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agrandi la politique, et de mortelle qu'elle était, il l'a faite immortelle.

C'est pour avoir limité la politique au temps présent, c'est pour l'avoir vulgairement rabaissée aux seuls intérêts de cette vie, que les révolutionnaires modernes l'ont livrée au bon plaisir des hommes, à leurs vains caprices, à leurs passions tumultueuses et aux révolutions que celles-ci enfantent sans cesse. Si la politique n'est, en effet, qu'une chose temporelle, pourquoi, comme toutes les choses temporelles, ne serait-elle pas à la discrétion des hommes? Tout ce qui passe appartient à l'homme; Dieu l'a livré à son bon plaisir Tradidit mundum disputationi eorum.

Si la politique était donc une chose temporelle, caduque, mortelle, ce n'est pas elle qui gouvernerait l'homme, c'est elle, au contraire, qui en serait gouvernée. Alors, l'homme ferait véritablement des gouvernements, des lois,des sociétés; il donnerait l'autorité, il la reprendrait, il ferait le souverain, et il le serait, comme il l'est en effet par rapport aux animaux dont la vie est mortelle. Mais l'homme n'est pas mortel, il est immortel; il est l'enfant de Dieu, et comme tel il a le droit de n'être gouverné que par lui, ou en son nom. C'est pourquoi l'autorité vient [de Dieu, et à plus forte raison la société et la politique, dont l'autorité n'est qu'une partie.

Qu'ils sont donc insensés ceux qui veulent livrer au bon plaisir des hommes non-seulement le gouvernement des animaux et des êtres temporels, mais encore le gouvernement même de l'homme et par là même la politique qui est la science de ce gouvernement!

Alors, on invente un droit moderne, une société moderne, une civilisation moderne, des principes modernes qu'on ne laissera pas cependant d'appeler, (je ne sais si c'est ironie cu ineptie,) les immortels principes de telle ou telle époque,

comme si ce qui est aujourd'hui moderne, et qui par conséquent sera vieux demain, pouvait jamais être immortel! Mais pourquoi s'étonner de cette contradiction, hommage involontaire, mais glorieux, rendu à la véritable politique? Cette politique est immortelle; tous, nous en avons le sentiment gravé dans le cœur, et la notion profondément empreinte dans l'esprit. Ce sentiment et cette notion, les inventeurs de la politique moderne les oublient quand ils font remonter les principes de la politique à 89. Mais ils s'en souviennent quand, malgré leur date d'hier, ils appellent immortels ces mêmes principes et ils rentrent alors dans la vraie politique.

L'homme n'est-il pas, en effet, immortel? Or, la politique ne se sépare jamais de l'homme, ni dans cette vie ni dans l'autre. Elle grandit avec lui, ou plutôt c'est par elle que l'homme grandit; elle prend le genre humain à son origine, elle préside à ses accroissements, elle forme ses mœurs, elle règle sa vie, elle lui en fait connaître le but, elle lui apprend à passer sur la terre en voyageur, non à s'y arrêter et à s'y attacher en avare, en voluptueux ou en ambitieux, et par là elle le prépare à la grande cité des justes et des parfaits, à la société définitive, à celle qui est enfin stable, et qui a des fondements éternels: Fundamenta habentem, civitalem cujus conditor et artifex Deus.

Si quelqu'un objecte que le rôle que j'assigne ici à la politique convient bien plus à la morale ou à la religion qu'à cette science, je répondrai qu'il convient à la fois à la morale, à la religion et à la politique. En effet, ces trois sciences sont inséparables, et toutes ensemble elles ne font qu'une seule science, la philosophie, non cette philosophie étroite des colléges que l'on a mutilée à dessein afin de la mettre à la portée des enfants, mais la philosophie des

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véritables philosophes, des vrais sages, cette philosophie que depuis Cicéron tous les grands philosophes ont unanimement appelée la philosophie éternelle, philosophia perennis, celle à laquelle saint Augustin, après tous les Pères, a ramené toutes les vérités de la morale, de la religion et de la politique, celle enfin qui est la véritable sagesse, la sagesse complète, achevée, la sagesse des nations et des sociétés, non moins que celle des particuliers.

