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teur, les unes célébrant elles-mêmes les louanges divines, et les autres donnant le sujet de le louer et parce que les voix réunies de tout ce qui est ne suffisent pas encore pour louer Dieu autant qu'il est louable, après avoir offert celles de tous les saints qui sont sur la terre, et des bienheureux qui sont dans le ciel, nous ajoutons à la fin de chacun de nos cantiques : Gloire au Père, au Fils, au Saint-Esprit, comme elle était au commencement, et à présent, et dans les siècles des siècles : comme si nous disions : qu'à jamais Dieu soit glorifié de la gloire qu'il avait avant toutes les créatures, en son infinie éternité et éternelle infinité. Ainsi va la bienveillance de degré en degré; des créatures insensibles aux raisonnables, de celles-ci aux intellectuelles, des intellectuelles à Marie mère de Dieu, de la Mère au Fils, et du Fils à la Trinité sainte.

Elle va plus loin encore, notre bienveillance envers Dieu. Point d'amant céleste touché de ce sentiment qui ne voudrait lui conquérir, lui attacher, lui assujettir tous les cœurs; qui ne voudrait être la victime de son amour pour Jésus-Christ, comme JésusChrist l'a été de son amour, et pour son père et pour les hommes. Embrasée de ce feu divin, sainte Thérèse à la fleur de son âge, prendra les moyens de passer dans les terres infidèles pour les arroser de son sang; elle honorera de la vénération la plus profonde ceux que leur zèle fait voler au delà des mers pour y faire connaître et sanctifier le nom de Jésus-Christ; l'exaltation de la croix sera toujours l'objet de ses vœux les plus ardents et de sa joie la plus douce; l'opprobre de cet instrument de notre salut sera au contraire le sujet de sa douleur continuelle. Et voilà, mes frères, une des marques à laquelle vous reconnaîtrez si vous avez cette charité parfaite qui est la fin du précepte.

Elle est affective en ce sens qu'elle excite en nous une douleur surnaturelle et divine, c'est ce que j'ai dit en quatrième lieu, et ce que le saint évêque de Genève vous expliquera encore beaucoup mieux que moi. Dans la pratique de l'amour sacré, dit-il, il y a plusieurs sortes de blessures que Dieu Jui-même fait à l'âme qu'il veut perfectionner dans cet exercice sublime; car tantôt il lui donne des sentiments admirables pour la souveraine bonté, comme la pressant et la sollicitant de l'aimer, et alors elle s'élève, elle s'élance vers ce divin objet, et ne pouvant s'avancer autant qu'elle le désire, ô Dieu quelle vivacité de la douleur qu'elle ressent! 6 misérable que je suis, disait l'un de ceux qui ont éprouvé ce travail! qui me délivrera de cette mortalité? (Rom. vu, 24.) tantôt le Seigneur traite cette âme comme s'il doutait de son amour, et alors dans quelle tristesse la jette cette défiance apparente? Ah! Seigneur, disait un apôtre à qui son maître témoignait un doute semblable, vous savez toutes choses; vous savez que je vous aime; quel malheur pour moi si je me trompais, et si je me faisais illusion sur ce point!

quelquefois le Seigneur rappelle au juste le temps où il ne l'aimait pas, et aussitôt l'esprit de ce juste s'humilie; son cœur se déchire, ses yeux se changent en deux fontaines de larmes, le souvenir de ses égarements plonge son âme dans un enfer dont l'amour divin peut seul allumer la flamme; cet amour qui lui tient lieu de richesses, de titres, de famille; cet amour, dis-je, fait son plus grand supplice; éteignez les feux de l'enfer; fermez les portes de l'abîme; enchaînez les exécuteurs de ses vengeances; ouvrez les portes du ciel à ce divin amant; entourez-le d'anges et de séraphins; mettezlui le sceptre dans la main, et la couronne sur la tête, tout cela n'est point capable de tarir la source de ses larmes; avec saint Augustin il s'écrie: Oui, je vous ai aimé bien tard, beauté ancienne et toujours nouvelle ! mais enfin mon cœur est à vous, et jamais il n'aura d'autre maître que vous. D'autrefois aussi le Seigneur découvre à ce juste la multitude des pécheurs, et à l'instant son zèle s'allume, le dévore et le fait sécher: Tabescere me fecit zelus meus (Psal. cxvII, 139); mais laissons les paroles, et venons à des exemples qui vous fassent comprendre combien le feu de l'amour divin à quelquefois agi puissamment et douloureusement sur le corps même de celui qu'il embrasait.

