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doit plutôt se réjouir de ce qu'il a un enfant au service du grand Roi des cieux et de la terre. Je ne lui demande qu'une chose au monde : c'est de prier et de faire prier Dieu pour moi : et moi, je prierai pour lui tant que je vivrai. »

Le comte, voyant tous ses efforts inutiles, la quitta avec une profonde douleur. Et la fille des rois de Hongrie reprit sa quenouille, heureuse de pouvoir réaliser d'avance les sublimes paroles que l'Église consacre au culte de celles, qui, comme elle, ont renoncé à tout pour Jésus : J'ai méprisé le royaume du monde et toute la pompe du siècle, pour l'amour de mon Seigneur Jésus-Christ; c'est lui que j'ai vu, que j'ai aimé, en qui j'ai cru et que j'ai préféré (1).

(1) Bréviaire romain, répons de l'office des Saintes Femmes.

CHAPITRE XXVI

COMMENT LA CHÈRE SAINTE ÉLISABETH DISTRIBUA

TOUTE SA DOT AUX PAUVRES

Si dederit homo omnem substantiam domus ejus pro dilectione, quasi nihil despiciet eam.

CANT., VIII, 7.

Calore caritatis

Calefacti pauperes

Juxta prunas nuditatis

Lætentur immemores.

Antienne de Sainte-Elisabeth, dans le

bréviaire anc. des Dominicains.

Quelque persuadé que pût être le landgrave -Henri de la folie de sa belle-sœur, il n'en crut pas moins devoir tenir les promesses qu'il lui avait faites la crainte du pape, qui s'était constitué le protecteur d'Élisabeth, et l'influence de Conrad de Marbourg, qui était aussi grande sur lui qu'elle l'avait été sur son frère Louis, purent bien contribuer à cette fidélité. Il lui envoya donc les cinq cents marcs d'argent qu'il lui avait promis lors de son départ pour la Wartbourg, pour servir à ses frais d'établissement dans sa nouvelle résidence. Cet accroissement de richesses ne parut à la cha

ritable princesse qu'une occasion favorable p réaliser un projet qu'elle nourrissait depuis longtemps, celui de se décharger définitivement du poids de tous ses biens, dont elle avait dû conserver la propriété, tout en se privant d'en jouir. Elle réalisa tous les biens dotaux que son beaufrère avait été obligé de lui restituer lors du retour des chevaliers croisés, et qui produisirent la somme, très considérable alors, de deux mille marcs. Elle cherchait, dit un de ses pieux historiens, à donner à ces richesses une mobilité conforme à la courte durée de la vie mortelle, et qui pût d'autant plus sûrement la conduire à l'immobile bonheur de la vie éternelle (1). Elle fit de même vendre tous les ornements qui lui restaient de ceux que ses parents avaient envoyés avec elle de Hongrie, entre autres des vases d'or et d'argent, des étoffes brodées d'or et divers objets garnis de pierreries du plus haut prix (2). Tout l'argent qui provenait de cette vente ainsi que de celle de ses domaines fut entièrement distribué par elle aux pauvres en diverses fois, mais avec une profusion qui lui valut les injures d'un grand nombre de

(1) Omnia quæ habuit vendidit, pro rebus suæ dotis immobilibus res petens et acceptans mobiles, mobilem per mortem se cognoscens, de mobilibus sibi satagens æterna et immobilia promovere. Theod., 1. c.

(2) Si qua ei residua fuerant ornamenta quæ in sua traductione de domo patris sui regis Hungariæ attulerat, aurea et argentea vasa plurima, sericos pannos auro intextos, pretiosos et multos, et corporis ornatum ex auro copioso et gemmis nobilissimis regaliter fabrefactum. Dict: rv. Aúc. 2022.

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ceux qui n'avaient pas besoin de ses secours; on la traitait hautement de prodigue, de dissipatrice, et surtout de folle. Mais elle n'était nullement émue de ces discours, et trouvait que c'était acheter à bon compte le salut éternel de son âme que de lui sacrifier ces périssables richesses (1). Quand elle eut reçu les cinq cents marcs que le duc Henri lui envoyait, elle résolut de les distribuer aussitôt aux pauvres en une seule fois et le même jour. Pour donner à sa charité une extension proportionnée à la grandeur de la somme dont elle voulait disposer, elle fit publier dans tous les lieux à vingt-cinq lieues à l'entour de Marbourg que tous les pauvres eussent à se réunir au jour fixé dans une plaine près de Wehrda, ce village où elle avait elle-même passé les premiers temps de sa pauvreté volontaire. Au jour indiqué, on vit paraître plusieurs milliers de mendiants, d'aveugles, d'estropiés, d'infirmes et de pauvres des deux sexes (2), et, en outre, une foule nombreuse, avide d'assister à un spectacle si merveilleux. Pour, maintenir l'ordre au milieu de cette multitude, ainsi que pour établir une stricte justice dans la distribution des secours parmi les indigents, trop souvent impatients et désordonnés, la du

(1) Divitiis in omnibus eleemosynarum opibus expensis emit regnum æternæ salutis. Thes. nov. de Sanctis, serm. 155. (2) Pauperum, debilium, cæcorum et aliorum egentium, infiniter utriusque sexus undique multitudo... Theod., VII, 2. Il y en eut douze mille, selon le Mss. des Bollandistes.

chesse avait disposé un nombre suffisant d'officiers et de serviteurs robustes, avec ordre de faire rester chacun à la place qu'il occupait, de peur que quelques-uns ne trouvassent moyen, au préjudice de leurs compagnons, de recevoir deux fois l'aumône destinée à chaque pauvre. Elle ordonna que tous ceux qui transgresseraient cette défense auraient les cheveux coupés sur-le-champ. Une jeune fille nommé Hildegonde, remarquable par l'extrême beauté de sa chevelure, ayant été saisie comme elle s'éloignait du lieu où elle s'était d'abord placée pour aller soigner sa sœur malade, on lui coupa les beaux cheveux qu'elle portait flottants sur ses épaules, selon l'usage des filles de Marbourg (1).

En se voyant ainsi traitée, la jeune fille se mit à pleurer et à se lamenter à haute voix, en protestant de son innocence. On la mena à la duchesse qui, après l'avoir félicitée de ce que la perte de sa chevelure l'empêcherait de prendre part désormais aux danses et aux réjouissances profanes, lui demanda, avec l'instinct profond des âmes saintes, si elle n'avait jamais conçu le projet de mener une vie meilleure. « Il y a longtemps, »> répondit Hildegonde, « que je me serais consacrée au Seigneur en prenant l'habit religieux, s'il ne m'avait pas trop coûté de sacrifier la beauté de

(1) Cet usage s'est conservé jusqu'au dix-septième siècle. P. Kochem, p. 827.

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