Oui, quelque extraordinaire que cela puisse paraître au premier abord, la religion, la morale et la politique ne sont qu'une même science, considérée sous trois aspects différents. Car, je le demande, qu'est-ce que la religion, sinon la loi des devoirs de l'homme envers Dieu ? et la morale, sinon la loi de ses devoirs envers sa conscience, envers soi? et la politique, sinon la loi de ses devoirs envers la société, envers autrui ? Trois sciences, trois lois, trois devoirs, trois amours, comme dirait saint Augustin, mais qui ne font qu'une science, qu'une loi, qu'un devoir, qu'un amour; · car qui séparera l'amour de soi de l'amour de Dieu et du prochain, et réciproquement? «Aimez, dit saint Augustin, et faites ce que vous voudrez. » Ama, et fac quod vis. Mais qui faut-il aimer? Dieu, soi et le prochain. C'est là un objet indivisible, et par conséquent unique. Celui qui n'aime pas ces trois choses à la fois n'est ni religieux, ni moral, ni politique.

Il n'y a donc qu'une science, qu'une loi, qu'un devoir, qu'un amour, et ainsi, comme la religion, comme la morale, la politique s'empare de l'homme tout entier, mais à son point de vue spécial. Elle s'en empare pour le mettre en face de la société, comme la religion s'en empare pour le mettre en face ou plutôt aux pieds de Dieu, comme la morale s'en empare pour le mettre en face de lui-même et

de sa conscience. Religion, morale, politique, trois grands noms, trois grandes sciences, trois sœurs immortelles ayant même origine, même fin, même grandeur, même beauté, même physionomie, sans que cependant, sous ce même air de race et de famille, aucune d'elles perde sa physionomie propre et sa beauté particulière.

.....

Facies non omnibus una,

Nec diversa tamen, sed quæ decet esse sororum.

OVID.

Ces trois immortelles sœurs, ces trois grandes sciences, Dieu les a indissolublement unies, et il n'est pas seulement inintelligent, il est criminel de les séparer, car c'est séparer les seules grandes choses qui soient dans ce monde, Dieu, l'âme et le prochain. Quod Deus conjunxit, homo non separet.

Telle est donc la véritable politique, non celle que les hommes ont faite et qu'ils refont sans cesse, mais celle que Dieu a faite lui-même. Cette science, on ne peut ni l'élever plus haut, car elle touche à Dieu, ni la faire descendre audessous, car alors elle serait au-dessous de l'homme. On ne peut donc y rien ajouter, ni en rien ôter. Elle est comme ces pyramides qui voient passer les siècles et devant lesquelles l'homme s'incline et se sent impuissant : il les contemple, il les admire et il les respecte.

La politique est donc, j'ose le dire, et cette réflexion me rassure, trop grande par elle-même pour que personne puisse jamais l'agrandir, ou en exagérer les proportions. Heureux, au contraire, celui qui pourrait simplement les atteindre! Comme tout ce qui est éternel, la politique était avant l'homme, avant les anges, avant les

montagnes : Ante colles ego parturiebar. L'homme et l'ange ne seraient pas que la politique serait encore, qu'elle serait toujours. Ce n'est pas l'homme, en effet, ce n'est pas l'ange, ce n'est pas la société qui ont fait la politique, c'est, au contraire, la politique qui a fait l'ange, l'homme et la société : « C'est par moi que règnent les rois et que les législateurs font des lois justes; c'est par moi que les princes commandent et que les puissants rendent la justice. » Per me reges regnant, et legum conditores justa decernunt; per me principes imperant et potentes decernunt justitiam. » (Prov., viii, 15-16) Certes, la vérité, la justice, l'ordre, la paix, l'amour, la félicité, sont choses bien antérieures à l'homme et à l'ange. Elles sont éternelles.

Puisque c'est la politique qui a fait l'homme, qui a fait la société, pour suivre la politique et marcher avec elle il n'y a donc qu'à suivre l'homme et la société; or l'homme et la société vont loin, car ils sont immortels. Même, en commençant avec l'homme, avec l'ange lui-même, nous n'avons pas encore le commencement de la politique : elle vient de nous le dire elle-même, elle est éternelle : Ante colles ego parturiebar. Avant de la considérer en l'homme, ou dans l'ange, il faut donc la considérer en elle-même, c'est-à-dire en Dieu, car ce qui est éternel, qu'est-ce donc si ce n'est Dieu? C'est là, dans ce monde éternel, infini, que la justice, l'autorité, l'ordre, la loi, l'amour, l'union, la paix, la félicité, ont commencé, ou plutôt existent de toute éternité. C'est donc en Dieu, non sur la terre, c'est dans le Créateur, non parmi les créatures, qu'il faut chercher les sources de la politique et celles de la société :

1° Ainsi, la politique étant éternelle, il existe nécessairement une société éternelle; autrement où eût été la politique avant la société? D'ailleurs, tout ce qui est créé est fait

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