On lit du bienheureux Stanislas Kostka, qu'à l'âge de quatorze ans le feu du divin amour était si vif en son cœur, qu'il enflammait tellement sa poitrine, qu'il était contraint de la rafraîchir avec des linges trempés dans l'eau froide. On lit de saint Philippe de Néry, qu'à l'âge de quatre-vingts aus le divin amour lui causa une telle inflammation que la chaleur cherchant à s'échapper au dehors élargit ses côtes, et même rompit la quatrième et la cinquième. On lit d'un illustre et vertueux chevalier, qu'après avoir parcouru les lieux de la terre sainte les plus célèbres par la demeure, ou par les miracles, ou par les souffrances de JésusChrist, il vint enfin sur le mont des Olives : là, voyant les marques des pieds du Sauveur, il se prosterne sur les sacrés vestiges et les baise mille et mille fois, avec des soupirs d'un amour infini: ensuite il retire à soi toutes les forces de ses affections; il se relève, porte ses mains et ses yeux vers le ciel, et alors, ô Jésus ! s'écrie-t-il, mon doux Jésus! je ne sais plus où vous chercher et suivre en terre eh! Jésus! Jésus mon amour! accordez donc à ce cœur qu'il vou suivre, et qu'il monte avez vous jusque dans les cieux. A peine a-t-il achevé ces derniers mots que l'excès de son amour déchirant son cœur, son âme débarrassée des liens corporeis s'envole dans les cieux. Quelle force. de l'amour divin! dirai-je encore, quelle douceur ou quelle rigueur de cet amour!

Ainsi mourut aussi, mes frères, saint François d'Assise. Quel tendre amour dans ce saint crucifié! il se livrait tellement à ses ardeurs séraphiques; il s'appliquait tellement à la méditation de ce grand mystère de charité, il se le représentait si vivement,

que la force de son imagination lui faisait sentir, non-seulement dans son âme, mais dans ses pieds, ses mains, son côté, la douleur des clous et de la lance qui percèrent le Sauveur. Que dirai-je de plus surprenant encore? et quelle nouvelle espèce de récompense lui fut accordée pour ces sentiments de compassion? Priant un matin sur le mont Alverne, il voit un séraphin, et entre ses ailes la figure d'un homme attaché à la croix, pieds et mains étendus; il comprend aussitôt qu'il doit souffrir le martyre, non le par glaive du persécuteur, mais par celui de l'amour divin, et voilà en effet que tout à coup ses pieds et ses mains sont percés avec des rayons de lumière, tandis qu'à son côté paraît une cicatrice rouge d'où le sang coule de temps en temps. O vrai Dieu, s'écrie ici saint François de Sales! que de douleurs délicieuses! que de délices douloureuses! car, ajoute ce saint, non-seulement alors, mais le reste de ses jours, c'est-à-dire pendant deux ans, François d'Assise alla languissant d'amour divin jusqu'au moment où prononçant ces paroles: Tirez-moi de la prison, les cieux m'attendent: il expira de charité.

