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pourquoi ne règne-t-elle pas et ne reçoit-elle | pas nos hommages toute seule? Si elle n'envoie que du mal, pourquoi la vénère-t-on comme une déesse? Pourquoi envie-t-elle la prospérité à ceux qui lui offrent des sacrifices? Pourquoi estelle plus favorable aux méchans qu'aux gens de bien? Pourquoi prend-elle plaisir à tendre des piéges, à tromper, à ruiner les hommes, et à les jeter dans des tristesses mortelles? Qui lui a donné l'ordre et le pouvoir de faire une guerre si cruelle aux hommes, et de disposer de toutes choses par son caprice et sans aucune justice? Les philosophes devaient chercher l'éclaircissement de ces questions, plutôt que d'accuser légèrement la Fortune, tout innocente qu'elle est; car, quand il y aurait en effet une Fortune, ils ne sauraient rendre aucune raison de la haine si implacable qu'ils lui attribuent contre les hommes. Ainsi les plaintes continuelles qu'ils font de son injustice, et les vains éloges dont ils relèvent leur propre vertu, ne sont que d'extravagantes rêveries, qui font voir la faiblesse et la légèreté de leur esprit. Qu'ils n'aient donc point de jalousie de ce que Dieu a eu la bonté de nous révéler la vérité. Comme nous savons qu'il n'y a point de Fortune, nous savons aussi qu'il y a un méchant esprit qui est l'ennemi déclaré de la justice, qui persécute les gens de bien, qui s'oppose à tous les desseins de Dieu par le motif d'une jalousie dont j'ai rapporté le sujet dans le second livre de cet ouvrage. Il dresse des piéges à tous les hommes; il embarrasse aisément dans les filets de l'erreur ceux qui ne connaissent point Dieu; il les enveloppe de ténèbres; il les accable du poids de leur propre extravagance, afin qu'ils ne parviennent jamais à la connaissance qui renferme la sagesse et la vie éternelle; il use de ruse et d'adresse pour surprendre ceux qui connaissent Dieu, et pour les porter au péché par le plaisir; et quand ce moyen ne réussit pas, il a recours à la violence. Dieu a différé à dessein le châtiment que mérite son péché, afin qu'il exerce notre vertu, qui ne saurait devenir parfaite que par l'épreuve; car la vertu est la patience qui a supporté le mal sans être vaincue. Ainsi nous n'aurions point de vertu si nous n'avions point d'ennemi. Comme les philosophes ont senti la violence de cette puissance contraire et qu'ils en ont ignoré le nom, ils ont inventé celui de

Fortune, ce qui est fort extravagant, comme Juvénal a eu dessein de le marquer par ces paroles:

Il n'y a point de divinité sans la prudence; mais à l'égard de la Fortune, nous la reconnaissons pour une déesse, et comme telle nous la plaçons dans le ciel.

Ce sont donc, comme Cicéron l'avoue, la folie, l'erreur, l'ignorance et l'aveuglement qui ont inventé les noms de Nature et de Fortune les philosophes n'avaient garde de connaître la vertu, puisqu'ils ne connaissaient pas l'ennemi contre lequel ils la devaient faire paraître. Si cette vertu est jointe à la sagesse, ou si c'est la sagesse même, comme ils le prétendent, ils ne savent en quoi elle consiste. Quiconque ne connaît pas son ennemi, ne saurait se préparer comme il faut à le combattre; il ne choisira pas des armes propres à remporter la victoire. Au lieu de poursuivre son ennemi, il ne poursuivra que son ombre. Il sera infailliblement vaincu, parce qu'il ne prévoit pas le coup qui le menace et qui le percera de part en part.

