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beaucoup de mouvemens, et il n'avance point. Ce genre d'éloquence, indécis et vague, ne convient à aucun grand homme en particulier, parce qu'on peut l'appliquer, en général, à tous ceux qui ont couru dans la même carrière. Si vous changez seulement quelques noms propres dans l'éloge d'un général, vous pouvez y faire entrer tous les généraux passés et à venir. D'ailleurs, son ton empoulé est si peu convenable au langage simple de la vérité et de la vertu, que lorsqu'un écrivain veut y introduire des traits de caractère de son héros, afin qu'on sache au moins de qui il veut parler, il est obligé de les reléguer dans des notes, de peur de déranger son ordre académique.

que

Certainement si Plutarque n'eût écrit les éloges des hommes illustres, on ne les liroit pas plus aujourd'hui que le Panégyrique de Trajan, qui coûta tant d'années à Pline le jeune. Vous ne trou verez jamais entre les mains du peuple, un éloge d'académie. On y verroit peutêtre ceux de Fontenelle, et quelques

autres

autres encore, si les hommes qui y sont loués, s'étoient occupés eux-mêmes du peuple pendant leur vie. Mais la nation lit volontiers l'histoire. Il y a quelque temps que me promenant du côté de l'Ecole Militaire, j'aperçus au loin, près d'une sablonnière, une grosse colonne de fumée. Je dirigeai ma promenade de ce côté-là, pour voir d'où elle provenoit. Je trouvai dans un lieu fort solitaire et assez ressemblant à celui où Shakespear met la scène des trois sorcières qui ap parurent à Macbeth, une pauvre et vieille femme assise sur une pierre. Elle s'occupoit à lire dans un vieux livre, auprès d'un gros tas d'herbes où elle avoit mis le feu. Je lui demandai d'abord pour quel usage elle brûloit ces herbes? Elle me répondit que c'étoit pour en recueillir les cendres et les vendre aux blanchisseuses; qu'elle achetoit à cette fin les mauvaises herbes des jardiniers, et qu'elle attendoit qu'elles fussent entièrement consumées pour en emporter les cendres, parce qu'on les lui voloit dans son absence. Après avoir satisfait ainsi ma cuQ

Tome III,

riosité, elle continua sa lecture avec beaucoup d'attention. Comme j'avois grande envie de savoir quel étoit le livre dont elle charmoit ses peines, je la priai de m'en dire le titre. «C'est la vie de M. "de Turenne, » me répondit-elle. Et qu'en pensez-vous? lui dis-je. « Ah! reprit-elle avec émotion, c'étoit un bien << brave homme, à qui un ministre a << donné bien de la peine pendant sa vie !»> Je me retirai, redoublant de vénération pour la mémoire de M. de Turenne, qui servoit à consoler une femme misérable. C'est ainsi que les vertus des petits s'appuient sur celles des grands hommes, comme ces plantes foibles qui, pour n'être pas foulées aux pieds, s'accrochent au tronc des chênes.

DE LA

NOBLESSE.

Les anciens peuples de l'Europe imaginèrent, pour porter les hommes à la vertu, d'anoblir les descendans de leurs citoyens vertueux. Ils sont tombés dans de grands inconvéniens, en rendant la

noblesse héréditaire; car ils ont interdit par-là aux autres citoyens les routes de l'illustration. Comme elle est l'apanage perpétuel d'un certain nombre de familles, elle cesse d'être la récompense nationale, sans quoi toute une nation deviendroit noble à la fin; ce qui y produiroit une léthargie fatale aux arts et aux mé tiers, comme il est arrivé en Espagne et à une partie de l'Italie. Il en résulte encore bien d'autres maux, dont le principal est de former dans un Etat deux nations qui, à la fin, n'ont plus rien de commun; le patriotisme s'y détruit, et elles ne tardent pas à être subjuguées. Tel a été de nos jours le sort de la Hongrie, de la Bohême, de la Pologne, et d'une partie même des provinces de notre royaume, telle que la Bretagne, où la noblesse trop nombreuse et trop altière formoit une classe absolument distincte du reste des citoyens. Il est digne de remarque que ces pays, quoique républicains, quoique si puissans au jugement de nos écrivains politiques, par la liberté de leur constitution, ont été sub

jugués fort aisément par des princes despotiques, qui ne commandent, dit-on, qu'à des esclaves. C'est que le peuple, par tout pays, aime mieux avoir un souverain que mille tyrans, et que son sort décidé toujours celui de ses maîtres. Les Romains affoiblirent les distinctions injustes et odieuses qui se trouvoient entre les Patriciens et les Plébéiens, en accor dant à ces derniers, des priviléges et des charges de la plus haute considération.

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lly avoit encore parmi eux des moyens, à mon gré plus puissans, d'y rapprocher les deux classes de citoyens; c'étoient les adoptions. Que de grands hommes se formèrent dans le peuple, pour mériter ces sortes de récompenses, aussi illustres et plus touchantes que celles de la patrie! C'est ainsi que s'alevèrent les Catons et les Scipions, pour être greffés dans des familles patriciennes. C'est ainsi que le plébéien Agricola obtint en mariage la fille d'Auguste. Je ne sache pas, et c'est peut-être un effet de mon ignorance, que les adoptions aient jamais été en usage parmi nous, si ce n'est

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