Ainsi enfin pour finir par un exemple plus ancien encore, ainsi mourut Marie, mère de Dieu. Près de sa croix elle avait eu l'âme percée du glaive de douleur; elle y avait souffert dans son âme tout ce que son divin fils avait souffert dans sa chair innocente; l'amour l'y avait fait endurer tous les tourments de la mort, et la mort, dit saint François de Sales, lui fit goûter les souveraines douceurs de l'amour divin, étant morte d'un mouvement d'amour, doux, paisible, et vif cependant autant qu'il devait l'être pour lui causer la mort. O vertu puissante du parfait amour! O mort précieuse effet sensible du parfait amour! puisse la mienne lui être semblable! puisse par votre intercession, ô Vierge mère du Dieu de charité! puis le feu de cet amour être assez ardent dans mon cœur pour brûler les liens qui m'attachent à la terre et à mon corps même! Ah! si je ne meurs pas par l'excès de mon amour, qu'au moins je meure pour l'amour de mon Dieu, et dans l'exercice de cet amour si sensible dans la plupart des saints!

Je dis, mes frères, dans la plupart des saints, et je le dis à dessein de vous faire tirer vous-mêmes ces conséquences, que le parfait amour de Dieu n'est donc pas sensible dans tous les saints, au moins dans tous les temps de leur vie; qu'il peut donc exister, et que souvent il existe sans aucune sensibilité; que cette sensibilité n'est donc pas nécessaire au salut: rien de plus certain que ces conséquences, et s'il faut les fortifier, j'ajouterai que non-seulement la tendre sensibilité de l'amour divin n'est point nécessaire, mais qu'elle n'est pas toujours utile ni même possible, j'explique chacune de ces propositions.

1 I n'est point nécessaire que j'aime Dieu d'un amour sensible. Nulle part je ne vois le précepte de cette sensibilité, et sans elle je puis aimer Dieu de tout mon cœur,

pour lui-même et par-dessus tout. 2° 11 n'est pas toujours utile que j'aime Dieu d'un auiour sensible, il est même plus avantageux que quelquefois j'éprouve des sécheresses, des aridités, des abandons apparents; c'est alors, oui, c'est alors surtout que je témoigne à Dieu ma constance à le servir. Lui demeurer attaché lorsqu'il semble se détacher de moi, ou lorsqu'il me marque sa présence par des consolations sensibles; qui ne voit que le premier est beaucoup plus difficile que le second? 3° Il ne m'est pas toujours possible de goûter les délices ineffables du divin amour. Si un saint François de Sales est tombé dans une maladie mortelle par la tentation du désespoir le plus horrible; si sainte Thérèse à passé des années entières sans aucun goût sensible pour la Divinité; si Jésus-Christ, le chef des prédestinés, a crié dans la tristesse de son ame: Mon Dieu! pourquoi m'avez-vous délaissé? Deus, ut quid dereliquisti me? comment pourrais-je jouir toujours de ces consolations qui adoucissent toutes les peines de la vertu? Un cœur d'ailleurs qui ressent plus souvent les impressions de l'amour sensible pour la Divinité est pour l'ordinaire un cœur naturellement susceptible de tendres affections. Or il ne dépend pas de moi d'être né avec une semblable complexion. Par conséquent il ne dépend pas de moi de ressentir à mon gré les impressions de l'amour sensible.

Consolez-vous donc, âmes fidèles, et lorsque cherchant le divin amour, vous ne le trouvez ni dans votre imagination tourmentée de diverses impressions, ni dans votre raison troublée de mille obscurités, ni même, pour me servir de cette expression de notre saint François, ni même dans la cime et suprême pointe de votre esprit où il s'est retiré, et où vous ne pouvez l'apercevoir; parce que des ténèbres épaisses vous en dérobent la vue, oui, je vous le répète, jusque dans cet abîme de sécheresses désolantes, consolez-vous par la pensée que tel est le bon plaisir de Dieu, et malgré vos ennuis, vos dégoûts, vos aversions, continuez vos prières, vos communions, tous vos autres exercices de piété, comme si vous y goûtiez les voluptés les plus pures et les plus douces, c'est le conseil que je vous prie instamment de suivre, âmes timides! qui, quoique fidèles aux commandements, craignez les approches de la table sainte, parce que sa manne céleste n'a pour vous rien que d'insipide. Voyez cependant, examinez si vos sécheresses ne sont pas autres choses que des épreuves de l'Epoux divin qui se cache et qui se plaît à être recherché de l'épouse; considérez si ce ne sont pas des justes châtiments de quelque secrète infidélité, et si vous vous en connaissez coupables, humiliez-vous-en profondément, et le feu sacré que cette boue cache, faites-le reparaître, en invoquant sur sa fange les rayons ardents de la grâce divine, en disant souvent avec saint Augustin:

