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du nous, du logos des stoïciens qui pénètre tout dans l'univers. Mais, tandis que pour le stoïcisme ce logos est la divinité même, pour les apocryphes de l'Ancien Testament, cette sagesse n'est qu'un être intermédiaire, le fils de Dieu.

Les opinions de Platon envahissent plus ouvertement encore le domaine anthropologique. Le corps cesse d'être le siége pour devenir la prison de l'âine qui a d'ailleurs préexisté. La matière devient le principe du mal. Toujours sous l'influence des mêmes idées, les prophètes deviennent des ascètes qui ont reçu leurs instructions de Jéhovah, dans un état d'extase, au moyen d'une inspiration mécanique renouvelée des néopythagoriciens. Si les juifs avaient enseigné à l'ancien monde le monothéisme, ils en étaient venus eux-mêmes à exposer leurs propres idées au moyen des formules platoniciennes. Grâce à la méthode allégorique, qui retrouvait tous les préceptes de la morale grecque dans les prescriptions du Lévitique, on ne réussit pas trop mal à se dissimuler le désaccord.

Philon, qui appartenait à une puissante famille des alabarques d'Alexandrie, eut le mérite de fixer ces idées flottantes, dans un système qui fut le fruit authentique du contact de l'Orient et de l'Occident à Alexandrie. Placé au-dessus des rudes nécessités de l'existence, Philon médite sur le malheur des temps, mollement couché sur des tapis et des coussins. Cet enfant gâté de la fortune n'est pas resté étranger à la mélancolie de l'époque, mais sa résignation l'a porté vers l'étude de la science et spécialement de la philosophie. D'une piété aimable, plus sentimentale que vigoureuse, comme tous les hommes émancipés, il est surtout attiré par le côté moral des problèmes. Plus Dieu est éloigné de la conscience immédiate, plus on s'attache à montrer sa présence dans la nature et dans l'histoire. Pas plus que ses contemporains, Philon ne possède la paix, mais il la cherche dans l'histoire, sans s'apercevoir que celle-ci lui sert uniquement de prétexte pour exposer des idées qui lui viennent de la philosophie grecque.

Tout ce que l'homme connait de Dieu, c'est qu'il existe; mais il doit renoncer à le déterminer par aucun attribut. Cet être pur de la philosophie n'est autre que le Jéhovah de l'Ancien

Testament. A côté de ce Dieu indéterminé se trouve le chaos non moins informe. C'est au moyen de son logos, âme du monde des stoïciens, que Dieu a fait un monde du chaos. Le logos, à son tour, se brise en plusieurs logoi qui deviennent les types primitifs, les forces primitives des divers objets du monde. Mais comme ce logos, tout en étant le plan primitif, la force fondamentale de l'univers, est en même temps une personne, le fils de Dieu, les forces qui en dérivent, les logoi, sont également des êtres personnels, des fils de Dieu, des anges. De sorte que tous ces fils de Dieu, dont il est parlé dans les psaumes, ne sont autres que ce que Platon appelait les forces, les pensées, les idées de la divinité. L'esprit oriental de Philon porté à la rêverie, ne se fait aucun scrupule de voir autant d'êtres personnels et dans les forces ou logoi divers et dans le logos général qui les résume et les contient toutes. Ce logos est l'archange, le fils de Dieu, Dieu de Dieu. Avant tout il est le médiateur. Il se tient sur les limites entre Dieu et les choses qui existent par sa force. Il est le messager, l'envoyé de Dieu chargé d'apporter ses ordres au monde, l'interprète qui lui explique sa volonté, le vicaire qui l'accomplit, l'instrument dont Dieu s'est servi pour créer le monde. D'autre part le logos représente le monde auprès de Dieu, c'est le grand-prêtre chargé d'intercéder.