XXX. J'ai fait voir, autant que mon peu de suffisance me l'a pu permettre, combien les philosophes se sont éloignés de la vérité. Je sais que j'ai omis beaucoup de choses; mais aussi je n'avais pas entrepris de combattre toutes leurs erreurs: j'avais seulement été obligé de montrer, comme en passant, qu'un si grand nombre d'excellents esprits s'étaient misérablement consumés à la poursuite du mensonge, pour empêcher que ceux qui avaient reconnu qu'il n'y avait pas d'espérance de trouver la vérité dans les religions païennes, ne l'allassent chercher parmi les sectes si différentes de ces sages de l'antiquité. Il ne reste donc aucune espérance ni aucun salut que dans la doctrine que nous soutenons. Toute la sagesse consiste à connaître Dieu et à le servir. J'élève ma voix, autant qu'il m'est possible, pour déclarer et pour publier: que nous avons dans notre religion la vérité que les philosophes ont cherchée durant toute leur vie, et qu'ils n'ont jamais pu trouver parce qu'ils n'ont aucune religion, ou qu'ils n'en ont eu qu'une mauvaise. Éloignons-nous de ces maîtres qui ne font que nous troubler au lieu de nous instruire. Que pourraient-ils nous enseigner, eux qui n'ont rien appris? Qui ces malades pourraient-ils

guérir? Qui ces aveugles pourraient-ils instruire? Que ceux qui désirent connaître la sagesse se rendent en foule à notre religion. Attendronsnous que Socrate commence à savoir quelque chose, qu'Anaxagore trouve la lumière au milieu des ténèbres, que Démocrite tire la vérité du fond du puits où elle est cachée, qu'Empédocle élargisse les chemins des sens par où les objets entrent dans l'âme, enfin qu'Arcésilas et Carnéade voient et comprennent? Une voix du ciel nous déclare la vérité; une lumière plus éclatante que le soleil nous la montre. Pourquoi sommes-nous assez injustes envers nousmêmes, pour refuser la sagesse que les philosophes les plus célèbres de l'antiquité ont cherchée inutilement durant tout le temps de leur vie? Quiconque veut devenir sage et heureux n'a qu'à écouter la voix de Dieu, à apprendre la justice, à méditer le sujet pour lequel il a été mis au monde, à mépriser tout ce qu'il y a sur la terre, à faire profession du culte de Dieu, pour parvenir un jour au souverain bien, dont la jouissance doit faire tout son bonheur. Il faut pour cela renoncer à toutes les autres religions, rejeter tout ce que l'on dit pour leur défense, réfuter les erreurs de toutes les sectes des philosophes. La vérité s'élèvera sur les ruines du mensonge. Après avoir détruit les fausses religions, il est aisé d'établir la nôtre par des exemples, par des argumens et par des témoignages convaincans, et de faire voir que l'extravagance que les philosophes nous attribuent ne se rencontre que parmi eux. Bien qu'en réfutant leurs erreurs et en faisant voir qu'ils ne possèdent point la véritable sagesse, j'aie marqué assez clairement le lieu où elle réside, je me suis proposé de le prouver encore plus solidement dans tout le livre suivant.

LIVRE IV.

DE LA VRAIE SAGESSE ET DE LA VRAIE RELIGION.

1. Quand je considère, empereur Constantin, l'état des premiers temps, et que je vois que la folie d'un siècle a répandu de si épaisses ténèbres sur l'esprit des hommes qui ont vécu dans les siè

