» la désirer est déjà adultère dans son cœur. Un » homme, ajoute-t-il, qui épouse une femme, ne le » fait qu'après l'avoir désirée et l'avoir regardée » pour la désirer, à moins qu'on épouse une femme » sans l'avoir ni vue ni désirée. » Tertullien, ayant raisonné ainsi, s'aperçoit d'abord que son raisonnement condamne autant les premières noces que les secondes. « Vous me direz, poursuit-il, que par » là je détruis les premières noces. Et ce n'est pas » sans raison; car elles consistent dans la même ac» tion qui fait l'adultère. » Il conclut que si la virginité seule est exempte d'une souillure qui approche tant de l'adultère, et si les premières noces mêmes n'évitent point cette tache, à plus forte raison il faut rejeter les secondes. Il ajoute que l'oraison continuelle est commandée, et par conséquent la continence aussi. L'oraison, dit-il, vient de la conscience. Si la conscience est honteuse, l'oraison l'est de même. Enfin, dit-il, si vous êtes remarié, vous avez deux ou plusieurs femmes devant le Seigneur quand vous le priez, une en esprit, à qui vous réservez vos plus fidèles affections, l'autre dans la chair. Voilà les raisons absurdes de Tertullien dans cet ouvrage : on n'y voit que raisonnemens outrés, qu'expressions for cées, qu'égarement d'esprit. Il y a même vers la fin de ce traité un endroit où un très-ancien exemplaire contient une citation que Tertullien fait de l'évangile de la sainte prophétesse Prisque (1). Ainsi je crois qu'il ne nous reste rien à désirer pour nous convaincre que Tertullien étoit alors au comble du fanatisme. Quelle est donc l'autorité de ce passage tant (1) Not. Rig. in cap. x1, p. 523. unanime de tous ses ennemis pendant tous les siècles qui ont précédé ces derniers temps, n'est-il pas, pour me servir des termes de M. Jurieu, la plus forte preuve que notre dogme sur les clefs, sur la succession du ministère et sur l'imposition des mains, est véritable, et qu'il est fondamental? CHAPITRE X. Réponse à une objection tirée de Tertullien. Il s'agit d'un passage du livre de l'Exhortation à la Chasteté. Pour en bien juger, il faut savoir tout le dessein de cet ouvrage, et l'état où étoit Tertullien quand il l'a composé. Montan condamnoit les secondes noces ; et Tertullien, tombé dans ses erreurs, exhorte un fidèle à ne se remarier pas. Il avoue que saint Paul a permis les secondes noces : mais il soutient que saint Paul les a permises par un sentiment humain, au lieu qu'en même temps il a conseillé par l'esprit de Dieu de les éviter. Il dit encore que l'apôtre, sentant l'excès de cette permission humaine qu'il venoit d'accorder, se donne aussitôt un frein et se rappelle lui-même. Vous croiriez peut-être qu'il veut seulement conclure que les secondes noces, permises par saint Paul, ne sont pas un état aussi parfait que l'entière continence conseillée par cet apôtre? Non; il décide que c'est une espèce d'adultère. Cette décision étonne; mais la raison sur laquelle il la fonde est encore plus étonnante. « Celui, dit-il, qui regarde une femme pour » la désirer est déjà adultère dans son cœur. Un >> homme, ajoute-t-il, qui épouse une femme, ne le » fait qu'après l'avoir désirée et l'avoir regardée » pour la désirer, à moins qu'on épouse une femme » sans l'avoir ni vue ni désirée. » Tertullien, ayant raisonné ainsi, s'aperçoit d'abord que son raisonnement condamne autant les premières noces que les secondes. « Vous me direz, poursuit-il, que par » là je détruis les premières noces. Et ce n'est pas >> sans raison; car elles consistent dans la même ac» tion qui fait l'adultère. » Il conclut que si la virginité seule est exempte d'une souillure qui approche tant de l'adultère, et si les premières noces mêmes n'évitent point cette tache, à plus forte raison il faut rejeter les secondes. Il ajoute que l'oraison continuelle est commandée, et par conséquent la continence aussi. L'oraison, dit-il, vient de la conscience. Si la conscience est honteuse, l'oraison l'est de