On pourrait croire qu'il s'agit là d'une seconde personne divine placée entre Dieu et le monde, mais il n'en est rien : le monothéisme hébraïque conserve tous ses droits. Le médiateur n'est après tout qu'une force qui est elle-même un attribut de Dieu. Nous voilà déjà en face de cette théologie habile dans l'art de la bascule, qui, en confondant les attributs, peut, suivant les besoins du moment, de deux personnes en faire une seule ou d'une en faire deux. On ne s'imagina pas moins, au moyen de ces forces intermédiaires, avoir comblé l'abîme creusé entre la divinité transcendantale et le monde sensible. Seulement cette conception stoïco-platonicienne revêtit dans le monde juif une couleur religieuse. La Bible montrant que, dans le passé, ce logos s'était manifesté dans l'histoire d'Israël comme le Sauveur du peuple, il n'est que juste de le voir honorer par les

hommes. Que de grands besoins religieux se manifestent et aussitôt on exprimera le désir de voir le logos devenir homme de nouveau, comme jadis, lorsqu'il discourait avec Abraham sous les chênes de Mamré. Les livres contemporains des chrétiens présentent comme une réalité historique ce qui, pour Philon, n'était encore qu'une simple possibilité.

Philon ne fournit pas seulement les bases de la christologie chrétienne, mais aussi celles de l'anthropologie paulinienne qui n'est encore qu'une combinaison d'idées bibliques et grecques. Moïse, d'après Philon, aurait enseigné la préexistence de l'âme, sa chute préhistorique et la possibilité de se sauver par elle-même. Dieu doit également avoir créé deux hommes, l'un céleste, naturellement immortel et sans sexe (Gen. I, 26), l'autre terrestre (II, 7), dont la chute est racontée dans le troisième chapitre de la Genèse. Mais au lieu de faire incarner le logos, comme le firent ses disciples devenus chrétiens, Philon fait élever les hommes jusqu'au logos au moyen de l'ascétisme. C'est ainsi que le philosophe juif juxtapose deux conceptions anthropologiques qui se contredisent: l'absolu pessimisme et l'absolu optimisme. Ces prémisses réclamaient impérieusement la sotériologie de saint Paul. Si Philon ne s'en est pas avisé, c'est qu'il croyait posséder le salut objectif dans les institutions du mosaïsme; c'est parce qu'il a cru trouver le sauveur de l'humanité dans Moïse, qu'il n'a éprouvé ni le besoin de donner une couleur religieuse à la doctrine du logos, ni la nécessité de faire incarner ce logos pour la rédemption de l'humanité. Le choc de toutes ces idées ne manqua pas de provoquer à Alexandrie de vives controverses religieuses. C'est ainsi qu'on représente les plaies d'Egypte comme provoquées par l'iniquité des ancêtres des juifs, peuplade de misérables lépreux dont on fut heureux de se débarrasser. Un sophiste et spirite de l'époque, l'Egyptien Apion, qui occupe une place marquante parmi les charlatans historiques, se fit le champion des préjugés populaires contre les juifs. Ses attaques, fruit des controverses, eurent pour but de les envenimer encore. Entre les mains de ce romancier, l'histoire d'Israël n'est plus reconnaissable. C'est lui qui a mis en circulation la fable de la tête d'âne adorée

C. R. 1873.

par les juifs, celle des sacrifices humains, et beaucoup d'autres. Bien que réfuté par Josèphe, cet ouvrage n'en a pas moins servi de source à Tacite qui, comme on sait, raconte les choses les plus bizarres sur le compte des juifs. Déjà fort indisposés par les empiétements des juifs, les habitants d'Alexandrie accueillirent avec empressement les fables d'Apion, qui contribuèrent puissamment à provoquer la réaction qui eut lieu après la mort de Tibère.