O amour qui brûlez toujours et qui ne

vous éteignez jamais! ô charité qui êtes mon Dieu, enflammez-moi! changez-en vous toutes les affections de mon cœur, afin que je sois trouvé digne de recevoir ces récompenses que l'œil n'a jamais vues et que vous avez préparées à ceux qui vous aiment. C'est, mes frères, le bonheur que je vous souhaite, au nom du Père, etc.

INSTRUCTION L.

SUR LA CHARITÉ.

Charité effective.

Finis præcepti est charitas. (I Tim. 1, 5.)
La charité est la fin du précepte.

Sans manquer de respect au grand Apôtre, dont j'emprunte ici de nouveau les paroles, je puis renverser la proposition, et dire que la fin de la charité, c'est l'exécution du précepte, que l'un est une suite infaillible de l'autre, qu'où règne la charité à se trouve l'accomplissement de la loi. Ouvrons en effet ces livres saints où il est parlé de l'amour divin, qu'y lirons-nous qui n'autorise ma pensée? nous y lirons que quand le feu de votre amour dilate nos cœurs, ô mon Dieu, nous courons dans la voie de vos commandements: Viam mandatorum tuorum cucurri, cum dilatasti cor meum. (Psal. CXVIII, 32.) Nous y lirons que celui qui aime Jésus-Christ garde ses commandements: c'est Jésus lui-même qui s'explique de la sorte: Si quis diligit me, sermonem meum servabit. (Joan. XIV, 23.) Nous y lirons que la preuve la moins équivoque de notre amour pour Dieu, c'est de le manifester par les euvres c'est saint Grégoire le Grand qui le dit: Probatio ergo dilectionis, exhibitio est operis. Voilà ce que nous lisons dans les écrits inspirés, et dans ceux de tous les Pères. De là, mes frères, je conclus qu'il y a donc deux sortes d'amour de Dieu, l'un affectif, et l'autre effectif; l'un, dit saint François de Sales, par lequel nous affectionnons Dieu, et ce que Dieu affectionne, l'autre par lequel nous servons Dieu et faisons ce qu'il ordonne; l'un par lequel nous nous plaisons en Dieu, l'autre par lequel nous nous plaisons à Dieu; l'un qui nous unit à la bonté de Dieu, l'autre qui nous fait exécuter sa volonté; l'un qui nous remplit de confiance en Dieu, de bienveillance, de désirs, de soupirs et d'ardeurs spirituelles pour Dieu, l'autre qui nous donne le courage, la constance, l'obéissance nécessaire pour exécuter les commandements de Dieu, pour souffrir, agréer, approuver et embrasser tout ce qui provient du bon plaisir du Seigneur.

Dans un entretien précédent je vous ai parlé, mes frères, du premier de ces amours. 11 change, vous disais-je, toutes les autres affections du cœur ; il les change, pour ainsi parler, en sa propre nature: si celui que cet amour anime espère, c'est de posséder Dieu; s'il craint, c'est d'être séparé de Dieu; s'il se réjouit, c'est d'aimer Dieu; s'il s'attriste, c'est de ne l'aimer pas assez. Mon Dieu, lui dit-il sans cesse, et toujours avec

plus d'ardeur, je vous aime, je souhaite vous faire aimer, je voudrais vous voir aimé de toutes les créatures capables de votre divin amour. Cent fois le jour cet amant céleste s'élève vers son Dieu, et produit ces actes d'amour que je désire que vous fassiez en suite des réflexions que je vous ai proposées sur le premier caractère de la charité.

