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Voilà le Philofophe bien alarmé. Il pria Efope de lui enfeigner une défaite. Efope s'avifa de celle-ci. th Quand le jour que l'on avoit pris pour l'execution de la gageure fut arrivé, tout le peuple de Samos accourut au rivage de la Mer pour étre témoin de la honte du Philofophe. Celui de fes Difciples qui avoit gagé contre lui triomphoit déja. Xantus dit à Y'Affemblée: Meffieurs, j'ay gagé veritablement que je boirais toute la Mer, mais non pas les fleuves qui entrent dedans: C'eft pourquoi que celui qui a gagé contre moi détourné leur cours; & puis je feray ce que je me fuis vanté de faire. Chacun admira l'expedient que Xantus avoit trouvé pour fortir à fon honneur d'un fi mauvais pas. Le Difciple confeffa qu'il étoit vaincu, & demanda pardon à fon Maître. Xantus fut reconduit jufqu'en fon logis avec acclamations. Pour recompenfe Efope lui demanda la liberté. Xantus la lui refufa, & dit que le temps de l'affranchir n'étoit pas encore venu: fi toutefois les Dieux. l'ordonncient ainsi, il y confentoit; partant qu'il prit garde au premier préfage qu'il auroit étant forti du logis: s'il étoit heureux, & que par exemple deux Corneilles fe prefentaffent à fa veuë, la fiberté lui feroit donnée: s'il n'en voyoit qu'une qu'il ne fe daflât point d'être efclave. Efope fortit auffi-tôt. Són Maître étoit logé à l'écart, & appa remment vers un licu couvert de grands arbres. A peine nôtre Phrygien füt hors, qu'il apperçeut deux Corneilles qui s'abatirent fur le plus haut. Il en alla avertir fon Maître, qui voulut voir lui-même s'il di foit vray. Tandis que Xantus venoit, l'une des Cor. neilles s'envola. Me tromperas-tu toûjours? dit-il à Efope: qu'on lui donne les étrivieres. L'ordre fut executé.

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executé. Pendant le fupplice du pauvre Efope, on vint inviter Xantus à un repas; il promit qu'il s'y trouveroit. Helas! s'écria Efope, les prefages font bien menteurs! moi qui ay veu deux Corneilles je fuis battu mon Maitre qui n'en a veu qu'une eft prié de nôces. Ce mot plût tellement à Xantus qu'il commanda qu'on ceffat de fouetter Elope mais quant à la liberté, il ne fe pouvoit refoudre à la lui donner; encore qu'il la lui promît en diverfes occafions. Un jour ils fe promenoient tous deux parmi de vieux monumens, confiderant avec beaucoup de plaifir les Inscriptions qu'on y avoit mifes. Xantus en apperceut une qu'il ne pût entendre, quoi qu'il demeurât long-temps à en chercher l'explication. Elle étoit compofée des premieres lettres de certains mots, Le Philofophe avoua ingenûment que cela paffoit fon efprit. Şi je vous fais trouver un Trefor par le moyen de ces lettres, lui dit Efope, quelle recompenfe auray-je? Xantus lui promit la liberté, & la moitié du Trefor. Elles fignifient, pourfuivit Efope, qu'à quatre pas de cette colomne nous en rencontrerons un. En effet ils le trouverent, aprés avoir creusé quelque peu dans la terre. Le Philofophe fut fommé de tenir parole; mais il reculoit toûjours. Les Dieux ine gardent de t'affranchir, dit-il à Efope, que tu ne m'ayes donné avant cela l'intelligence de ces lettres ce me fera un autre trefor plus precieux que celui le quel nous avons trouvé. On les a ici gravées, pourfuivit Efope, comme étant les premieres lettres de ces mots aróßas, Býμate &c. c'eft à-dire. Si vous reculez, quatre pas, & que vous creufiez, vous trouverez un Trefor. Puifque tu es fi fubtil, repartit Xantus, j'aurois tort de me défaire de toi n'efpere

