DE LA NATURE. ÉTUDE DOUZIÈME. DE QUELQUES LOIS MORALES Foiblesse de la raison; du sentiment; preuves de la divinitéet de l'immorta lité de l'ame par le sentiment. TELLES sont les preuves physiques de l'existence de la Divinité, que la foiblesse de ma raison m'a permis de mettre en ordre. J'en ai recueilli peut-être dix fois autant; mais j'ai vu que je n'étois encore qu'au commencement de la carrière; que plus j'avançois, plus elle s'étendoit devant moi; que je serois bientôt accablé de mon propre travail, et que, comme dit l'Ecriture, il ne me resteroit, à la fin des Tome III. A ouvrages de la création, qu'un profond étonnement. C'est un des grands maux de notre vie, qu'à mesure que nous approchons de la source de la vérité, elle s'enfuie de devant nous, et que quand nous en saisissons, par hasard, quelques rameaux, nous ne puissions y. rester constamment attachés. Pourquoi le sentiment qui m'élevoit hier aux cieux, à la vue d'un rapport nouveau de la nature, a-t-il disparu aujourd'hui? Archimède ne resta pas toujours ravi hors de lui-même par sa découverte des rapports des métaux dans la couronne du roi Hieron. Il en trouva, depuis, d'autres plus à son gré: tel est celui du cylindre circonscrit à la sphère, qu'il ordonna qu'on gravât sur son tombeau. Pythagore vit à la fin, de sang-froid, le carré de l'hypothénuse, pour la découverte duquel il avoit voué, dit-on, cent bœufs à Jupiter. Je me rappelle que lorsque j'eus, pour la première fois, la démonstration de ces sublimes vérités, j'en eus une joie presque aussi vive que celle des grands hommes qui en avoient été les inventeurs. Pourquoi s'est - elle éteinte ? Pourquoi faut-il aujourd'hui des nouveautés pour me donner des plaisirs? L'animal est, sur ce point, plus heureux que nous ce qui lui plaisoit hier lui plaira encore demain ; il se fixe à un terme, sans aller au-delà; ce qui lui snffit, lui semble toujours beau et bon.. L'abeille ingénieuse bâtit des cellules commodes, et elle ne fabrique ni arcs de triomphe, ni obélisques pour décorer ses villes de cire. Une cabane suffisoit de même à l'homme pour être aussi bien logé qu'une abeille. Pourquoi lui a-t-il fallu cinq ordres d'architecture, des pyramides, des tours, des kiosques? Quelle est donc cette faculté versatile, appelée raison, que j'emploie à observer la nature? C'est, disent les écoles, une perception de convenances, qui distingue essentiellement l'homme de la bête; l'homme a de la raison, et la bête n'a que de l'instinct. Mais si cet instinct montre toujours à l'animal ce qui lui est le plus convenable, il est donc aussi une raison, et une raison plus précieuse que la nôtre, puisqu'elle est invariable, et qu'elle ne s'acquiert point par de longues et pénibles, expériences. A cela, les philosophes du siècle passé répondoient, qu'une preuve que les bêtes n'avoient pas de raison, c'est qu'elles agissoient toujours de la même manière; ainsi ils concluoient de la per fection même de leur raison, qu'elles n'en avoient pas. On peut voir par là combien de grands noms, des pensions et des corps. peuvent accréditer les plus grandes absurdités; car l'argument de ces philosophes attaque directement l'intelligence suprême elle-même, qui est constante dans ses plans, comme les animaux dans leur instinct. Si les abeilles font toujours leurs alvéoles de la même forme, c'est que la nature fait toujours les abeilles de la même figure. ? Je ne veux pas dire toutefois que la raison des bêtes et celle des hommes soient la même; la nôtre est, sans contredit plus étendue que l'instinct de chaque animal en particulier; mais si l'homme a une raison universelle, ne seroit-ce point parce qu'il a des besoins universels? A la |