Elle est affective, et comment? ç'a été le sujet d'une première instruction ou d'un premier point d'instruction.

Elle est effective, et jusqu'où? ce sera le sujet d'une seconde instruction ou du se cond point de la précédente.

POINT UNIQUE.

Un cœur, disait saint François de Sales, un cœur qui n'a point de mouvement et d'affection, n'a point d'amour; comme, au contraire, un coeur qui a de l'amour n'est pas sans mouvement affectif. Or, ce que ce saint disait de l'amour affectif, je le dis, et à plus forte raison, de l'amour effectif; un cœur qui ne produit point d'effets est sans amour; comme, au contraire, un cœur qui a de l'anour, produit des effets d'autant plus grands qu'il est plus ardent lui-même. Ainsi parlait autrefois saint Grégoire le grand: Amor ubi est, operatur magna, ubi operari renuit, non est. Ainsi, après saint Grégoire, parlait saint Thomas dans un de ses opuscules. L'amour, disait-il, opère de grandes choses, et il les regarde comme petites Amor operatur magna, et reputat parva: il en opère beaucoup, et croit n'en faire que très peu ; operatur multa, et reputat pauca: il opère longtemps, et ce longtemps lui paraît court; operatur diu, et reputat breve. L'amour, dès qu'il existe, est donc toujours effectif; le principe est certain, et il ne s'agit que de vous apprendre jusqu'où s'étendent les effets de cet amour, si déjà vous ne l'aviez appris d'une prière que l'Eglise nous faisait réciter il y a peu de jours: 0 Dieu! disons-nous dans cette prière; 6 Dieu, qui avez préparé des biens invisibles à ceux qui vous aiment, répandez en nos cœurs les mouvements affectueux de votre amour ; « infunde cordibus nostris, tui amoris affectum: » voilà la demande de l'amour affectif, afin, ajontons-nous, que, vous chérissant en toutes choses et par-dessus toutes choses, nous obtenions l'effet de vos promesses.... aut te in omnibus et super omnia diligentes,promissiones tuas...consequamur:» voilà la demande de l'amour effectif, et les deux principaux effets que produit le vrai amour. Aimer Dieu en tout, « in omnibus, » premier effet du parfait amour de Dieu ; pardessus tout; « super omnia,» second effet du parfait amour de Dieu, qui est la fin du précepte, la fin à laquelle je désire vous conduire, la fin à laquelle je vous conjure d'aspirer dès ce moment, en me suivant de toute l'attention de votre esprit, et, plus encore, de tous les mouvements de votre cœur.

Le premier effet que produit en nous la charité, c'est de nous faire aimer Dieu en tout, c'est-à-dire, en lui-même, dans les ouvrages de ses mains, dans les dons de sa

grâce, dans notre prochain, dans nos actions et nos souffrances; car voilà ce que c'est qu'aimer Dieu en toutes choses: in omnibus. C'est l'aimer en lui-même, et, comme dit saint Bernard, parce qu'il est Dieu : Causa diligendi Deum, Deus est. Que vois-je en vous, s'écrie l'amant divin touché de ce motif; qu'y vois-je qui ne ravisse mon cœur, et qu'êtes-vous, sinon le maître de toutes choses? Vous êtes un être infiniment juste, infiniment miséricordieux, infiniment aimable; Vous aimez sans passion: vous êtes jaloux sans trouble; vous vous repentez sans vous rien reprocher; vous vous fâchez sans émotion: vous changez vos opérations sans changer vos desseins; vous retrouvez sans avoir jamais rien perdu; vous aimez à gagner sans avoir aucune indigence, et vous exigez du profit de vos dons sans jamais être avare. Mais qu'est-ce que tout ce que je dis, ô mon Dieu, o ma vie, ô mes chastes délices! Et quid dicimus, Deus meus, vita mea, dulcedo mea sancta! Et que dit-on de vous quand on en a dit les plus grandes choses? Eh! cependant, malheur à celui qui se tait sur vos amabilités! Væ tacentibus de te! Oh! qui me donnera de me reposer tranquillement en vous, de vous être uni inséparablement et pour jamais: qui me donnera, ô l'époux de inon âme, que vous veniez dans mon cœur: que vous y fassiez votre habitation: que vous l'enivriez du torrent de vos délices! Quis mihi dabit ut venias in cor meum, et inebries illud! C'est ce que saint Augustin disait à Dieu dans le premier livre de ses Confessions, et ce que nous lui dirons, si nous l'aimons en lui-même et dans ses perfections, première manière de l'aimer en toutes choses : in omnibus.

