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vérité, il démêle aussi les besoins des autres animaux ; mais ne seroit-ce point relativement à lui qu'il a fait cette étude? Si le chien ne s'occupe point de l'avoine du cheval, c'est peut-être parce que le cheval ne sert pas aux besoins du chien. Nous avons cependant des convenances naturelles qui nous sont propres, telles que l'usage de l'agriculture et du feu. Ces connoissances prouveroient sans doute notre supériorité naturelle, si elles n'étoient pas encore des témoignages de notre misère. Les animaux n'ont pas besoin d'allumer de feu et d'ensemencer la terre, puisqu'ils sont vêtus et nourris par la nature; d'ailleurs, plusieurs d'entre eux ont en eux-mêmes des facultés bien supérieures à nos sciences, qui nous sont, au fond, étrangères. Si nous avons découvert quelques phosphores, la mouche lumineuse des tropiques a en elie-même un foyer de lumière, qui l'éclaire pendant la nuit. Tandis que nous nous amusons à faire des expériences avec l'électricité, la torpille l'emploie à sa défense; et pendant que les académies de l'Europe pro

posent des prix considérables pour ceux qui trouveront le moyen de déterminer la longitude en pleine mer, des paillenculs et des frégates parcourent tous les jours des trois ou quatre cents lieues entre les tropiques, d'orient en occident, sans jamais manquer de retrouver, le soir, le rocher d'où ils sont partis le matin.

C'est bien une autre insuffisance, lors

que les philosophes veulent employer, pour combattre l'intelligence de la nature, cette même raison qui ne peut servir à la connoître. Voilà de beaux argumens sur les dangers des passions, la frivolité de la vie, la perte de l'honneur, de la fortune, des enfans. Vous me délogez bien, divin Marc-Aurèle, et vous aussi, sceptique Montaigne; mais vous ne me logez pas. Vous m'appuyez sur le bâton de la philosophie, et vous me dites: Marchez ferme; courez le monde en mendiant votre pain; vous voilà tout aussi heureux que nous dans des châteaux, avec nos femmes et la considération de nos voisins. Mais voici un mal

que vous n'avez pas prévu. Je n'ai reçu, dans ma patrie, que des calomnies pour mes services; je n'ai éprouvé que de l'ingratitude de la part de mes amis, et même de mes patrons; je suis seul, et je n'ai plus de quoi subsister; j'ai des maux de nerfs, j'ai besoin des hommes, et mon ame se trouble à leur vue, en se rappelant les funestes raisons qui les réunissent, et qu'on ne vient à bout de les intéresser qu'en flattant leurs passions, et en devenant vicieux comme eux. A quoi lui a servi d'avoir étudié la vertu? elle se trouble par ces ressou venirs, et même sans aucune réflexion, au simple aspect des hommes. La pre. mière chose qui me manque est cette raison, sur laquelle vous voulez que je m'appuie. Toutes vos belles dialectiques disparoissent, précisément quand j'en ai besoin. Mettez un roseau entre les mains d'un malade : la première chose qui lui échappera, s'il lui survient une foiblesse, c'est ce même roseau; et s'il vient à s'appuyer dessus, dans sa force, il le brisera, et s'en percera peut-être la main.

La mort vous guérira de tout, me ditesvous; mais pour mourir, je n'ai pas besoin de tant raisonner; d'ailleurs., je n'entre pas vivant dans la mort, mais mourant et ne raisonnant plus-, sentant toutefois et souffrant encore (1).

Qu'est-ce, d'ailleurs, que cette raison dont on fait tant de bruit? Puisqu'elle n'est que la relation des objets avec nos besoins, elle n'est donc que notre intérêt personnel. Voilà pourquoi il y a tant de raisons de famille, de corps et d'états des raisons de tous les pays et de tous

(1) Ainsi, la Religion l'emporte de beaucoup sur la Philosophie, parce qu'elle ne nous soutient point par notre raison, mais par notre résignation. Elle ne nous veut pas debout, mais couchés; non sur le théâtre du monde, mais reposés aux pieds du trône de Dieu; non inquiets de l'avenir, mais confians et tranquilles. Quand les livres, les honneurs, la fortune et les amis nous abandonnent, elle nous présente pour appuyer notre tête, non pas le souvenir de nos frivoles et comédiennes vertus, mais celui de notre insuffisance; et au lieu des maximes orgueilleuses de la Philosophie, elle ne demande de nous que le repos, la paix et la confiance filiale.

Je ferai encore une réflexion sur cette raison, ou, ce qui revient au même, sur cet esprit dont nous sommes si vains: c'est qu'il paroît être le résultat de nos mal

les âges: voilà pourquoi autre est la raison d'un jeune homme et celle d'un vieillard, d'une femme et d'un hermite, d'un militaire et d'un prêtre. Tout le monde a raison, disoit le duc de la Rochefoucault. Oui, sans doute; et c'est parce que chacun a raison, que personne n'est d'accord.

Cette faculté sublime éprouve de plus, dès les premiers momens de son développement, des secousses qui la rendent, en quelque sorte, incapable de pénétrer dans le champ de la nature. Je ne parle pas de

heurs. Il est très-remarquable que les peuples les plus célèbres par leur esprit, leurs arts et leur industrie, ont été les plus malheureux de la terre par leur gouvernement, leurs passions ou leurs discordes. Lisez la vie de la plupart de nos hommes célèbres par leurs lumières, vous verrez qu'ils ont été fort misérables, sur-tout dans leur enfance. Les borgnes, les boiteux, les bossus, ont en général plus d'esprit que les autres hommes, parce qu'étant plus désagréablement conformés, ils portent leur raison à observer avec plus d'attention les rapports de la société, afin d'échapper à son oppression. A la vérité, ils passent pour avoir l'esprit méchant, mais ce caractère appartient assez à ce que la société appelle de l'esprit. D'ailleurs, ce n'est point I a nature qui les a rendus tels, mais les railleries ou les mépris de ceux avec lesquels ils ont vécu.

Αν

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