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duite de mon Ouvrage. L'Apologue eft composé de deux parties, dont on peut appeller l'une le Corps; l'autre l'Ame. Le Corps eft la Fable, l'Ame la Mo ralité. Ariftote n'admet dans la Fable que les ani. maux; il en exclut les hommes & les plantes. Cette reglé eft moins de néceffité que de bienfeance, puifque ni Efope, ni Phedre, ni aucun des Fabuliftes ne l'a gardée, tout au contraire de la Moralité dont au cun ne difpenfe. Que s'il m'eft arrivé de le faire, ce n'a été que dans les endroits où elle n'a pû entrer avec grace, & où il eft aifé au Lecteur de la fuppléer.. On ne confidere en France que ce qui plait. C'eft la grande regle, & pour ainfi dire la feule. Je n'ay done pas creu que ce fut un crime de påffer par-deffus les an ciennes coûtumes, lors que je ne pouvois les mettre en ufage fans leur faire tort. Du temps d'Efope la Fable étoit contéc fimplement, la Moralité feparée, & toûjours en faite. Phedre eft venu qui ne s'eft pas affujetti à cet ordre: il embellit la Narration, & transporte quelquefois la Moralité de la fin au commencement. Quand il feroit neceffaire de lui trouver place, je ne manque à ce precepte que pour en obferver un qui n'eft pas moins important. C'eft Horace qui nous le donne. Cet Auteur ne veut pas qu'un Ecrivain s'opiniâtre. contre l'incapacité de fon efprit, ni contre celle de fa matiere. Jamais, à ce qu'il prétend, un homme qui veut reüffir n'en vient jufques-là: il abandonne les chofes dont il voit bien qu'il ne fçauroit rien faire de bon.

Et que

Desperat tractata nitefcere poffe, relinquit. C'eft ce que j'ay fait à l'égard de quelques Moralitez, du fuccez defquelles je n'ay pas bien efperé. '

Il ne refte plus qu'à parler de la vie d'Efope. Jene vois prefque perfonne qui ne tienne pour fabuleufe celle que Planude nous a laiffée. On s'imagine que cét Auteur a voulu donner à fon Heros un caractere, & des avantures (qui répondiffent à fes Fables. Cela m'a paru d'abord fpecieux; mais j'ay trouvé à la fin peu de certitude en cette critique. Elle eft en partie fondée fur ce qui fe pafle entre Xantus & Efope; on y trouve trop de naiferies: & qui eft le Sage à qui de pareilles chofes n'arrivent point? Toute la vie de Socrate n'a pas été ferieufe. Ce qui me confirme en mon fentiment, c'est que le caractere que Planude donne à Efope, eft femblable à celui que Plutarque lui a donné dans fon Banquet des fept Sages, c'est-à-dire d'un homme fubtil, & qui ne laiffe rien paffer. On me dira que le Banquet des fept Sages eft auffi une invention. Il eft aifé de douter de tout: quant à moi je ne vois pas bien pourquoi Plutarque auroit voulu impofer à la pofterité dans ce Fraité-là,lui qui fait profeffion d'étre veritable par tout ailleurs, & de conferver à chacun fon caractere. Quand cela feroit, je ne fçaurois que mentir fur la foi d'autrui; me croira1-on moins que fi je m'arréte à la mienne? Car ce que je puis eft de compofer un tiffu de mes conjectures, lequel j'intitulerai, Vie d'Efope. Quelqué vrai-femblable que je le rende, on ne s'y affeurera pas; & Fable pour Fable, de Lecteur preferera toûjours celle -de Planude à la mienne. Tran

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LA VIE

D'ESO PE

LE PHRYGIEN.

Ous n'avons rien d'affeuré touchant la naiffance d'Homere & d'Efope. A peine même fait-on ce qui leur eft arri vé de plus remarquable. C'eft de quoi il y a lieu de s'étonner, veu que l'Hi oire ne rejette pas des chofes moins agreables & moins neceffaires que celle-là. Tant de deftructeurs de Nations, tant de Princes fans merite ont trouve des gens qui nous ont appris jufqu'aux moindres particularitez de leur vie, & nous ignorons les plus importantes de celles d'Elope & d'Homere, c'est-à-dire des deux perfonnages qui ont le mieux merité des fiecles fuivans. Car Homere n'eft pas feulement le Pere des Dieux, c'eft auffi celui des bons Poëtes. Quant à Efope, il me femble qu'on le devoit mettre au nombre des Sages, dont la Grece s'eft tant vantée; lui qui enfeignoit la veritable Sageffe, & qui l'enfeignoit avec bien plus d'art que ceux qui en donnent des definitions & des regles. On a verita blement recueilli les vies de ces deux grands Hom→ mes; mais la plupart des Savans les tiennent toutes deux fabuleufes; particulierement celle que Planude