L'aimer en tout, in omnibus, c'est 2° l'aimer dans les ouvrages de ses mains, dans le ciel et la terre, dans les êtres animés et inanimés, dans tous ces objets qui nous environnent, et dont il n'y en a pas un qui ne nous crie d'aimer Dieu. En effet, si je regarde le ciel et sa magnificence, aussitôt mon cœur se sent pressé de dire: Si vos ou vrages sont si beaux, si grands et si magnifiques, qu'êtes-vous donc, ô mon Dieu, qui êtes le principe de ces perfections? Quelle peut être votre beauté, votre grandeur et votre magnificence: Si hæc tam pulchra sunt, qualis ipse? si hæc tanta sunt, quantus ipse? Si j'abaisse mes yeux vers la terre et les richesses dont elle est couverte, aussitôt mon cœur se sent pressé de dire: Pourrais-je, Dieu de bonté, user de vos biens sans aimer ja main libérale qui me les accorde avec une profusion vraiment divine, et sans demander comment je pourrais reconnaitre tant de bienfaits? Quid retribuam Domino, pro omnibus quæ retribuit mihi? (Psal. cxv, 12.) Si je considère les oiseaux du ciel ou les plantes de la terre, la Providence qui nourrit les uns et qui fait éclore les autres, aussitôt mon cœur est pressé de dire: Si vos soins s'étendent, & mon Dieu, sur les êtres incapables Je vous aimer, comment no s'étendraient-ils pas sur les besoins de l'homme? Quant

magis vos modicæ fidei? (Matth. vi, 30.) Si je vois ici, dans des débris de fortune qu'entraîne le fleuve de Babylone, et là des familles nouvelles qui s'élèvent sur les débris des anciennes, aussitôt mon cœur dit : C'est vous, Seigneur, qui faites le grand et le petit, le puissant et le faible: vous êtes le Dieu des armées: vous donnez la victoire quand et à qui il vous plaît: je vous adore dans tous les événements de la vie présente : je vous aime également dans tout ce qu'il vous plaît d'ordonner et de permettre. Oui, je le sens, mon Dieu, La conscience ne mo permet pas d'en douter, je sens que je vous aime dans vos créatures: Non dubia, sed certa conscientia amo te (Conf., 1. x); je vous aime, Seigneur, parce qu'il n'y a qu'une voix du ciel, de la terre, de ce qui est au ciel et en la terre, pour me crier sans cesse et de toute part que je n'oublie pas de vous aimer: Calum et terra, et omnia quæ in eis sunt, ecce undique mihi dicunt ut amem te. (Ibid.)

