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daliser un peuple rempli de zèle pour la loi. S'ils reculent vers le légalisme, c'est afin de ne pas souffrir persécution pour la croix de Christ. (Gal. VI, 12.) Après le court règne d'Agrippa, le fanatisme exalté des pharisiens entra en lutte avec Rome: la guerre paraissait imminente. Aussi saint Paul éprouvait-il le besoin de rappeler aux chrétiens entraînés par le mouvement patriotique que leur bourgeoisie est dans le ciel d'où ils attendent le libérateur; et à la Jérusalem terrestre asservie, il oppose la Jérusalem d'en haut qui est libre et de plus notre mère. (Gal. IV, 25; Philip. III, 20.) Cette rechute jusqu'au point de vue juif qui s'effectua alors dans l'église de Jérusalem, implique que cette congrégation ne faisait pas consister le règne du Messie purement dans une disposition d'esprit semblable à celle de Jésus. Ils ne sentent pas que le royaume est déjà là; ils attendent encore une révélation du ciel, le retour de Christ pour l'inaugurer. Le sentiment filial que Jésus leur a inspiré n'est encore que l'avant-goût, les arrhes de la gloire à venir : leur vie morale et religieuse ne constitue pas, à elle seule, le royaume, mais seulement une de ses conditions.

Comme ils distinguent encore entre la promesse et son accomplissement, force leur est de se demander la position que, dans cette période intermédiaire, ils doivent prendre entre la théocratie et la loi judaïque. Pour saint Paul et pour le quatrième évangile qui font consister le royaume dans une nouvelle création de l'homme intérieur, la loi juive n'a plus d'importance, parce qu'elle n'est dans aucun rapport ni avec la foi de Paul, ni avec la vie de saint Jean. Pour les plus anciens disciples, au contraire, attendant impatiemment l’avénement d'un royaume extérieur, il était possible de conserver l'ancienne manière de vivre jusqu'au nouvel ordre de choses dans la Jérusalem nouvelle. Comme il n'y avait donc pas de raison de principe obligeant les chrétiens de Jérusalem à rompre avec la loi, il était tout naturel que, pour ce qui concernait la vie légale, on subît les influences de l'esprit de l'époque. En outre, dans ces jours de patriotisme exalté, la petite congrégation aurait difficilement pu obtenir, à l'égard de la loi, la liberté d'allures qui avait caractérisé Jésus. Dans un moment où les plus

hauts intérêts de la patrie sont mis en question, il est difficile à un patriote de dire que son royaume n'est pas de ce monde. Voilà comment les disciples de Jésus sont amenés à sacrifier quelque peu de leur haut idéal, pour prendre parti avec leur peuple contre la tyrannie païenne. Quel contraste entre l'état des esprits au moment de la mort de Jésus et au point où nous en sommes! Le Maître avait désespéré du judaïsme; plus tard on se scandalisera de voir Pierre manger avec des incirconcis. Pour l'Apocalypse, Rome devient la prostituée et Jérusalem la ville sainte. On considère comme devant être soigneusement conservé ce temple duquel Jésus a dit qu'il ne resterait pierre sur pierre. Les fioles de la colère divine sont versées sur Rome, tandis que Jérusalem paraît plus brillante que jamais sur ses fondements de perles et de saphir.

L'idée du royaume étant de nouveau devenue judaïque, rien de plus naturel que de voir l'église revenir à la loi. Jacques, surnommé le Juste et frère du Seigneur, fut l'ardent représentant de cette tendance judaïsante. Nous voyons une nouvelle preuve de cette rechute dans le langage fort différent des synoptiques qui sont universalistes, en comparaison de l'Apocalypse où reparaissent les préoccupations judaïques. Saint Paul déplore que l'église de Jérusalem n'ait pas rompu franchement avec tout le passé de la théocratie. Mais il a pu apprendre luimême de quelle utilité pouvait être le légalisme des judaïsants pour résister au relâchement des mœurs des Grecs. Les idées concrètes et charnelles du judaïsme firent un heureux équilibre aux rêveries platoniciennes qui ne tardèrent pas à faire invasion dans l'église. Dieu sait ce qu'il fait lorsqu'il met en opposition deux tendances opposées, bien qu'elles voient réciproquement l'une dans l'autre un obstacle à son royaume. Tandis qu'à Jérusalem on faisait revivre les anciennes idées juives, dans les congrégations d'hellénistes les idées chrétiennes s'associèrent à celles de Philon. Nulle part la théocratie n'exerça la même influence prépondérante qu'à Jérusalem. L'universalisme avait triomphé dans les pays païens, avant que des relations bien intimes eussent eu le temps de s'établir entre les fidèles de la Palestine et ceux du dehors.

Ces relations s'établirent par l'émigration sous le règne de Claude. L'avénement de cet empereur ouvrit en Palestine une période de trouble qui dura vingt ans, pour aboutir à la ruine de la théocratie. Replaçant la Judée sous l'administration directe de Rome, on lui laissa trop de liberté pour qu'elle restât dans l'obéissance et pas assez pour qu'elle fût satisfaite. On se proposait de ménager les préjugés religieux, tandis que les garnisons païennes blessaient au plus haut point les sentiments du peuple et étaient l'objet d'incessantes attaques. La plus importante des révoltes fut celle de Teudas, qui se termina par la mort du faux prophète. On crut ménager les juifs en nommant un neveu de Philon procurateur, mais les affranchis qui gouvernaient Claude ignoraient qu'en Palestine le joug d'un païen paraissait plus supportable que celui d'un renégat. La famine, accompagnée de pestes et d'épidémies, qui sévit de l'an 44 à l'an 48, vint encore compliquer les difficultés. C'est alors qu'il fallut faire ces collectes dont parle saint Paul. Tandis que les dons des églises sont transportés à Jérusalem, les pauvres de cette ville se répandent un peu partout, autant pour vivre aux dépens des frères que pour prêcher l'Evangile. (2 Cor. XI, 20; 2 Cor. II, 17; Philip. III, 18.) Le mal avait pris des proportions telles que saint Paul se fait un titre de gloire de n'être à charge à personne et de pourvoir à ses besoins par le travail de ses mains. Plus la détresse et l'angoisse étaient grandes, plus on épiait attentivement les signes précurseurs du retour de Jésus. Aussi rien de plus naturel que les derniers mots de l'Apocalypse Oui, Seigneur Jésus, viens; certainement, je viens bientôt.