cles suivans, qu'ils se sont oubliés eux-mêmes jusqu'à chercher sur la terre l'objet de leur culte et de leur bonheur, au lieu de le chercher dans le ciel,je n'en conçois pas moins d'indignation que d'étonnement: ce monstrueux déréglement a changé leur félicité en disgrâce, lorsque abandonnant Dieu, l'auteur de toutes les créatures, ils ont commencé à adorer les ouvrages de leurs mains. En se détournant du souverain bien, sous prétexte qu'il ne peut être vu, touché ni compris, et en s'éloignant de la pratique des vertus par lesquelles ils le pouvaient posséder, ils ont recherché des dieux corruptibles et fragiles, et, n'ayant soin que des choses qui peuvent servir à parer, à nourrir et à réjouir le corps, ils sont tombés dans une mort éternelle. Leur superstition a été accompagnée d'injustice et d'impiété; car ayant tourné leur esprit aussi bien que leur visage vers la terre au lieu de les tourner vers le ciel, ils se sont attachés à des religions et à des biens qui n'ont rien que de terrestre. C'est de là que sont venues les querelles et les guerres, la mauvaise foi, et tous les crimes que la mauvaise foi traîne après elle. Les hommes ont méprisé les biens éternels et incorruptibles, pour jouir des biens temporels et périssables, et ont préféré le mal présent au bien à venir. Voilà comment, après avoir joui de la lumière, ils ont été enveloppés de ténèbres, et ce qui est plus étonnant, voilà comment ils ont commencé à se faire appeler sages aussitôt qu'ils ont perdu la sagesse.Personne ne s'attribuait ce nom au temps auquel tout le monde le méritait. Plût à Dieu que, maintenant qu'il est si rare, au lieu qu'autrefois il était si commun, ceux qui le prennent sussent ce qu'il signifie! ils pourraient peut-être, par leur esprit, par leur autorité et par leurs conseils, retirer le peuple des erreurs et des vices où il est engagé. Mais ils sont tous fort éloignés de la sagesse, et la vanité avec laquelle ils en prennent le nom ne montre que trop qu'ils n'en ont pas l'effet. Avant néanmoins que la philosophie commune dont on parle tant fût inventée, on dit qu'il y a eu sept hommes qui, pour avoir recherché les premiers les secrets de la nature, ont mérité d'être appelés sages. Oh! le malheureux siècle où il ne s'est trouvé que sept hommes! car nul n'est homme s'il n'est sage. Si tous les autres ont été fous, ces sept-là n'ont pas été sages, parce que pour l'ètre en effet, il ne le faut

pas être selon le jugement des fous. Tant s'en faut qu'ils aient été sages, que, dans les siècles suivans, où les sciences ont fait de notables progrès et où elles ont été cultivées par d'excelLens esprits, la vérité n'a pu être découverte! Depuis le temps de ces sept sages, les Grecs ont brûlé d'un désir incroyable d'apprendre, et au lieu néanmoins de s'attribuer le nom superbe de sages,ils se sont contentés de celui d'amateurs de la sagesse. Ainsi ils ont couronné la folie et l'orgueil des autres, et ont reconnu en même temps leur propre ignorance; car toutes les fois qu'ils ont trouvé de l'obscurité dans les questions qu'ils traitaient, et qu'ils ont vu que la nature se couvrait comme d'un voile pour les empêcher de pénétrer ses secrets, ils ont avoué franchement qu'ils ne voyaient rien ; en quoi ils ont sans doute été plus sages, en reconnaissant leur peu de lumières et de suffisance, que ceux qui se sont persuadés eux-mêmes de l'être.

II. Si les premiers qui ont pris le nom de sages ne l'ont pas été en effet, et si les seconds qui n'ont point fait difficulté d'avouer qu'ils ne l'étaient pas,ne l'étaient pas en effet, il s'ensuit nécessairement qu'il faut chercher ailleurs la sagesse. D'où vient que tant d'excellens esprits qui l'ont cherchée avec tant de soin, durant tant de siècles, ne l'ont put trouver, si ce n'est qu'ils l'ont cherchée hors des limites où elle se renferme? Ils ont fait divers voyages pour découvrir le pays où elle s'était retirée; elle est cependant quelque part, et il est évident que Dieu, par un ordre incompréhensible, a caché ce trésor sous l'apparence de la folie. Je me suis souvent étonné de ce que Pythagore et Platon, qui sont allés jusqu'en Égypte et en Perse pour apprendre les cérémonies et les mystères de la religion de ces payslà, sous lesquels ils se doutaient que la sagesse était cachée, ne sont pas allés dans la Judée qui était plus proche d'eux et où ils pouvaient uniquement trouver la sagesse. Je me persuade qu'ils en furent détournés par la divine providence, de peur qu'ils ne connussent la vérité, parce que la justice de Dieu et la véritable religion devaient encore alors être cachées aux étrangers. Dieu avait résolu d'envoyer dans les derniers temps un grand maître, qui ôtât la vérité à la nation ingrate et perfide des Juifs pour la révéler aux aux autres. C'est ce que je me propose de faire voir dans ce livre-ci, après néanmoins que

j'aurai montré la liaison directe qu'il y a entre la religion et la sagesse.

