Cet usage convenoit fort aux apôtres, dont les miracles et les vertus ne montroient rien que de prophétique et d'extraordinaire. Les peuples en étoient frappés. Les prêtres et les docteurs mêmes vouloient les examiner et les éprouver jusques à ce que la Synagogue les eût absolument rejetés. Mais enfin la liberté qu'on leur donna de parler, pour savoir s'ils étoient de vrais prophètes extraordinairement suscités, ne peut montrer qu'on déférât le ministère de la parole, et moins encore celui du sacrifice, à tous ceux qui entreprenoient l'exercice du ministère sacré. CHAPITRE XIII. Des exemples de l'histoire ecclésiastique. M. Jurieu nous objecte qu'à la naissance de l'Eglise les disciples dispersés «< alloient çà et là annonçant la » parole de Dieu. Il n'y a pas d'apparence, ajoute-t-il, » que tous ces dispersés eussent reçu l'ordination. >> Remarquez que l'histoire sacrée fait seulement entendre que cette dispersion servit à répandre l'Evangile, parce que les dispersés le publièrent. Elle ne dit pas que tous l'annoncèrent : il suffit qu'un grand nombre d'entre eux l'ait fait. Et comment M, Jurieu sait-il que tous ceux qui le firent n'étoient point ordonnés? Si on dispersoit maintenant dans des pays infidèles les peuples catholiques qui composent nos églises, sans doute nos chrétiens dispersés annonceroient çà et là Jésus-Christ: mais s'ensuit-il que le peuple usurperoit la fonction de nos pasteurs? Non. Cette expression expression seroit véritable dans toute la rigueur de la lettre, pourvu que nos pasteurs, dispersés avec leurs peuples, prêchassent l'Evangile dans les nations infidèles où ils seroient réfugiés. On dit communément : Les catholiques disent la messe tous les jours. Il ne s'ensuit pas que tous les catholiques la disent: cette expression signifie seulement qu'elle est dite tous les jours chez les catholiques par ceux qui sont prêtres. De plus, comment peut-on nous objecter ce qui est conforme à nos principes et à notre usage le plus vulgaire? Selon ces principes et cet usage, les simples laïques ont pu annoncer la parole de Dieu dans les lieux où ils se réfugioient. Il ne faut point être pasteur parmi nous pour catéchiser : des laïques, et même des femmes, le font tous les jours. On peut encore insinuer la religion dans des conversations familières: mais ce qui demande, selon nous, l'imposition des mains, c'est la prédication solennelle de l'Evangile dans la célébration des mystères, comme les anciens pasteurs la pratiquoient. C'est le ministère de la parole, joint à l'administration des sacremens. Ce ministère, composé de toutes ces fonctions, étoit-il exercé par les chrétiens dispersés dont parle M. Jurieu? Demandons-le à M. Jurieu lui-même. «Nous ne savons, dit-il, s'ils administrèrent des sa»cremens. Peut-être ne le firent-ils pas. » Puisqu'il n'en sait rien, pourquoi donc ose-t-il opposer des faits si vagues et si incertains selon lui-même, à des preuves si précises et si convaincantes que nous donnons de notre doctrine? Après cela, M. Jurieu n'allègue plus contre nous que les exemples tirés du sixième livre de l'Histoire ecclésiastique d'Eusèbe. FÉNÉLON. II. 9 Voici le premier fait qui y est rapporté. C'est Origène dont il est question. Mais comme alors, dit l'historien (1), il demeuroit à Alexandrie, il vint un homme de la profession militaire qui rendit, de la part d'un prince arabe, des lettres à Démétrius, évêque de ce diocèse, et à celui qui étoit alors président de l'Egypte. Il demandoit qu'on lui envoyât Origène en grande diligence pour lui communiquer sa doctrine. C'est pourquoi Origène, étant envoyé par eux, alla en Arabie. Peu de temps après, ayant achevé ce qui faisoit le sujet de son voyage, il revint à Alexandrie. Remarquez qu'Origène tenoit en ce temps-là une fameuse école pour le christianisme, où il instruisoit les païens, et surtout les philosophes qui vouloient connoître nos mystères. Il se servoit des arts et des sciences des Grecs pour faire entendre les saintes lettres, et pour mieux attirer les païens. Il dit même, dans