Obrazy na stronie
PDF
ePub

manœuvres des navires, par les murmures des roseaux agités par les vents. Quand elle ne peut séduire notre raison par des images étrangères, elle l'assoupit par le charme du sentiment: elle fait sortir du sein des forêts, des prairies et des vallons, des bruits ineffables qui excitent en nous de douces rêveries, et nous plongent dans de profonds sommeils.

Du Toucher.

Je ne ferai que quelques réflexions sur le toucher; il est le plus obtus de nos sens, et cependant il est, en quelque sorte, le sceau de notre intelligence. Nous avons beau voir un corps de toutes les manières, nous ne croyons pas le connoître, si nous ne pouvons pas le toucher. Cet instinct vient peut-être de notre foiblesse, qui cherche dans ces rapprochemens des points de protection. Quoi qu'il en soit, ce sens, tout obscur qu'il est, peut nous communiquer l'in telligence, comme on peut le voir l'exemple cité par Chardin, des aveugles de Perse, qui traçoient avec leurs doigts

par

des figures de géométrie, et jugeoient très-bien de la bonté d'une montre en en maniant les roues. La sage nature a mis les principaux organes de ce sens qui est répandu sur toute la surface de notre peau, dans nos pieds et dans nos mains qui sont les membres le plus à portée de juger des qualités des corps. Mais afin qu'ils ne fussent pas exposés à perdre. leur sensibilité par des chocs fréquens, elle leur a donné beaucoup de souplesse, en les divisant en plusieurs doigts, et ces doigts en plusieurs articulations; de plus, elle les a garnis, du côté du contact, de demi-molettes élastiques, qui présentent à la fois de la résistance dans leurs parties calleuses et saillantes, et une sensibilité exquise dans leurs parties ren

trantes.

Cependant je m'étonne que la nature ait répandu le sens du toucher sur toute la surface du corps humain, qui se trouve, par-là, exposé à une multitude de souffrances, sans qu'il en résulte pour lui beaucoup d'avantages. L'homme est le seul des animaux qui soit obligé de

se vêtir. Il y a, à la vérité, quelques insectes qui se font des fourreaux, comme les teignes; mais ils naissent dans des lieux où leurs habits sont, pour ainsi dire, tout faits. Ce besoin, qui est devenu une des plus inépuisables sources de notre vanité, est, à mon gré, un des plus grands témoignages de notre misère. L'homme est le seul être qui ait honte de paroître nu. C'est un sentiment dont je ne vois pas de raison dans la nature, ni de similitude dans l'instinct des autres animaux. D'ailleurs, indépendamment de toute affection de pudeur, il est contraint, par la nécessité, de se vêtir dans tous les climats. Quelques philosophes, enveloppés de bons man、 teaux, et qui ne sortent point de nos villes, se sont figuré un homme naturel sur la terre, comme une statue de bronze au milieu d'une place publique. Mais sans parler de tous les inconvéniens qui affligent au-dehors sa malheureuse existence, comme le froid, le chaud, le vent, la pluie; je ne m'arrêterai qu'à une incommodité qui nous paroît légère

[ocr errors]

dans nos appartemens, mais qui est insupportable à un homme nu, dans les plus douces températures; ce sont les mouches. Je citerai à ce sujet le témoignage d'un homme dont la peau devoit être à l'épreuve : c'est celui du flibustier Raveneau de Lussan, qui traversa, en 1688, l'isthme de Panama, en revenant de la mer du Sud. Voici ce qu'il dit, en parlant des Indiens du cap de Gracias-à-Dios. « Quand le sommeil les prend, ils font un trou dans le sable « où ils se couchent, et ensuite ils se << recouvrent avec le même sable; ce qu'ils font pour se mettre à couvert des << ́insultes des moustiques, dont l'air est le plus souvent tout rempli. Ce sont de petits moucherons que l'on sent plutôt qu'on ne les voit, et qui ont un aiguillon si piquant et si venimeux, que lorqu'ils l'appuient sur quelqu'un, il << semble que ce soit un dard de feu qu'ils y lancent.

"

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

<< Ces pauvres gens sont si tourmentés << de ces fâcheux insectes, quand il ne << vente point,qu'ils en deviennent comme

[ocr errors]

lépreux; et je puis assurer avec vérité, « le sachant par ma propre expérience,

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

que ce n'est pas une légère souffrance que d'en être attaqué; car, outre qu'ils font perdre le repos de la nuit, c'est << que, lorsque nous avons été réduits à <«< aller le dos nu, faute de chemises, l'importunité de ces animaux nous fai<< soit désespérer et entrer dans des rages « à ne nous plus posséder (1).»

[ocr errors]

C'est, je crois, à cause de l'incommodité des mouches, très-communes et très-nécessaires dans les lieux marécageux et humides des pays chauds, que la nature a mis peu de quadrupèdes à poils sur leurs rivages, mais des quadrupèdes à écaille, comme les tatous, les armadilles, les tortues, les lézards, les crocodiles, les caïmans, les crabes de terre, les bernards- l'hermite, et les autres reptiles écailleux, comme les serpens, sur lesquels les mouches n'ont point de prise. C'est peut-être aussi pour cette

(1) Journal d'un voyage à la mer du Sud, en

1688.

« PoprzedniaDalej »