J'interroge l'abîme, et il me répond qu'il ne s'est point fait; la terre, et elle répond qu'elle ne s'est point formée; le soleil, les étoiles, le firmament, et ils me répondent qu'ils ne se sont point créés, qu'ils tiennent de Dieu ce qu'ils sont, et que vous êtes celui que je dois aimer: Et ecce undique mihi dicunt ul amem te. Votre divinité, ô mon Dieu, votre puissance, votre sagesse, votre bonté, votre magnificence, toutes vos perfections, sont peintes sur tout l'univers et sur chacune de ses parties; elles sont gravées sur moimême, sur toutes les puissances de mon âme et sur tous les sens de mon corps; tout en moi me dit qu'un être infiniment sage, puissant et libéral m'a formé: tout en moi, si j'ose parler ainsi, est un extrait de sa sagesse, de sa puissance, de sa libéralité, de sa bonté, de son amour pour moi. En moi et hors de moi, Seigneur, tous vos attributs se présen tent comme d'eux-mêmes, à mes yeux, pour vous gagner mon cœur, et vous l'attacher irrévocablement : Amabilia tua, et à cœlo, et a terra, et ab omni creatura, se mihi ultro offerunt. (S. BERN.) Résisterais-je, et vous aussi, ines frères, résisteriez-vous plus longtemps à tant d'attraits si séduisants? Ne nous rendrions-nous pas, au contraire, à leur invitation avec empressement? Environnés, de toutes parts, des flammes de l'amour divin, n'en ressentirions-nous pas les ardears? Amori immersus, amorem non sentis? (S. AUG.) Imitons donc les saints dans leur manière de contempler la nature et ses ouvrages; appliquons-nous à y découvrir les traits de majesté divine qui y sont gravés; livrons-nous aux sentiments dont ces traits peuvent toucher nos cœurs: c'est là faire des ouvrages du Seigneur autant de moyens de nous attacher à lui. C'est la seconde manière de l'aimer en toutes choses, in omnibus.

Aimer Dieu en tout, in omnibus, c'est l'aimer 3° dans les dons de sa grâce, et surtout dans les mystères qui sont les principes de ces dons, dans les mystères ineffables de l'incarnation et de la rédemption. Ah! Seigneur, comment ne vous aimerais je pas

dans des mystères de cette nature? si je me dois tout à vous pour m'avoir créé, pour m'avoir formé, pour m'avoir fait naître, si totum me debeo pro me facto, que ne vous dois-je pas, Seigneur, pour m'avoir fait naftre une seconde fois, pour m'avoir fait renaître de l'eau et de l'esprit, pour m'avoir fait renaître en répandant votre sang sur moi, afin de me vivifier? Quid addam, jam et pro refecto, et refecto hoc modo?

Pour mieux comprendre l'excès de l'amour que Dieu nous a témoigné en nous réconciliant à lui, rappelons-nous ici, mes frères, avec saint Bernard, quelques circonstances principales de cet amour ineffable. Ce n'est pas nous qui avons aimé les premiers, c'est Dieu qui nous a prévenus de son amour, ipse prior dilexit nos, première circonstance qui caractérise son amour. Celui qui nous a prévenus, c'est ce Dieu si grand, tantus; seconde circonstance qui caractérise son amour. C'est nous qu'il a aimés, nous, dis-je, qui sommes si petits, si criminels à ses yeux; tantillos ac tales; troisième circonstance qui caractérise son amour. El jusqu'où nous a-t-il aimés? quantum? Le Père éternel nous a aimés jusqu'à nous donner son Fils, et le Fils nous a aimés jusqu'à se livrer à la mort pour nous, tantum; quatrième circonstance qui caractérise son amour envers nous. Ce même Fils, autres circonstances encore, ce même Fils qui, d'une parole avec son Père, avait créé ce monde, combien de discours, d'exhortations, de prières n'a-t'il pas employés pour nous régénérer? in reficiendo profecto et dixit muita. Que n'a-t-il pas fait, et comme homme et comme Dieu ? et gessit multa; que n'a-t-il pas souffert de sa nation? et pertulit dura; il a souffert les tourments, non-seulement les plus cruels, mais les plus in lignes; non tanium dura, sed et indigna.

