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quent de la majorité de la nation. L'une se transplantait d'ellemême, se développait d'une manière normale et populaire, l'autre devait être étudiée ou apprise par l'usage; l'une portait en ellemême son principe vital, l'autre était l'oeuvre de quelques savants qui la façonnaient selon leur bon plaisir.

Les Romains imposèrent leur langue à tous les peuples vaincus, et il est bien naturel que ce ne fut pas la langue savante mais l'idiome vulgaire, qui prit, cela s'entend de soi-même, de nombreuses teintes dialectales. La nature du sol, la configuration du pays, le degré d'extension qu'acquit la langue latine savante, la prononciation de la langue des vaincus, le rapport de la population indigène à celle des vainqueurs, contribuèrent principalement à modifier l'idiome vulgaire latin.

Ces dialectes conquirent chaque jour plus de terrain sur la langue latine, et l'on peut dire que vers l'an 300 ap. J.-C., celle-ci était presque disparue du commerce de la vie. En effet, la langue savante se modelait de plus en plus sur le grec; les écrivains étaient maniérés, ampoulés, obscurs à dessein; les grands se servaient du grec dans la conversation, ils étaient plus grecs que romains dans leur genre de vie; le cercle des idées s'était agrandi avec l'empire, on créa des expressions pour les rendre, et, dans cette opération, l'influence étrangère fut prédominante; le latin se corrompit au point que le sentiment de la signification propre des mots et du sens des formes grammaticales de la langue latine s'était tout à fait émoussé et obscurci parmi le peuple. Le latin devait avoir moins de vie encore pour les étrangers qu'on forçait à s'en servir. De plus, les pères de l'église, qui voulaient exercer leur influence sur le peuple, puisaient à pleines mains dans les dialectes; ils augmentaient le vocabulaire, remettaient en honneur la poésie populaire, et l'idiome vulgaire osa se montrer à côté de la langue savante. Puis au démembrement de l'empire, lorsque fut rompu le lien spirituel et moral qui réunissait entre elles les diverses provinces, et que chaque partie forma un tout séparé, l'idiome vulgaire de chaque pays acquit plus d'indépendance et de valeur. Il y eut alors une époque de passage. D'un côté, on voit quelques savants se cramponner à la langue écrite, qui avait encore un appui dans la justice et l'école; de l'autre, l'idiome vulgaire lève fièrement la tête, et une lutte désespérée s'engage. Elle dura des siècles, il est vrai; mais l'issue fut tout en faveur des idiomes populaires; car pour ceux-là même qui le défendaient, le latin savant était une langue morte. Au IXe siècle,

quelques-uns de ces dialectes étaient parvenus à l'état de langue propre et distincte, et dès lors ils doivent perdre le nom de dialectes latins pour prendre celui de langues romanes et de dialectes romans. Je date l'histoire des langues romanes de cette époque, parce que les premiers monuments écrits qui nous en sont parvenus ne remontent pas plus haut. (Cfr. Schoell, Hist. abrégée de la littér. romaine; Diez, Poesie der Troubadours p. 287 et suiv.; Fuchs, Rom. Spr. p. 35 et suiv.)

13. Concluant de ce qui précède, je répète que les langues romanes sont un développement organique du vieil idiome latin vulgaire1, et que de plus elles doivent être considérées comme un progrès, sinon total, du moins partiel, par rapport à la langue latine. Cela est facile à concevoir. L'histoire de l'hu„manité, prise dans son ensemble, se perfectionne sans cesse," c'est là un fait que personne n'attaque plus aujourd'hui; „chaque „partie de cette histoire doit donc naturellement suivre la même marche progressive, quoique le progrès ne soit pas également ,,sensible partout. La partie la plus importante de l'histoire „d'un peuple est sans contredit l'histoire de sa langue; car la ,,langue étant l'expression corporelle des pensées (qu'on me passe l'expression), elle doit avoir une histoire, c'est-à-dire qu'elle ,,se développe continuellement dès qu'elle est parlée par un "peuple constitué, qui par conséquent fait partie du domaine ,,de l'histoire." (Fuchs, Rom. Spr. p. 52.)