une épître rapportée par Eusèbe, que Pantænus et Héraclas avoient pratiqué la même chose. Héraclas quitta l'habit ordinaire pour porter le manteau de philosophe. « Il le porte encore » maintenant, dit Origène dans cette épître, et il ne » cesse de lire selon ses forces, avec grand soin, les » livres des Gentils. » Quand Eusèbe veut exprimer la fonction d'Origène, il ne dit pas qu'il célébroit les mystères à l'autel, ni qu'il paissoit le troupeau, expressions ordinaires en ces temps-là pour marquer les fonctions des pasteurs ; mais il dit seulement qu'il faisoit des catéchèses, et il appelle le lieu où il faisoit ses instructions, son école (2). C'est ainsi que (1) EUSEB. Hist. eccles. lib. VI, cap. xix. et XV. (2) Ibid. cap. xiv pu parle l'original grec, et la version même de Wolfang Musculus, docteur protestant. Eusèbe ajoute que les auditeurs qui étoient dans cette école étoient divisés en deux espèces de classes. Origène choisit «< parmi » ses amis Héraclas, qui, outre la connoissance des » Ecritures, étoit encore versé dans l'éloquence et » dans la philosophie, et il le chargea de ceux qui » commençoient à s'instruire. » Pour lui, il prit ceux qui étoient plus avancés. En tout cela, vous ne voyez qu'un catéchiste et un professeur de théologie. Avons-nous jamais dit qu'il fallût recevoir l'imposition des mains pour catéchiser, et pour tenir bliquement une école chrétienne? Alors Origène, dont la réputation voloit en tous lieux, est demandé par un prince arabe. C'est pour faire chez lui ce qu'il faisoit dans son école d'Alexandrie. Il n'est question que de raisonner en philosophe pour persuader la philosophie chrétienne, comme on parloit alors. Eusèbe ne dit pas que l'Arabe demandoit Origène pour être son pasteur et pour dresser chez lui une église; c'est seulement quelques conversations passagères qu'il cherche pour s'éclaircir. S'il eût été question de dresser une église, on auroit envoyé avec Origène des prêtres égyptiens. Cela étoit facile, et M. Jurieu n'oseroit dire qu'on employât anciennement dans le ministère, des hommes qui n'étoient point ordonnés, lorsqu'on en avoit qui l'étoient. Ce n'est donc qu'un voyage pour des conversations particulières sur la religion, que l'Arabe demande d'Origène, comme nous voyons d'ailleurs dans Eusèbe que cet homme célèbre fut demandé par Mammée, mère de l'empereur Alexandre, quoiqu'il ne fût pas question de lui faire exercer les fonctions de pasteur dans Antioche où elle étoit. Ce qui cause l'illusion des Protestans en cette matière, c'est qu'ils regardent parmi eux l'instruction presque comme étant l'unique fonction des pasteurs; d'où ils concluent que ceux qui ont instruit sans ordination ont été pasteurs: mais ils devroient considérer que dans l'ancienne Eglise, aussi bien que dans la nôtre, ce qui marque le plus le caractère pastoral, c'est la célébration des mystères et l'administration des sacremens. Eux-mêmes, malgré leur prévention, sont encore dans cet usage; car, selon leur discipline, les sacremens ne sont administrés que par les pasteurs, au lieu que l'instruction de leurs peuples est souvent confiée à des personnes qui n'ont point le ministère sacré. Ils ont des maîtres et des maîtresses d'école, des lecteurs, des professeurs de théologie, qui sans ordination enseignent la religion. Leurs proposans mêmes, sans être pasteurs, font dans leurs temples des propositions publiques qui sont de véritables sermons. Il est vrai qu'Origène sortant de l'Egypte, et étant allé à « Césarée de Palestine, fut prié par les évê» ques de ce lieu de parler devant l'assemblée pùblique, et d'expliquer les divines Ecritures, quoiqu'il n'eût point encore reçu l'ordination de prêtre. Alexandre de Jérusalem, et Théoctiste de » Césarée, écrivant à Démétrius d'Alexandrie, tâ>> chent de justifier cette conduite en ces termes: Il a » ajouté aussi dans sa lettre, qu'on n'a jamais ouï » dire, et qu'il n'est jamais arrivé, que des laïques » aient parlé dans l'église en présence des évêques. » Nous ne savons comment il a dit ce qui manifes |