Les troubles qui signalèrent en Judée les dernières années de Tibère, l'avénement de Caligula, et en particulier la guerre des Romains contre Artabane, roi des Parthes; l'invasion du pays par les Bédouins conduits par Arétas, désireux de se venger de son ancien ennemi Antipas, expliquent comment l'attention fut détournée des questions religieuses. Au lieu d'entrer dans la voie de la pénitence ouverte par Jean-Baptiste, le peuple se contente de voir dans la guerre qui éclate tout à coup un châtiment de ceux qui l'ont mis à mort. Tout semblait annoncer un réveil national alors que les préoccupations militaires viennent absorber l'attention. C'est là l'unique moyen d'expliquer comment tout souvenir de Jésus s'est entièrement perdu dans le sein de la nation: celle-ci fut exclusivement absorbée par la guerre qui suivit immédiatement la mort du Sauveur. Les chrétiens crurent rêver lorsque, dans le cours d'une année, ils virent disparaître de la scène Pilate, Caïphe, Antipas, tous les meurtriers de leur Maître. Le cri de guerre qui retentit tout à coup leur parut un signe du prompt retour de Jésus-Christ. Ce n'est que lorsque l'attente eut été démentie par l'événement que leurs espérances furent tempérées par cette réserve: «Mais ce n'est pas encore la fin, » (Math. XXIV, 6-8) qui impliquait en même temps que les dernières douleurs avaient commencé.

Les folles prétentions de Caligula, qui voulait se faire adorer comme Dieu, agitèrent bientôt le peuple entier. Les juifs d'Alexandrie furent les premières victimes. Excitée par le manque de tact d'un aventurier de haut parage, Hérode Agrippa, qui, au lieu de se rendre directement à Jérusalem pour prendre possession de son royaume, était allé se faire porter en triomphe

par les juifs d'Alexandrie, la population de cette ville se livra à des persécutions qui aboutirent à la destruction de plusieurs synagogues. Le désordre fut bientôt tel que Philon dut se rendre à Rome à la tête d'une députation de juifs, pour y être tourné en ridicule par Apion qui conduisait une autre ambassade chargée de le.contredire. Le proconsul romain Pétronius, un de ces administrateurs sérieux élevés à l'école d'Auguste et de Tibère, fut très embarrassé quand il reçut l'ordre d'établir dans le temple de Jérusalem une statue de Caligula, afin qu'on lui rendît les honneurs divins. N'osant encourir ni la responsabilité de faire des représentations au fou couronné qui lui avait donné cet ordre, ni celle de mettre le pays en feu en l'exécutant, il prit le parti de traîner l'affaire en longueur autant que possible. Un artiste de Sidon reçut l'ordre de couler une statue de Caligula, mais en y mettant le temps nécessaire. Agrippa dut se rendre à Rome pour intercéder pour son peuple auprès de son ancien compagnon de débauche. Le danger fut conjuré et Caligula fut assassiné le 24 janvier 41.

Les terreurs de ces années 39 et 40 exercèrent une influence religieuse dont la trace nous a été conservée dans la littérature de l'époque. L'attentat de Caligula contre le temple avait rappelé aux juifs, d'une manière très vive, que d'après l'avis de tous les prophètes les derniers temps devaient être signalés par une lutte des puissances païennes contre le vrai Dieu. Daniel, plus précis, avait annoncé la lutte d'un prince païen contre Israël. On crut donc que les angoisses des derniers temps arriveraient à leur point culminant lorsque l'antichrist souillerait le temple en se faisant placer dans le sanctuaire pour obtenir les honneurs divins. Il se trouvait que le livre de Daniel, le plus aimé et le plus lu de tous les écrits prophétiques, tout en décrivant comme quelque chose de futur ce qui s'était passé en 168 avant notre ère, lorsque Antiochus Epiphane avait consacré le temple de Jérusalem à Jupiter, avait paru prévoir l'attentat de Caligula. Toujours d'après le livre de Daniel, cette profanation du temple, l'abomination qui causera la désolation, devait être un signe de l'approche du jugement dernier et des derniers temps.

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