enté, pour ainsi dire, sur le celtique. La Ravalière admet que le latin n'a jamais été parlé dans les Gaules que par les gens instruits, tandis que le français, c'est-à-dire le celtique mélangé de latin, a toujours été le langage du peuple; mais Charlemagne, en favorisant le latin aux dépens de sa langue maternelle, la fit tomber en discrédit, et le latin conserva le dessus. La Ravalière pensait en effet que le français était la langue maternelle de Charlemagne, et très souvent après lui on a répété cette erreur. Elle provient d'une fausse interprétation du mot francisca, francica lingua, qui signifie langue franque, c'est-à-dire allemande, et non pas française. La langue des Gaules porta le nom de lingua romana, gallica, gallicana, aussi longtemps que l'allemand (francisca, francica) y florit, et ce ne fut qu'après l'extinction de ce dernier dans les Gaules (au VIIIe siècle à peu près) que le français hérita de ce nom.

Antoine Court de Gébelin, esprit très-original, dériva aussi le français du celtique.

En 1841, M. Bruce-Whyte1 reprit cette idée et la poussa beaucoup plus loin que ses prédécesseurs. Les idiomes cel

(1) Histoire des langues romanes et de leur littérature depuis leur origine jusqu'au XIVe siècle.

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tiques, selon lui, ont été parlés dans tous les pays soumis à la domination romaine, et „Rome, même au faîte de sa puis„sance, n'avait pas les moyens suffisants, lors même qu'elle en „eût la volonté, de réduire au silence les patois des paysans de tout son gigantesque empire." Ainsi le peuple, même sous la domination romaine, continua de parler son patois"; peu à peu, à la vérité, les mots latins introduits par les vainqueurs finirent par prendre le dessus, mais ils furent modifiés conformément au génie de la langue mère de chaque peuple. Enfin, après le démembrement de l'empire, ces dialectes, homogènes „dans leur caractère et leur structure générale, mais différents „entre eux de formes et de détails, reçurent un grand nombre „d'additions et de modifications tirées des idiomes des peuples „qui s'établirent successivement en Italie et dans les provinces; „mais ils furent appelés romans, parce qu'en substance ils furent „transmis par les Romains, en comprenant sous ce nom tous ceux qui avaient obtenu le droit de citoyens." M. BruceWhyte ne se contente pas d'attribuer aux langues romanes une base celtique et un matériel latin prépondérant; il admet un mélange complet de langues en leur supposant encore d'une manière toute gratuite des formes en grande partie allemandes. Un pareil système n'a pas besoin de réfutation.

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9. En 1848, M. Fr. Wey publia une Histoire des révolutions du langage en France", dans laquelle on lit (p. 14): „Les ,,colons qui s'installèrent dans les Gaules dès les temps de Jules„César, y apportèrent leur langage et leur civilisation, qui de„vint prépondérante, parce qu'ils fondèrent des villes et une administration régulière, au lieu de se disperser. Les Gaulois, ,qui reculèrent (?) devant eux jusqu'au delà de la Manche et „aux confins de l'Armorique, ne purent leur imposer leur dialecte, „ni leurs moeurs. Les Germains, les Franks, durant cette pre,,mière époque qui embrasse presque tout l'empire, introduisirent „peu d'éléments nouveaux. Nulle force humaine ne saurait con„traindre un peuple à changer son langage: les Gallo-Romains „ont donc gardé le leur dans notre patrie. Cependant nous voyons qu'à la fin de l'empire, ce langage, latin d'origine, était „devenu sans intervention étrangère (?), un dialecte romain qui „différait du latin par des caractères essentiels. Le germe de „ce dialecte est donc arrivé des diverses contrées de l'Italie avec „les vainqueurs." Ainsi, selon la théorie de M. Wey, le français et l'italien devraient être identiques.

10. Une opinion diamétralement opposée à la première veut que les langues romanes soient nées entièrement ou en partie des langues des conquérants de l'empire romain. Les plus importants et le plus grand nombre de ces derniers étaient de race allemande; aussi, dès le XVIIe siècle, chercha-t-on à prouver que les langues romanes dérivent de l'allemand. Cette opinion n'est pas du tout soutenable, car si les langues romanes avaient l'allemand pour base, elles cesseraient par cela même d'être langues romanes. Cependant on ne peut révoquer en doute l'influence des dialectes allemands sur le matériel des langues romanes; mais cette influence ne causa aucun dérangement essentiel dans leur organisme. On y rencontre, il est vrai, quelques dérivations et compositions formées à la manière allemande, et la syntaxe des idiomes germains a sans doute réagi assez fortement sur celle du latin; mais ce sont des particularités qui disparaissent dans l'ensemble 1. Schlegel et Sismondi sont, en France, les principaux défenseurs de cette théorie.

11. La dernière opinion, c'est-à-dire que les langues romanes dérivent du latin, compte le plus grand nombre d'adhérents; mais ils sont loin d'être d'accord sur la manière dont elles se sont formées et en quel rapport elles se trouvent avec le latin.

Raynouard chercha à prouver que les langues romanes ne dérivent pas immédiatement du latin, et qu'il y a eu une langue intermédiaire, leur type commun, qu'il nomma romane ou langue des Troubadours (v. Gramm. c. d. l. d. l'Eur. lat. p. I et suiv. p. III et tous les ouvrages de R.). Schlegel s'éleva contre cette opinion, tout en accordant, mais à tort, que la langue romane „soit, pour ainsi dire, la fille aînée de la langue latine 3. 66 „On ne peut, strictement parlant, attribuer à aucune langue une plus haute antiquité qu'à une autre, et l'on confond trop souvent l'âge d'une langue avec celui de ses monuments écrits." M. Ampère a consacré aussi un chapitre de son „Histoire de la littérat. franç." à la réfutation de Raynouard, et l'on peut regarder la cause de ce savant distingué comme tout à fait perdue.