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nude a écrite. Pour moi je n'ai pas voulu m'enga ger dans cette Critique. Comme Planude vivoit dans un fiecle où la memoire des chofes arrivées à Efope ne devoit pas étre encore éteinte, jai crû qu'il favoit par tradition ce qu'il a laiffé. Dans cette croiance je l'ai fuivi, fans retrancher de ce qu'il a dit d'Efope que ce qui m'a femblé trop puerile,ou qui s'écartoit en quelque façon de la bien-feance.

Efope étoit Phrygien, d'un bourg appellé Amorium. Il nåquit vers la cinquante feptiéme Olympiade, quelques deux cens ans aprés la fondation de Rome. On ne fauroit dire s'il eut fujet de remercier la Nature, ou bien de fe plaindre d'elle: car en le doüant d'un tres-bel efprit, elle le fit naître difforme & laid de vifage, ayant à peine figure d'homme; jufqu'à lui refufer prefque entierement l'ufage de la parole. Avec ces defauts, quand il n'auroit pas été de condition à étre Efclave, il ne pouvoit manquer de le devenir. Au refte fon ame fe maintint toûjours libre, & indépendante de la fortune. Le premier Maître qu'il eut, l'envoya aux champs labourer la terre; foit qu'il le jugeât incapable de toute autre chofe, foit pour s'ôter de devant les yeux un objet fi defagreable. Or il arriva que ce Maître étant allé voir fa maifon des champs, un Pailan lui donna desfigues: il les trouva belles, & les fit ferrer fort foigneufement, donnant ordre à fon Sommelier appellé Agathopus,de les lui apporter au fortir du bain. Le hazard voulut qu'Elope eut affaire dans le logis. Auffi-tôt qu'il y fut entré, Agathopus fe fervit de l'occafion, & mangea les figues avec quelques-uns de fes Camarades, puis ils rejetterent cette friponnerie fur Efope, ne croyant pas qu'il fe pût jamais juftifier, tant il étoit

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begue, & paroiffoit idiot. Les chatimens dont les Anciens ufoient envers leurs efclaves, étoient fort cruels, & cette faute tres-puniffable. Le pauvre Efope fe jetta aux pieds de fon Maître, & fe faifant entendre du mieux qu'il pût, il témoigna qu'il demandoit pour toute grace qu'on fursît de quelques momens fa punition. Cette grace lui aiant été accordée, il alla querir de l'eau tiede, la bût en prefence de fon Seigneur, fe mit les doigts dans la bouche, & ce qui s'enfuit; fans rendre autre chofe que cette eau feule. Aprés s'étre ainfi juftifié, il fit figne qu'on obligeât les autres d'en faire autant. Chacun demeura furpris: on n'auroit pas crû qu'une telle invention pût partir d'Efope. Agathopus & fes Camarades ne parurent point étonnez. Ils bûrent de l'eau comme le Phrygien avoit fait, & fe mirent les doigts dans la bouche; mais ils fe garderent bien de les enfoncer trop avant. L'eau ne laiffa pas d'agir, & de mettre en évidence les figues toutes crues encore, & toutes vermeilles. Par ce moien Efope fe garantit ; fes accufateurs furent punis doublement, pour leur gourmandife & pour leur mechanceté. Le lendemain aprés que leur Maître fut parti, & le Phrygien étant à fon travail ordinaire: quelques Voiageurs égarez (aucuns difent que c'étoient des Prêtres de Diane) le prierent au nom de Jupiter Hofpitalier qu'il leur enfeignât le chemin qui conduifoit à la Ville. Efope les obligea premierement de fe repofer à l'ombre; puis leur aiant prefenté une legere collation, il voulut étre leur guide & ne les quitta qu'aprés qu'il les cut remis dans leur chemin. Les bonnes gens leverent les mains au Ciel, & pric rent Jupiter de ne pas laiffer cette action charitable fans recompenfe. A peine Efope les eut quittez, que

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