même. Enfin, dit-il, si vous êtes remarié, vous avez deux ou plusieurs femmes devant le Seigneur quand vous le priez, une en esprit, à qui vous réservez vos plus fidèles affections, l'autre dans la chair. Voilà les raisons absurdes de Tertullien dans cet ouvrage : on n'y voit que raisonnemens outrés, qu'expressions forcées, qu'égarement d'esprit. Il y a même vers la fin de ce traité un endroit où un très-ancien exemplaire contient une citation que Tertullien fait de l'évangile de la sainte prophétesse Prisque (1). Ainsi je crois qu'il ne nous reste rien à désirer pour nous convaincre que Tertullien étoit alors au comble du fanatisme. Quelle est donc l'autorité de ce passage tant (1) Not. Rig. in cap. x1, p. 523. vanté? M. Claude, qui le cite, n'ose citer l'endroit d'où il le tire, sentant bien que les paroles d'un visionnaire qui court après un nouveau Saint-Esprit sont un triste secours pour sa réforme. Ne laissons pas de rapporter le passage entier, puisque la charité, quand il s'agit de détromper nos frères, ne dé daigne pas d'examiner les objections même les moins dignes d'être examinées. « Il est établi parmi nous, » dit Tertullien (1), que ceux qu'on choisit pour l'or» dre sacerdotal ne doivent avoir été mariés qu'une » fois; en sorte que je me souviens d'avoir vu des » bigames qu'on a rejetés de leur ordre. Mais vous >> direz : Il est donc permis aux autres que cette loi » ne regarde point, de se remarier. Nous nous trom» perons beaucoup, si nous croyons que ce qui n'est >> pas permis aux prêtres le soit aux laïques. Est-ce » qu'étant même laïques, nous ne sommes pas prê>>tres? Il est écrit: Il nous a faits rois et prêtres à » Dieu son père. Ce qui établit la différence entre le » clergé et le peuple, c'est l'autorité de l'Eglise et >> l'honneur consacré de Dieu pour la séance du » clergé. Là où il n'y a point de séance de l'ordre ecclésiastique, là vous offrez et vous baptisez, et » vous y êtes prêtre pour vous-même. Mais où sont trois, là est l'Eglise, quoiqu'ils soient laïques : car >> chacun vit de sa foi, et il n'y a point d'acception » de personne en Dieu, parce que, selon l'apôtre, >> ceux qui écoutent la loi ne seront pas justifiés, >> mais seulement ceux qui l'accomplissent. Donc, » si vous avez le droit de prêtre pour vous-même » dans la nécessité, il faut que vous gardiez aussi la (1) De Exhort. Castit. cap. VII. » discipline >> discipline sacerdotale avec le droit sacerdotal. » Vous baptisez étant bigame; vous offrez étant bi» game : combien est-il plus criminel à un laïque bigame de faire la fonction de prêtre, puisqu'on » ôte au prêtre même bigame sa fonction sacerdo>> tale! Mais on pardonne, dites-vous, à la nécessité. » Il n'y a point de nécessité pour une chose qu'on >> peut éviter. Ne soyez point bigame, et vous ne » vous exposerez point à la nécessité d'exercer, une >> fonction défendue aux bigames. Dieu nous veut » tous tellement disposés, que nous puissions par» tout être propres aux fonctions de ses sacremens. » Si les laïques n'observent point ces choses sur lesquelles on doit élire les prêtres, comment pourra>>t-on faire prêtres ceux qu'on choisit d'entre les laïques? >> >> Vous voyez que Tertullien est engagé par ses erreurs à soutenir que le laïque est prêtre en quelque manière, pour conclure que les secondes noces sont défendues aux laïques aussi bien qu'aux prêtres. Il cite d'abord l'Ecriture, qui dit : Il nous a faits tous rois et prêtres à Dieu. Je crois que les Protestans ne voudroient pas prendre ce passage à la lettre, puisqu'il établiroit autant la royauté que le sacerdoce de chaque particulier. Dès-lors chaque homme, et même chaque femme, auroit, sans attendre le cas de nécessité, que l'Ecriture ne marque point, la puissance des rois et celle des pasteurs ensemble pour son propre gouvernement. Continuons. Ce qui établit la différence entre le clergé et le peuple, c'est l'autorité de l'Eglise et l'honneur consacré de Dieu pour la séance du clergé. FÉNÉLON. II. 7 |