L'humanité, il est vrai, semble quelquefois s'arrêter, néanmoins elle n'est pas immobile; elle range, ordonne ce qu'elle a acquis et recueille de nouvelles forces pour entreprendre un nouveau voyage. Il en est de même de la langue. Je prends le français dans un de ces moments de passage, qui correspond aux XIIe et XIIIe siècles, et je veux chercher à faire connaître les règles grammaticales qui le régissaient alors. C'est une page de l'histoire de notre langue que je hasarde, comme dit Fallot. Je me fonderai sur les monuments écrits du temps, je n'inventerai rien, je ne supposerai rien. Je justifierai les règles que j'établirai par des exemples suffisants tout à la fois pour faire comprendre ces règles et pour leur servir de preuves.

(1) On trouve encore une preuve de l'étroite liaison qui existe entre les langues romanes et le vieil idiome vulgaire latin dans le genre des substantifs, où les premières ont souvent conservé celui que le peuple latin leur donnait d'abord et que les écrivains changèrent plus tard; ainsi frons, le front, est masculin dans Plaute; pulvis, la poudre, féminin dans Ennius; cupressus, laurus etc., masculins dans Ennius etc.

14. J'ai à traiter avant d'entrer spécialement dans l'exposé des règles grammaticales, quelques questions dont l'éclaircissement est indispensable à l'intelligence de ce qui suivra.

15. Outre l'idiome latin vulgaire qui, comme je l'ai dit, a donné naissance au roman, on trouve dans le matériel de ses divers dialectes d'autres éléments que le grammairien ne peut passer sous silence. Ces éléments sont, pour le français: le grec, l'allemand et le celtique.

16. Abstraction faite des mots grecs qui se trouvent déjà dans le latin, il s'en rencontre fort peu en français1, et le plus grand nombre y a sans doute passé au temps des croisades.

17. Le français est de toutes les langues romanes celle qui a fait le plus d'emprunts aux idiomes allemands.

L'admission des mots dérivant immédiatement des idiomes germains commença avec l'invasion des peuplades teutones et ne cessa que lors de la disparition de l'allemand dans les Gaules, c'est-à-dire dans la première moitié du VIIIe siècle. C'est à cette époque qu'eut lieu le mélange définitif des deux peuples germain et roman, mélange où la partie romaine bien supérieure en nombre conserva le dessus.

On peut diviser en trois grandes classes les mots d'origine germaine admis dans le français, et les savantes recherches de M. J. Grimm permettent de fixer à peu près l'époque de leur admission. Les premiers dérivent du gothique et ont été introduits au VIe siècle au moins; les seconds sont empruntés au haut-allemand. Les mots de la troisième classe sont ceux introduits par les Normands lors de leur invasion dans le nord-ouest de la France. Ces peuples, il est vrai, oublièrent très - facilement leur langue, car sous le second duc de Normandie, Guillaume I, on ne la parlait déjà plus que sur les côtes (voy. Rom. de Rou t. I, p. 126, note 3, et Chronique des Ducs de Normandie t. I, p. 479, v. 11520 et suiv.); néanmoins elle laissa de nombreuses traces dans le français 3.

(1) Je ne compte pas ici les expressions introduites plus tard dans la terminologie des sciences,

(2) Je dis immédiatement, parce que quelques-uns passèrent d'abord dans le latin, d'où les langues romanes les ont repris.

(3) Je profite de cette occasion pour protester contre ceux qui veulent que l'aplatissenient des formes, un des caractères du français, soit un résultat de la conquête normande. Les Serments de Strasbourg, le fragment de Valenciennes, le Chant d'Eulalic, sont une preuve du contraire.

18. En réfutant ceux qui veulent faire du français une langue celtique, je n'ai pas entendu dire que le celtique n'eût eu aucune influence sur notre langue; j'ai seulement repoussé un système basé sur un faux point d'honneur national, et dont ont habilement profité de prétendus savants pour cacher leur ignorance sous les faux dehors d'une profonde érudition. Sans doute l'élément celtique est représenté dans le français, mais à quel point? Voilà la question qu'il s'agit de résoudre.

