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L'Apologue a beau être fimple, je dis l'Apologue manié le célèbre la Fontaine; il y entre des tours, des figures, des fineffes de fens, & fur-tout des allufions fréquentes, qu'il eft impoffible, ce me femble qu'un enfant faififfe d'abord, quoique né avec une conception heureuse (a).

Qu'on life à cet enfant la Fable où Guillot débute par ces mots :

Quoi? toujours il me manquera
Quelqu'un de ce peuple imbécile !

Toujours le Loup m'en gobera!

J'aurai beau les compter; ils étoient plus de mille,
Et m'ont laiffé ravir notre pauvre Robin,
Robin Mouton, qui par la ville

Me fuivoit pour un peu de pain,

Et qui m'auroit fuivi jufques au bout du monde.

Je doute qu'à la premiere lecture, il en comprenne tout-à-fait le commencement. Je veux bien croire qu'il ne dira pas en général comme M. Jourdain (b): Ily. a du mouton dedans. Mais pourra-t-il fuivre les détails? Saura-t-il rendre raifon de chaque vers? Entrera-t-il avec jugement dans la douleur impatiente du Berger? J'ai de la peine à me l'imaginer. Pourquoi ce brufque début? Quel eft celui qui parle ? Quel eft

(a) « On fait apprendre les Fables de la Fontaine à tous » les enfans, & il n'y en a pas un feul qui les entende. » EMILE, Tom. I, pag. 276.

(b) Dans la Comédie du Bourgeois Gentilhomme,

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ce peuple dont il parle ? C'est un ouvrage pour l'efprit d'un enfant, que de démêler cela. Il faut qu'on lui en donne au moins une explication légère. Il ne feroit donc pas raisonnable de lui demander qu'il récitât cette Fable avec tous les tons qui lui conviennent. On ne pourroit l'exiger que d'une perfonne à qui il n'échapperoit aucune des fineffes d'un Apologue auffi heu

reusement tourné.

C'est affez pour quelqu'un qui ignore encore ce que c'eft qu'exclamation, métaphore, répétition, (car il y a de tout cela dans le commencement de la Fable du Berger & fon troupeau); c'est assez, dis-je, qu'il fache s'arrêter aux endroits où finit le fens, & qu'il s'habitue à bien prononcer, & à faire en forte que fa voix ne foit ni glapiffante ni rauque.

à

Ce font-là d'abord, j'en conviens, les intentions de ceux qui les inftruisent; mais ils s'en écartent peu peu par zéle pour un enfant qui conçoit facilement. Ils cherchent à flater les parens en leur faisant voir dans leur fils des difpofitions naturelles & un goût prématuré. Ils lui laiffent prendre à fa fantaisie un prétendu ton familier, qui eftropie presque toujours le fens de l'Auteur, à force de vouloir le rendre fidélement; qui à coup sûr avilit le ftyle, en ellayant d'en exprimer la naïveté; & qui enfin n'eft rien moins que familier & naïf, pour prétendre trop à l'être. C'eft ordinairement le ton d'un écolier caufant avec

fes

t

305 fes camarades: jugeons de-là quelles graces il doit

avoir.

α

On croit faire très-bien de dire aux enfans, pour qu'ils foient moins gênés en récitant des Fables: Imaginez-vous vous entretenir avec un de vos com>pagnons d'études; faites comme s'il vous parloit, » & comme fi vous répondiez: enfin prenez le ton » de la converfation ». Oui, qu'ils le prennent, fans doute; ils ne fauroient mieux faire: mais qu'on leur enfeigne donc auparavant, quel eft le bon ton de la conversation, le ton du monde poli; & qu'on n'aille pas les laiffer fe perfuader, qu'ils s'entretiennent avec leurs camarades de collège, comme les honnêtes gens s'entretiennent entre-eux. Ou plutôt, ce que j'appelle le bon ton de la converfation, ne pouvant s'acquérir que par un grand ufage du monde, & les enfans étant encore bien éloignés de le connoître, puifqu'il manque fouvent à ceux mêmes qui fe chargent de leur instruction, il ne faut jamais leur demander qu'ils le prennent. Encore une fois, qu'ils fachent articuler les mots, & diftinguer le fens de chaque phrafe, fuivant les repos qui y font ménagés, & non pas feulement fuivant la mefure des vers & la chûte des rimes; alors on doit être content d'eux: c'eft tout ce qu'on peut raifonnablement leur demander.

Une chofe plus commune dans les Fables, que dans toute autre efpéce de Poëme, excepté dans les

Tome I.

V

que

Drames, où le dialogue rend encore cela très-fréquent, c'est les dernières fyllables d'un vers, indépendantes des premières pour la continuité exacte du fens, foient liées avec une partie du vers fuivant, ou avec le vers entier, & même avec quelques autres encore; auquel cas on doit prononcer de fuite cette moitié de vers & tout ce qui compofe le corps de la phrafe, fans faire feulement attention à la rime. Par exemple, dans la Fable du Vieillard & des trois jeunes Hommes, quand ceux-ci ont dit:

Ne fongez déformais qu'à vos erreurs paffées;
Quittez le long espoir & les vaftes pensées :
Tout cela ne convient qu'à nous.

L'Octogénaire répond:

Il ne convient pas à vous-mêmes.

Vient tard & dure peu.»

Tout établissement

La main des Parques blêmes

De vos jours & des miens fe joue également.
Nos termes font pareils par leur courte durée.
Qui de nous des clartés de la voûte azurée
Doit jouir le dernier ?

Eft-il aucun moment

Qui vous puiffe afsûrer d'un fecond feulement ?

Il y a dans la Fontaine beaucoup de vers partagés de la forte, & en une infinité d'autres manières. Voilà ce qui rend difficile la lecture de ce genre

de

307 Poëfie, où l'on fe donne plus de liberté que dans les genres élevés, & où cette liberté même eft la foarce d'un grand nombre de beautés : voilà ce qu'il faut s'étudier à bien apprendre aux enfans.

Que l'un d'eux ait à réciter la Fable intitulée le Chat, la Belette & le petit Lapin; il faut l'arrêter à tous les repos, dès qu'on veut qu'il la récite, finon avec toutes les graces imaginables, du moins avec quelque bon fens :

Du palais d'un jeune Lapin
Dame Belette un beau matin
S'empara.

Il y a ici un point que l'enfant doit marquer, malgré la mesure du vers qui fe trouve rompue par ce dont l'énergie eft admirable.

repos,

C'est une rufée.

Cette petite réflexion doit être détachée par le récit.

Le maître étant abfent ce lui fut chofe aifée.

Autre repos. Tout le commencement de cette Fable demande à être coupé par celui qui récite, à mesure qu'il fe rencontre des points qui terminent le fens. Mais lorsqu'une fois l'Auteur fait parler la Belette, comme fon deffein a été de peindre le caquet de ce petit animal femelle, & que tout ce qu'il lui fait dire est extrêmement ferré, & prefque fans aucun

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