III. Le culte des dieux n'est nullement conforme à la sagesse, comme je l'ai fait voir dans le premier livre, non-seulement parce qu'il abaisse au-dessous des créatures les plus terrestres l'homme, qui est descendu du ciel, mais aussi parce qu'il ne contient aucunes maximes qui servent à la réforme des mœurs et à la conduite de la vie; et qu'au lieu de se rapporter à la connaissance de la vérité, il ne se termine qu'à un ministère purement extérieur. Il n'appartient point à la véritable religion, parce qu'il ne donne aucun précepte de vertu et de justice, et ne nous rend point meilleurs. La philosophie ne nous conduisant pas à la religion, n'a garde de contenir la sagesse. Dieu, qui gouverne le monde et qui comble continuellement les hommes de ses bienfaits, veut qu'ils lui en rendent des actions de grâces: aussi n'y a-t-il ni piété, ni sagesse sans reconnaissance. La philosophie et la religion sont séparées parmi les païens; ceux qui font profession de s'adonner à l'étude de la sagesse ne s'ingèrent point du service des dieux, et ceux qui sont employés au ministère des temples n'entreprennent point d'enseigner la sagesse. Il paraît par là qu'ils n'ont point de vraie sagesse ni de vraie religion. Voilà pourquoi leur philosophie n'a pu comprendre la vérité, et pourquoi leur religion n'a pu rendre raison de son culte, parce qu'il n'en a en effet aucune. Quand la sagesse et la religion sont unies, elles sont toutes deux véritables. Notre religion doit être éclairée; parce que nous sommes obligés de connaître ce que nous adorons; mais notre connaissance doit aussi être agissante,c'est-à-dire qu'elle nous doit faire pratiquer le bien que nous connaissons. Mais où est-ce que la sagesse et la religion sont unies, si ce n'est où l'on n'adore qu'un Dieu, et où les prêtres qui lui offrent des sacrifices enseignent la sagesse ?

Que personne ne doute de la vérité de ce que je dis, sous prétexte qu'il se peut faire, et qu'il est même peut-être arrivé, que les philosophes ont été prêtres des dieux. Alors la philosophie a été oisive durant l'exercice de la religion, et la religion est demeurée muette pendant que la philosophie a parlé. Cette religion-là est en effet muette, non-seulement parce que les idoles qu'elle révère le sont, mais aussi parce que tout

son exercice consiste dans les mains et non dans la langue ni dans le cœur comme celui de la notre. La sagesse est parmi nous dans la religion, et la religion dans la sagesse: elles ne se séparent point. Ètre sage n'est autre chose que de rendre à Dieu le culte qui lui est dû. Pour ce qui est du culte de plusieurs dieux, il est contraire à la nature, comme il est aisé de le prouver par cet argument. Dans les prières que l'homme fait à Dieu, il l'appelle père, et il en doit user ainsi non-seulement par honneur, mais par raison, parce que Dieu est supérieur à l'homme, et qu'il lui donne la vie et les alimens qui la conservent. C'est donc pour cela que Jupiter, Saturne, Janus, Bacchus et les autres, sont appelés pères par ceux qui les prient, ce dont Lucile se moque dans l'assemblée des dieux, comme d'une extravagance qui rendrait les dieux les pères communs de tous les hommes et tous les hommes les enfans communs de tous les dieux. Que s'il est contre la nature qu'un homme ait plusieurs pères, il est contre la nature et contre la piété qu'il adore plusieurs dieux; il ne doit adorer que celui qu'il peut appeler véritablement son père et son seigneur. Dieu est père parce qu'il répand sur nous les biens en abondance; il est seigneur parce qu'il a un pouvoir absolu de nous châtier. Tout père est seigneur par le droit civil; il ne pourrait élever ses enfans s'il n'avait sur eux un pouvoir absolu. C'est pour cela qu'on appelle père de famille ceux mêmes qui n'ont point d'enfans. Le nom de père s'étend jusqu'aux esclaves, et le nom de famille s'étend jusqu'aux enfans. Le même homme est le père de ses esclaves et le seigneur de ses enfans; il affranchit son fils de sa puissance aussi bien que ses esclaves, et un esclave affranchi prend le nom de son patron, de la même manière qu'un fils prend le nom de son père. On l'appelle père de famille pour marquer le double pouvoir qu'il a entre les mains, et pour l'avertir d'user quelquefois de l'indulgence d'un père, et quelquefois aussi de la rigueur d'un maître. L'esclave est comme le fils de son maître, et le maître est comme le père de son esclave. Comme par l'ordre de la nature on ne peut avoir qu'un père, on ne peut aussi avoir qu'un maître. Que ferait un serviteur qui aurait plusieurs maîtres, desquels il recevrait en même temps des commandemens différens? Le culte de plusieurs dieux est donc également

