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DES

DEUX MONDES

XXXVIII ANNÉE. SECONDE PÉRIODE

TOME SOIXANTE-QUATORZIÈME

PARIS

BUREAU DE LA REVUE DES DEUX MONDES

RUE BONAPARTE, 47

1868

R34

186812

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Le vieux majordome n'attendit pas que je lui eusse parlé d'une affaire pressée que j'avais à communiquer à sa maîtresse. Mademoiselle avait prévu que je me présenterais; elle avait donné l'ordre de m'introduire. Ainsi elle m'attendait! J'étais si troublé que j'eusse souhaité retenir Stéphen, mais il se retira vite en me disant: Si vous avez quelque chose à me communiquer, vous savez où me trouver.

Célie était seule au salon. Elle ne recevait que moi, personne ne viendrait nous interrompre; mais ce moment si ardemment espéré était arrivé sur les ailes du désespoir.

Elle me reçut avec une sorte de joie contenue; son regard, que je n'osais chercher, appelait courageusement le mien. Je me présentais avec le trouble de l'accusé, elle avait presque la bienveillante sérénité du juge; elle me tendit la main en disant : Vous voilà déjà? c'est bon signe. Nous allons pouvoir parler raison.

Vous m'attendiez! lui dis-je.

Oui, je savais bien que vous ne partiriez pas sans me dire un bon adieu, auquel j'ai droit.

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Où prenez-vous que je vais partir? On m'a dit que vous ne l'exigiez pas.

- Ah! si vous restez, c'est que la guérison est soudaine et radicale. Je l'aime mieux ainsi, c'est plus franc et plus sûr. Alors c'est là ce que vous venez m'annoncer et me promettre?

(1) Voyez la Revue du 15 janvier, du 1er et du 15 février.

Je ne vous annonce rien, je ne vous promets rien! Je suis le maître de ma pensée, de ma conscience et de ma volonté; je viens pour vous parler non de moi, mais de vous.

- J'écoute.

rêté?

Vous savez que le prétendu marquis de Rio-Negro est ar

Oui, on me l'a dit.

Vous n'ignorez pas qu'il manque de discrétion?

Elle eut un étrange sourire et ne répondit pas.

- Je ne sais si vous m'autorisez à vous parler de lui, repris-je, je pensais...

-Oui, après la confidence que j'ai chargé votre tante de vous faire, vous avez le droit de me parler de lui tant que vous voudrez. Pourquoi vous interromprais-je? Dites toujours.

Eh bien! cet homme parlera, et voilà ce qu'il faut, non pas empêcher, c'est impossible, mais contredire et combattre. Croyezvous qu'il ait des preuves...

Contre moi? S'il en avait, de quoi le disculperaient-elles?

De rien, cependant la vanité de jouer un rôle, la vengeance, la jalousie peut-être...

La jalousie contre vous?

La haine contre moi, qui l'ai frappé et blessé au visage.

Que voulez-vous? s'il me perd, c'est que le moment est venu pour moi de donner ma démission d'ange et de descendre de mon piédestal. N'êtes-vous pas un de ceux qui s'en réjouiront un peu, car vous êtes un de ceux que j'ai bien complétement abusés, et, quelque généreux que vous soyez, il y aura bien au fond de votre âme un peu de ressentiment et d'ironie contre moi?

Ai-je donc ce droit-là, moi que vous avez si courageusement désillusionné?

- J'ai peut-être agi ainsi par crainte, en me voyant à la veille d'être démasquée.

Ne m'ôtez pas ce dernier motif de reconnaissance. Prenezvous plaisir à me détacher de vous sans retour?

Puisqu'il le faut!

- Cette exécution vous coûte peu, je le vois.

- Vous le voyez?.. Eh bien! moi, je vois à votre pâleur que vous avez mortellement souffert d'apprendre ma déchéance, que par conséquent vous m'aimiez réellement, et que je ne saurais vous montrer trop de calme pour achever de vous guérir.

Ce calme que vous avez en effet, je ne sais si je dois l'admirer ou le haïr. Vous semblez au-dessus de tous les désastres. Celui de votre situation vous préoccupe à peine, tant vous y êtes préparée. Je ne vous comprends pas, Célie! Si vous méprisez à ce point votre

réputation, c'est-à-dire l'estime des autres, comment et pourquoi une si longue persévérance à vous en montrer digne?

Vous m'approuveriez si, après une faute de jeunesse, je m'étais jetée dans la galanterie?... Mais pardon, j'oublie qu'à présent vous devez me juger capable de tout, et que vous pouvez m'attribuer tous les égaremens: n'est-ce pas dans l'ordre? Voyons, ne parlons plus de moi, ma cause est perdue, et je ne compte pas en appeler. Vous veniez me dire que je courais un danger et qu'il falfait le conjurer? Je n'en vois pas le moyen. Il n'y en a pas.

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Alors il y a des preuves contre vous, et vous le savez?
Apparemment.

Qu'allez-vous faire?

Rien.

Pas même m'indiquer un adoucissement à la situation, un moyen de la tourner? Que sais-je ? Vous n'avez pas vécu dix ans avec ce secret, sans prévoir qu'il serait trahi et sans avoir formé quelque résolution. Doutez-vous de mon dévouement ou le méprisez-vous?

- Ni l'un ni l'autre; mais pourquoi persister dans ce dévouement que, selon vous, je ne mérite plus? Je n'accepterai jamais que ce que je pourrai rendre, amour pour amour, honneur pour honneur. Vous jugez donc votre honneur perdu?

Il ne l'est pas à mes yeux; mais ce que le monde appelle honneur, s'il me le reprend, vous pensez bien qu'il ne me le rendra pas. Expliquez-vous, Célie; vous avez la conscience tranquille, je le vois. C'est donc que...

Je ne veux rien raconter; mais je vous ferai juge d'une situation assez vraisemblable. Une femme qui a aimé très sincèrement est-elle plus coupable parce que l'objet de son amour en est plus indigne? Si cet amour a été un sacrifice, un héroïsme, une bêtise sublime, cela s'est vu! n'est-ce pas assez que le monde la condamne? Ne lui accorderez-vous pas, après ce châtiment qui n'est pas doux, vous le savez, le droit de rentrer tranquillement en ellemême et de se dire : « Je ne me suis perdue ni par ambition ni par vanité, ni par cupidité ni par brutalité de mœurs, ni par lâcheté, bassesse ou calcul quelconque. Je n'ai fait de mal qu'à moi. On n'admet pas ma réhabilitation, mon expiation ne compte pas eh bien! je vivrai avec recours à Dieu dans la suave et saine pensée de l'éternelle justice et de la suprême bonté, et je vivrai heureuse quand même. »>

Elle était si calme et si douce que toute ma fureur acheva de tomber.

- Il est certain, repris-je, qu'une faute commise par vous ne peut pas avoir d'autres motifs que ceux que vous venez de dire.

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