donc

donc pas que je t'affranchiffe. Et moi, repliqua Efope, je vous dénoncerai au Roi Denys; car c'est à lui que le Trefor appartient, & ces mêmes lettres commencent d'autres mots qui le fignifient. Le Philofophe intimidé dit au Phrygien qu'il prît fa part de l'argent & qu'il n'en dît mot, de quoi Esope déclare ne lui avoir aucune obligation, ces lettres aiant été choifies de telle maniere qu'elles enfermoient un triple fens & fignifioient encore, En vous en allant vous partagerez le Trefor que vous aurez rencontré. Dés qu'ils furent de retour, Xantus commanda que l'on enfermât le Phrygien, & que l'on lui mit les fers aux piedsj de crainte qu'il n'allât publier cette avanture. Helas! s'écria Efope, eft-ce ainfi que les Philofophes s'acquittent de leurs promeffes? Mais faites ce que vous Voudrez, il faudra que vous m'affranchiffiez malgré vous. Sa prediction fe trouva vraye. IP arriva un prodige qui mit fort en peine les Samiens. Un Aigle enleva l'anneau public (c'étoit apparemment quel- a que fceau que l'on appofoit aux déliberations du Confeil) & le fit tomber au fein d'un efclave. Le Phi lofophe fut confulté là deffus, & comme étant Philofophe, & comme étant un des premiers de la Repu blique. I demanda temps, & eut recours à fon Oracle ordinaire, c'étoit Efope. Celui-ci lui confeilla de le produire en public; parce que s'il rencontroit bien, l'honneur en feroit toujours à fon Maître; fia non, il n'y auroit que l'efclave de blâme. Xantus approuva la chofe, & le fit monter à la Tribune aux harangues. Dés qu'on le vit, chacun s'éclate de ri re, perfonne ne s'imagina qu'il pût rien partir de rai fonnable d'un homme fait de cette maniere. Efope leur dit qu'il ne faloit pas confiderer la forme du vafe,

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mais la liqueur qui y étoit enfermée. Les Samiens lui crierent qu'il dit donc fans crainte ce qu'il jugeoit de ce Prodige. Efope s'en excufa fur ce qu'il n'ofoit le faire. La fortune, difoit-il, avoit mis un debat de gloire entre le Maître & l'Efclave: fi l'Efclave difoit mal il feroit battu; s'il difoit mieux que le Maître, il feroit battu encore. Auffi-tôt on preffa Xantus de l'affranchir. Le Philofophe refifta longtemps. A la fin le Prevôt de ville le nienaça de le faire de fon office, & en vertu du pouvoir qu'il en avoit comme Magiftrat; de façon que le Philofophe fut obligé d'y donner les mains. Cela fait, Efope dit que les Samiens étoient menacez de fervitude par ce Prodige; & que l'Aigle enlevant leur fceau ne fignifioit autre chofe qu'un Roi puiffant qui vouloit les affujettir. Peu de temps aprés Crefus Roi des Lydiens fit denoncer à ceux de Samos qu'ils euffent à fe rendre fes tributaires; finon qu'il les y forceroit par les armes. La plupart étoient d'avis qu'on lur obeit. Efope-leur dit que la Fortune prefentoit deux chemins aut hommes; l'un de liberté, rude & épineux au commencement, mais dans la fuite tresagreable; l'autre d'efclavage,dont les commencemens étoient plus aifez, mais la fuite laborieufe. C'étoit confeiller affez intelligiblement aux Samiens de défendre leur liberté. Ils renvoyerent l'Ambaffadeur de Crefus avec peu de fatisfaction. Crefus fe mit en état de les attaquer. L'Ambaffadeur lui dit que tant qu'ils auroient Efope avec eux, il auroit peine à les reduire à fes volontez, veu la confiance qu'ils avoient au bon fens du Perfonnage. Crefus le leur envoya demander, avec promeffe de leur laiffer la li berté s'ils le lui livroient. Les principaux de la Ville C

trou

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trouverent ces conditions avantageufes, & ne crurent pas que leur repos leur coûtât trop cher quand ils l'acheteroient aux dépens d'Efope Le Phrygien leur fit changer de fentiment en leur contant que les Loups & les Brebis aiant fait un traité de paix, cellesci donnerent leurs Chiens pour Orages. Quand elles n'eurent plus de défenfeurs, les Loups les étranglerent avec moins de peine, qu'ils ne faifoient. Cet Apologue fit fon effer: les Samiens prirent une deliberation toute contraire à celle qu'ils avoient prife. Elope voulut toutefois aller vers Crefus, & dit qu'il les ferviroit plus utilement étant prés du Roi que s'il demeuroit à Samos. Quand Crefus le vit, il s'étonna qu'une fi chétive creature lui eut été un

fi grand obftacle. Quoi voilà celui qui faire un

s'oppofe à mes volontez! s'écria-t-il, Efope fe profterna à fes pieds. Un homme prenoit des Sauterelles, dit-il une Cigale lui tomba auffi fous la main. Il s'en alloit la tuer comme il avoit fait les Sauterel Jes. Que vous ai-je fait? dit-elle à cet homme: je ne ronge point vos bleds; je ne vous procure aucun dommage: vous ne trouverez en moi que la voix, dont je me fers fort innocemment. Grand Roi, je reffemble à cette Cigale; je n'ay que la voix, & ne m'en fuis point fervi pour vous offenfer. Crefus touché d'admiration & de pitié, non feulement lui pardonnas mais il laiffa en repos les Samiens à fa confideration. En ce temps-là le Phrygien compofa fes Fables, lefquelles il lailla au Roi de Lydie, & fut envoyé par lui vers les Samiens qui decernerent à Efope de grands honneurs. Hi prit auffi envie de voyager, & d'aller par le monde s'entretenant de diverfes chofes, avec ceux que l'on appelloit Philofo- 1

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