contraire à la raison et à la nature, puisque les dieux doivent être appelés et nos pères et nos seigneurs, et qu'il est impossible que nous en ayons plusieurs. L'homme ne peut arriver à la connaissance de la vérité, quand il a l'esprit partagé et qu'il obéit à plusieurs pères et à plusieurs maîtres. Une religion qui n'a point de demeure stable et certaine ne peut subsister. Le culte qui nous soumet à plusieurs dieux ne peut être véritable, non plus que le mariage qui lierait une femme à plusieurs hommes. Ce ne serait pas une femme légitime, ce serait ou une adultère ou une prostituée qui n'aurait ni pudeur, ni chasteté, ni fidélité, ni vertu. Ainsi la religion qui sert plusieurs dieux est une impudique et une infâme, qui n'a point de fidélité et qui ne leur rend point d'honneur certain ni solide. IV. Ce que je viens de dire fait voir fort clairement, si je ne me trompe, rement, si je ne me trompe, combien la sagesse et la religion sont étroitement unies. La sagesse regarde les enfans et exige d'eux de l'amour. La religion regarde les serviteurs et exige d'eux de la crainte. Les premiers doivent avoir de l'amour pour leur père, et les seconds de la crainte pour leur maître. Nous devons de la crainte et de l'amour à Dieu, parce qu'il est tout ensemble et notre maître et notre père. Ce qui rend la sagesse et la religion inséparables, c'est que la sagesse fait connaître Dieu et que la religion le fait honorer. La sagesse précède, parce qu'il faut connaître Dieu avant que de lui pouvoir rendre l'honneur qui lui est dû. La sagesse et la religion ne sont qu'une même chose, bien qu'elles paraissent différentes: l'une consiste dans la connaissance et l'autre dans l'action. Ce sont comme deux ruisseaux qui procèdent de Dieu comme d'une même source, et qui ne peuvent être séparés de lui sans être en même temps desséchés. Les hommes qui ont le malheur d'être séparés de lui par leur ignorance, n'ont ni sagesse, ni piété. Les philosophes qui adorent plusieurs dieux sont semblables à des enfans abdiqués qui n'aiment plus leur père, et à ces esclaves fugitifs qui ne servent plus leur maître. Mais comme ces enfans qui ont été abdiqués n'ont plus de part à la succession et que les esclaves qui se sont échappés ne sont pas assurés pour cela de l'impunité, ainsi ces philosophes n'ont point de part à l'immortalité, qui est en effet le souverain bien qu'ils recherchent et la succession