La prompte propagation du christianisme ne s'explique pas par l'unité de l'empire romain, mais bien par la dispersion des juifs dans l'empire des Parthes comme en Occident. Grâce à cette espèce de toute-présence, les pèlerins revenant des grandes fêtes de Jérusalem apportaient les nouvelles religieuses dans le monde entier, avant l'arrivée des missionnaires chargés de les répandre. La nouvelle de la crucifixion du Messie dut se répandre avec d'autant plus de rapidité qu'elle était plus paradoxale pour les oreilles juives. Suivant qu'on

connaissait plus ou moins les enseignements de Jésus et qu'on était disposé à comprendre idéalement les pensées du royaume, la Parole exerçait son action missionnaire sans mission proprement dite. Comme dans tous les grands mouvements spirituels, il n'était nullement nécessaire de fonder des institutions particulières, de former des plans en vue d'une mission proprement dite. Tout se passait conformément à la parole de Jésus sur la semence déposée dans le champ. (Marc IV, 26.) Vingt ans ne s'étaient pas écoulés que la bonne nouvelle de l'Evangile avait retenti dans toutes les principales villes du bassin de la Méditerranée.

Peu à peu les idées dont l'Apocalypse est le document se répandent de proche en proche, même chez les gentils, pour aboutir à une forme religieuse, rappelant la culture juive et grecque, tout en maintenant son originalité. Les nouvelles congrégations passèrent d'abord pour des sectes du judaïsme. Mais on ne tarda pas à remarquer qu'elles se recrutaient surtout parmi les Hellènes, les païens devenus déjà prosélytes du judaïsme. Amenés au culte d'Israël par leurs besoins religieux, ils devaient naturellement s'en retirer dès qu'ils trouveraient mieux ailleurs. Ils se sentirent fortement attirés vers le spiritualisme chrétien opposé aux prescriptions légales, qui leur avaient toujours inspiré de la répugnance. Tandis que le juif de naissance avait reçu la foi au Messie comme un dogme antique venant des pères, le prosélyte avait été gagné à cette idée par un attrait, un assentiment personnel. Tandis que le juif de la diaspora, étranger aux controverses de la mère-patrie, était disposé à recevoir avec défiance la nouvelle que ce fait inoui, la venue du Messie, s'était accompli justement en son temps, le prosélyte était tout porté à croire à la réalisation de ce qu'il n'avait cessé d'attendre. Une vieille habitude attachait le juif au culte de Jéhovah; il aurait considéré comme une profanation de rien changer aux formules officielles au moyen desquelles il le priait. Pour le prosélyte c'étaient là des formules de son choix qu'il pouvait négliger dès que le « Notre Père » du prophète de Galilée lui paraissait rendre mieux ce qui avait agité son cœur et l'avait amené à rompre avec le paganisme.

On voit ainsi le christianisme apparaître, surgir dans les villes du bassin de la Méditerranée plutôt que se propager. Tout se passe au début sans le concours des apôtres. Paul, pas plus qu'un autre, n'a propagé par ses voyages missionnaires dans la diaspora la nouvelle de la venue de Christ. Le christianisme s'est répandu comme foi à une grande et prochaine catastrophe qui serait amenée par le Messie des juifs. Les grandes villes furent d'abord remplies d'étonnement par ces mouvements populaires enthousiastes sous forme extatique : prophéties, parler en langues, visions, guérisons miraculeuses, au moyen desquelles on acquérait conscience de la présence du Messie. Ce mode de propagation exclut déjà l'idée que le christianisme ait été apporté exclusivement aux païens par saint Paul. De fait, les églises centrales de Jérusalem, d'Antioche, d'Ephèse et de Rome sont antérieures à l'activité de l'apôtre. L'idée d'un royaume de Dieu s'était propagée elle-même dans le monde d'une manière indépendante. C'est cette idée qui a fait Paul, ce n'est pas lui qui l'a faite. Les quelques témoignages immédiats que nous avons sur la première propagation du christianisme, ne s'expliquent que par des circonstances en tout semblables à celles du second et du troisième siècle. Si en l'an 60, en l'an 100, le christianisme se propage encore dans les petits cercles par un travail lent, les choses ne peuvent s'être passées dans le premier siècle d'une façon aussi solennelle et aussi pompeuse que la postérité a bien voulu se l'imaginer. A en juger par ses épîtres, saint Paul n'agissait ni sur l'Agora, ni sur le Forum, mais dans des chambres d'ouvriers, des maisons particulières. De même dans le siècle suivant, les railleurs infatigables du christianisme, Lucien et Celse, ne connaissent pas une activité publique des chrétiens, qu'ils n'auraient certes pas manqué de tourner en ridicule. Ce n'est pas au moyen de discours populaires, mais par une espèce de contagion que les doctrines nouvelles se propagent. Les ateliers dans lesquels un ouvrier communique la nouvelle à un autre, les chambres de domestiques, où l'esclave les confie à l'esclave, les réunions paisibles où se lisent les livres de l'Ancien Testament, les évangiles et les sentences du Seigneur en s'édifiant librement:

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