C'est ainsi, conclut saint Bernard, que le juste a mérité l'amour des impies; sic meruit justus ab impiis; c'est ainsi que le Très-Haut a mérité l'amour des petits; summus ab infimis; c'est ainsi que le Tout-Puissant a mérité l'amour des faibles, Omnipotens ab infirmis. O mon Jésus! que votre charité me presse que cette bouche dont vous m'offrez le baiser, ces bras que vous étendez pour m'embrasser, ce côté ouvert pour m'y recevoir, toute cette chair mise en lambeaux, et comme foulée sous le pressoir pour mon salut, que cet état de souffrances où votre charité vous a réduit, sollicitent puissamment mon amour pour vous ! ô amour infini de mon Jésus! Jésus mon Sauveur! que je serais ingrat, si je ne vous aimais pas, vous qui m'avez tant aimé ! o si j'avais mille vies, que je les sacrifierais volontiers pour celui qui m'a donné la sienne! Au moins, Seigneur, recevez l'unique que vous m'avez donnée, et faites que je ne cesse de vivre dans votre amour, afin de mourir un jour pour votre amour et de votre amour. C'est, mes frères, le sentiment qu'excite en un bon cœur la vue de cet instrument de notre rédemption.

Et la vue de ce tabernacie où repose le même corps qui fut attaché à la croix; et

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la vue do cette table sainte où nous sommes nourris du pain des anges; et la vue de ces fonts baptismaux où nous avons été faits enfants de Dieu et héritiers du royaume céleste; et la vue de ces tribunaux où nos péchés nous sont pardonnés; et la vue de cette chaire chrétienne d'où je vous annonce l'Evangile de paix ; et la vue des livres divins où cet Evangile est renfermé ; et la vue des grâces particulières que vous avez puisées dans ces sources fécondes ; cette vue, je vous le demande, mes frères, n'attendrit-elle pas cœurs pour le Seigneur? pouvez-vous ne pas l'aimer dans ces divers objets que je viens de vous nommer? c'est la troisième manière d'aimer Dieu en toutes choses, l'aimer dans tous les objets que la foi et la religion présente aux yeux, in omnibus.

Aimer Dieu en tout, in omnibus, c'est 4 l'aimer dans notre prochain, parce qu'il nous est proche, parce qu'il a dans le ciel le même Père que nous, parce qu'il participe aujourd'hui à sa grâce, et qu'il est destiné à participer un jour à sa gloire. Pour montrer combien tous les hommes considérés sous ces aspects sont dignes de notre amour, saint François de Sales rapporte l'histoire du jeune Tobie en ces termes, qui sont aussi ceux de l'Ecriture, en partie.

Ce voyageur, dit-il, et l'ange qui le conduisait étant entrés chez Raguel, celui-ci dit à son épouse: Voyez combien ce jeune homme est semblable à mon cousin. Puis interrogeant ces étrangers: D'où êtes-vous leur demanda-t-il; connaissez-vous Tobie mon frère? Nostis Tobiam fratrem meum? Oui, nous le connaissons, lui répondit l'archange Raphaël, et ayant ajouté que ce Tobie duquel il s'informait était le père de ce jeune homme, aussitôt Raguel s'avance, se jette au cou de Tobie, arrose son visage de douces larmes que sa tendresse fait couler en abondance. Son épouse, sa fille, en font de même, et tous lui souhaitent les bénédictions du Seigneur, disant qu'il est fils d'un très-bon père: Benedictio tibi sit, fili mi, quia boni et optimi viri, filius es. (Tob. vii, 7.)

Voilà, poursuit le saint évêque de Genève, ce que nous devrions faire quand nous voyons un de nos semblables, nous devrions le caresser, l'embrasser, lui donner mille et mille bénédictions; pourquoi? pour l'amour de Dieu qui l'a formé à son image, pour l'amour de Jésus-Christ de qui il est, à qui il est, par qui il est, en qui il est, et pour qui il est. Ce saint ne dit pas qu'il est bon, qu'il est beau d'aimer ainsi tous les hommes, mais il dit que nous le devons, et la raison qu'il en donne, c'est que le second commandement, qui nous oblige d'aimer notre prochain comme nous-mêmes, est semblable au premier qui nous oblige d'aimer Dieu de tout notre cœur. Il est semblable, c'est-à-dire, comme l'expliquent les théologiens, que la même charité qui nous fait aimer Dieu pour Dieu même nous fait aussi aimer notre prochain pour Dieu, et la même intinie bonté de Dieu qui mérite que nous l'aimions pour elle-même mérite aussi que pour elle-même

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