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Ceux enfin qui font immédiatement dériver les langues romanes du latin, forment deux classes bien distinctes: les uns

(1) Diez, Grammatik der romanischen Sprachen, I, p. 57.

(2) On sait que Schlegel écrivit en français et publia à Paris son ouvrage sur la Littérature provençale.

(3) Hist. de la litt. et de la lang. prov. p. 5.

veulent qu'elles soient une mutilation et une corruption du latin classique; les autres, qu'elles soient un dégagement de l'ancien idiome vulgaire latin.

La première de ces suppositions n'a pas, que je sache, de représentant en France; car M. Ampère admet une mutilation et une décomposition des formes grammaticales latines, et en même temps une organisation nouvelle. „Le changement, dit„il, qui dénature les mots s'étend aux formes grammaticales, ,, ce qui est plus important, car les formes grammaticales sont „l'âme des langues, les mots n'en sont que le corps. Avec le „temps on confond ces formes entre elles, on les néglige; on „les emploie hors de propos, ou on cesse de les employer. De „là résulte un langage mutilé, semblable à un corps privé de ,,ses organes. Pour que ce langage reprenne une nouvelle vie, „il faut qu'il reçoive une organisation nouvelle. C'est alors que se manifeste l'action d'un principe régénérateur. L'antique syn,,thèse grammaticale est détruite; les flexions grammaticales sont perdues." "La langue latine, dit-il plus bas, s'est transformée „d'elle-même dans les idiomes néo-latins, en vertu de lois gé„nérales, et non par suite d'événements particuliers;“ puis: „On ,, découvre les rudiments de ces diverses tendances dans la langue „latine à son état le plus ancien.“

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Reste l'opinion de ceux qui regardent les langues romanes comme un dégagement des idiomes populaires latins; c'est celle de Fallot. On a vu plus haut que je m'y range.

12. Le peuple de chaque pays a un langage qui lui est propre; c'est une règle générale, fondée sur la nature. Quelques philologues ont néanmoins soutenu que les Latins n'avaient jamais eu d'idiome vulgaire. Ce serait là, comme l'a fort bien dit M. Diez, une exception unique et tout à fait inexplicable, pour laquelle on serait en droit de demander des preuves, qui n'ont jamais été fournies et qu'il est impossible de fournir. L'existence d'un idiome vulgaire latin, au contraire, a été prouvée par des citations tirées des écrivains classiques eux-mêmes.

Le latin écrit et le latin vulgaire furent, il est problable, identiques dans les commencements; mais à dater des conquêtes romaines hors de l'Italie, époque à laquelle se séparèrent d'une manière tranchante les degrés divers de la hiérarchie sociale, il s'établit entre eux une différence fort marquée, qui alla toujours

(1) MM. J. Grimm, Diez et Fuchs sont, en Allemagne, les principaux représentants de cette théorie.

en augmentant. Plus on cultiva la langue latine, plus on l'écrivit, plus on sentit le besoin d'en perfectionner les formes. Les grands envoyaient leurs fils en Grèce pour y étudier, pour s'y former le goût, et le langage écrit dut se ressentir de ce contact: il se polit et devint plus savant, tandis que l'idiome vulgaire suivait nonchalamment sa voie large et commode. Bientôt la culture et la formation de la langue furent le partage de quelques hommes éminents; elle passa dans les mains des poètes et des rhéteurs, et alors on parla d'une langue vulgaire et d'une langue savante. Aussi longtemps que ces deux contraires restent dans leurs rapports normals, dit G. de Humboldt', ce sont deux sources pour la langue commune qui se suppléent mutuellement: la vigueur et l'épuration; la langue vulgaire fournit la vigueur et la richesse, les savants épurent. Tel ne fut pas le cas à Rome; les écrivains ne cherchaient pas la vigueur et la richesse dans l'idiome du peuple, qu'ils méprisaient; ils allaient faire des emprunts au grec, et l'abîme qui séparait l'idiome vulgaire de la langue savante devint infranchissable. Ajoutons à cela que l'habitude contractée par le peuple romain de s'exprimer autant que possible d'une manière simple, précise et déterminée, donna de bonne heure naissance à des mots, à des expressions conventionnels, qu'on ne pouvait employer d'autre façon sans pécher contre les lois de la langue. La désignation conventionnelle d'idées différenciées conventionnellement donna à la langue, il est vrai, une plus grande précision; mais d'un autre côté cela lui fit beaucoup de tort. Nombre de mots racines furent, pour cette raison, éliminés peu à peu, l'emploi libre des mots admis fut trop restreint quand il s'éloignait de celui fixé conventionnellement, et par conséquent il fut impossible, pour ainsi dire, de faire de nouvelles créations; enfin les différences dialectales furent presque entièrement bannies du langage écrit. Telles sont les causes principales de la prompte décadence de la langue latine 2.

La langue écrite était celle de la cour, des grands et des tribunaux; son siége principal était à Rome et son règne devait durer aussi longtemps que Rome commanderait. L'idiome vulgaire était la langue du peuple proprement dit, et par consé

(1) W. v. Humboldt, Ueber die Verschiedenheit des menschlichen Sprachbaues und ihren Einfluss auf die geistige Entwickelung des Menschengeschlechts.

(2) Les remarques qui précèdent s'appliquent malheureusement aussi au français, en grande partie du moins, et il serait temps que nos écrivains prissent à coeur les sages conseils de Ch. No dier (v. ses Notions de linguistique).

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