Les Celtes habitant les Gaules appartenaient, on le sait, à deux familles différentes, quoique venant également de l'Asie; la première, qui s'établit dans le centre et à l'ouest de la Gaule, entre la Seine et la Garonne, est celle des Gaulois proprement dits. Ils avaient d'abord habité l'Allemagne et furent chassés de leurs demeures par la seconde famille, qui, partant du Volga', et suivant les côtes de la mer Baltique, vint se fixer enfin dans la Belgique; ce sont les Belges. Les Gaulois et les Belges avaient chacun leur langue, dont jusqu'à présent on n'a découvert aucun texte suivi. On n'en connaît que quelques mots épars; des noms de lieux, de provinces, de fleuves, de montagnes etc.; enfin des dénominations ayant rapport à la vie commune, aux moeurs et aux coutumes, explicables seulement à l'aide des langues celtiques encore vivantes. On s'étonnera peutêtre qu'une langue parlée sur une si vaste étendue de pays ait laissé de si faibles traces. Trois causes y ont concouru: 1o. Les Druides écrivaient peu et enseignaient oralement; 2°. les Romains traitaient les Gaulois et leur langue avec le plus grand mépris; 3°. la conquête allemande força vainqueurs et vaincus à admettre une langue commune, et le choix ne pouvait tomber que sur le latin qui, comme je l'ai déjà dit, était la langue d'état et de l'église. Au témoignage de Grégoire de Tours (De vit. patr. ch. 12) et de Fortunatus (I, 9, 9), le gaulois ne se parlait déjà plus que dans quelques cantons au VIe siècle, et dès la fin du VIIe il avait entièrement disparu.

La part légitime du celtique dans le vocabulaire français doit donc être fort petite. Les dialectes qui en sont dérivés ont subi des altérations profondes; beaucoup de racines ont disparu et des corruptions successives en rendent un grand nombre méconnaissables. De plus, il a fallu suppléer à ces disparitions en empruntant aux idiomes voisins tous les mots nécessaires aux besoins de la langue, et en passant dans leur nouvelle patrie,

(1) C'est du moins à partir de la que nous pouvons les suivre.

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ils ont pris un caractère qui ne permet plus de les distinguer des autres. Ce rapport naturel du celtique avec les autres idiomes qui ont concouru à la formation du français, couvre son action d'un voile impénétrable. Pour être juste, la critique doit écarter toutes les racines qui ont pu entrer dans le français par l'intermédiaire du latin ou de l'allemand, et n'accepter comme celtiques que celles dont l'origine s'appuie sur de nouvelles présomptions. Mais si les idiomes celtiques n'ont exercé aucune influence sur les formes de la pensée, ni par conséquent sur l'ensemble de la langue, leur action a dû être assez considérable sur la prononciation et sur la forme que celle-ci imprime aux mots.

19. Pour compléter ce que j'avais à dire sur les éléments constitutifs de la langue française, je citerai encore l'arabe et l'ibérien ou basque, comme lui ayant fourni quelques mots. M. Mary-Lafon (Tableau hist. et litt. de la langue . . . romanoprovençale. Paris 1842), il est vrai, en cite un assez grand nombre qui, selon lui, proviennent de ces deux sources; mais il n'est pas très-heureux dans ses dérivations.

20. Il est très-probable, grammaticalement parlant, qu'il y eut d'abord dans les Gaules une seule et même langue, avec des nuances diverses toutefois selon les localités. Dès la fin du IXe siècle, nous y trouvons deux langues fort distinctes: le Provençal au sud et le Français proprement dit au nord. Le premier est encore connu sous les noms de langue d'oc, de langue romane, de langue occitanienne; le second est désigné aussi sous le nom de romane ou de langue d'oïl. Je n'ai rien à dire ici de la langue d'oc; elle a été l'objet des savantes recherches de l'illustre Raynouard.

21. J'ai dit ci-dessus qu'on rencontre dans le français quelques dérivations et compositions formées à la manière allemande, et que la syntaxe des langues germaines a sans doute réagi assez fortement sur celle du latin; puis j'ai ajouté que ces particularités disparaissent dans l'ensemble. Mais si l'action des idiomes germains n'a causé, en dernier résultat, aucun dérangement essentiel dans l'organisme de la langue romane; elle a été au contraire très-considérable sur la prononciation et sur la forme des mots. La prononciation germaine et la prononciation cel

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