que Dieu donne à ses enfans dans son royaume, et ne seront point exempts du châtiment éternel dont il punit l'infidélité et l'insolence de ceux qui refusent de lui rendre le service et le culte qu'ils lui doivent. Ceux qui ont adoré plusieurs dieux, et ceux même qui ont fait profession de sagesse, n'ont connu Dieu ni en qualité de père, ni en qualité de maître; les uns ont cru qu'il ne fallait rien adorer; les autres ont suivi la religion du peuple. Ceux qui ont reconnu l'unité de Dieu, comme Platon qui a déclaré qu'il n'y a qu'un Dieu qui a fait le monde, et comme Cicéron qui a dit que Dieu a produit l'homme d'une manière particulière, ne lui ont pas rendu le culte qu'ils lui devaient comme à leur père et comme à leur maître. Non-seulement la pluralité des dieux fait voir, comme je l'ai déjà dit, qu'ils ne peuvent être ni nos pères, ni nos maîtres, mais la raison en peut convaincre avec une entière évidence, parce qu'il ne paraît point que les dieux aient fait l'homme, ni qu'ils aient été avant le temps auquel il a été fait. Il est certain qu'il y avait des hommes sur la terre avant que Vulcain, que Bacchus, qu'Apollon et que Jupiter fussent nés. On n'a pas même la coutume d'attribuer ni à Saturne, ni à Cœlus son père, la formation de l'homme. Que si nul de ceux que l'on adore n'a formé l'homme, nul ne peut être appelé ni son père, ni son Dieu. Il n'est donc point permis de révérer ceux qui n'ont pu faire l'homme, qui n'a pu être fait que par un seul, et il ne faut révérer que celui qui a précédé Jupiter et Saturne, et qui est avant le ciel et la terre. Il n'y a que celui-là qui ait pu faire l'homme. Il n'y a que lui qui doive être appelé son père et son maître; il n'y a que lui qui le gouverne avec un droit absolu de vie et de mort. Quiconque ne l'adore pas est un esclave insensé, qui ne connaît pas son maître et qui s'est échappé d'entre ses mains, ou un fils impie qui fuit en la présence de son père.

V. Il est temps de traiter de la religion et de la sagesse, après avoir montré, comme j'ai fait, qu'elles ne peuvent se séparer. Je n'ignore pas combien il est difficile de parler des choses du ciel. Il faut néanmoins entreprendre d'éclaircir la vérité, afin que ceux qui la méprisent et qui la rejettent, parce qu'elle leur paraît pleine de folie, soient délivrés de l'erreur et évitent le danger où ils sont de périr. Mais, avant que de par

ler de Dieu et de ses ouvrages, je suis obligé de dire quelque chose des prophètes, dont je ne puis nie dispenser de rapporter ici les témoignages, comme je m'en suis dispensé dans les livres précédens. Quiconque désire s'instruire de la vérité doit non-seulement s'efforcer de pénétrer le sens de leurs paroles, mais encore examiner avec soin le temps qu'ils ont vécu, pour savoir ce qu'ils ont prédit et combien d'années se sont écoulées depuis leurs prédictions jusqu'à l'accomplissement qui les a suivies. Il n'y a pas grande difficulté à distinguer les temps de la sorte, parce que chaque prophète a marqué le règne sous lequel il a été inspiré par l'esprit de Dieu. On a outre cela entre les mains une quantité de livres, de chroniques qui commencent au temps de Moïse, qui a vécu près de neuf cents ans avant la guerre de Troie. Il gouverna durant quarante années le peuple Juif et eut pour successeur Josué, qui le gouverna vingt autres années. Ce peuple fut ensuite sous la conduite de juges pendant trois cents soixante-dix ans. Ils changèrent après cela la forme de leur gouvernement et obéirent à des rois. Ils vécurent de la sorte l'espace de quatre cent soixante ans, jusqu'au règne de Sédéchias, sous lequel ils furent emmenés captifs à Babylone où ils demeurèrent soixante-dix ans, jusqu'à ce que Cyrus qui régnait parmi les Perses au même temps que Tarquin le Superbe régnait parmi les Romains, daigna les rétablir dans leur pays. Ainsi il est aisé de trouver dans les histoires des Juifs, des Grecs et des Romains la suite des temps, et de marquer précisément celui de chaque prophète. Il est constant que Zacharie, le dernier de tous, a écrit ses prophéties au huitième mois de la seconde année du règne de Darius ; et partant, les prophètes sont plus anciens que tous les auteurs grecs. Je dis tout ceci à dessein de faire en sorte que ceux qui, ne sachant point l'origine de notre religion, ont la témérité de mépriser l'Écriture sainte, comme si elle était fort nouvelle, reviennent de leur égarement. Je ne doute point que quiconque prendra la peine de faire un calcul exact des temps ne reconnaisse la vérité et ne renonce à l'erreur.

VI. Avant que Dieu commençât à travailler au merveilleux ouvrage de l'univers, il engendra un esprit saint, incorruptible et irrépréhensible,

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