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Cette rivalité, et les suites funestes qu'elle entraina après elle, exigent que nous jetions un coup d'œil rapide sur l'état de notre pays au moment où elles éclatèrent. Alors la troisième dynastie de nos rois établissait les faibles commencements de sa puissance. Entourés de barons égaux et même supérieurs en pouvoir, les rois de France n'avaient d'autres richesses que les revenus de leurs domaines, d'autres forces que les sujets de leur duché. Leur état comprenait d'abord le Maine, l'Anjou, la Touraine, l'Orléanais, presque toute l'Ile-de-France, et le sudest de la Picardie jusqu'à la Somme. Mais l'agrandissement des comtes d'Anjou, de Blois, de Chartres et de quelques autres, réduisit les domaines royaux à des limites beaucoup plus étroites. La faiblesse du monarque et l'exemple de tant de puissantes principautés, comme la Normandie, l'Anjou, la Champagne, la Bourgogne, qui s'étaient accrues successivement tantôt par la force, tantôt par la ruse, faisaient naître dans l'esprit de tous les hauts suzerains l'espoir de s'étendre aux dépens des voisins et de se créer un État qui ne relevât que d'eux-mêmes. La suite fera voir comment le faible domaine de nos comtes fut un objet constant d'ambition pour les princes d'Anjou, de Normandie, de Bellème et d'autres encore, à une époque où il n'y avait pas de pouvoir central assez puissant pour maintenir les droits réciproques des grands vassaux.

La maison de Bellême manifesta la première ses desseins d'agrandissement; elle entreprit de s'établir dans le Maine. par la voie de l'Église, qui occupait un rang important dans la hiérarchie féodale. Elle plaça successivement trois de ses membres sur le siége épiscopal du Mans, et ces trois prélats gouvernèrent le diocèse pendant quatre-vingtquinze ans. Elle en éleva d'autres à des prélatures inférieures et à des dignités importantes dans notre Église; et elle jouit d'une influence très-grande dans le Maine pendant toute cette période.

Elle possédait le comté de Corbonnois, la plus grande partie du Perche, la vicairie du Sonnois, le territoire de la

Ferté-sur-Huisne, nommée plus tard la Ferté-Bernard. Ainsi cette famille, intimement unie aux ducs de Normandie, avait dès lors jeté de profondes racines dans le Maine. Elle travailla sans cesse à y affermir son pouvoir, jusqu'à ce que Sigefroy parvint à s'asseoir sur la chaire épiscopale du Mans.

Sigefroy eut trois frères: Rotrou, comte de Mortagne, mort encore jeune; Yves de Creil, plus connu sous le nom d'Yves [er de Bellême, qui jouit de la seigneurie de ce nom et augmenta beaucoup les possessions de sa maison; enfin un troisième frère dont on ignore le nom, mais auquel les évêques de Chartres inféodèrent les cinq baronnies du Perche-Gouet, et qui fut la tige des seigneurs de cette province.

Yves de Bellême était chef des arbalétriers à la cour de Louis d'Outre-mer, emploi qui lui conférait la direction de tous les ouvrages de fortification des places et des châteaux. Lorsque le roi, oubliant qu'il devait son établissement sur le trône à un duc de Normandie, retint en captivité le fils de celui-ci, Richard Ier, encore enfant, Yves fut l'instrument principal de la délivrance du jeune prince. En reconnaissance, Richard lui donna plus tard, pour lui et ses descendants, le territoire d'Alençon, et une grande étendue de terre sur la frontière de Normandie, à la charge de lui en faire hommage, et de veiller de ce côté à la sûreté de ses États. Yves fit construire les châteaux d'Alençon, de Séez, du Mesle-sur-Sarthe, d'Essey et d'autres encore.

On dit que ce seigneur et ses enfants possédèrent à un haut degré l'art de fortifier les places, et l'on admire même aujourd'hui, dans les débris des forteresses dont ils couvrirent une partie du Maine et de la Normandie, les traces toujours subsistantes de leur génie. Yves réunit dans ses mains la seigneurie de Mortagne qui était échue en partage à son frère Rotrou, et aussi vraisemblablement Nogent-leRotrou et ses dépendances. Il fonda dans son château de Bellème une église en l'honneur de la Mère de Dieu, et lui donna plusieurs églises paroissiales dans le Corbonnois

et le Sonnois (1). Il est aussi connu par ses libéralités en faveur de l'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire (2), et de l'Abbayette, prieuré considérable dans la paroisse de la Dorée, membre du Mont-Saint-Michel (3).

Yves de Bellême mourut au plus tôt en l'année 997, alors que l'un de ses fils était assis sur le siége du Mans. Il laissait cinq enfants : Guillaume, qui lui succéda dans la seigneurie de Bellême; Avesgaud, qui devint évêque du Mans, et qui obtint en partage le territoire de la Fertésur-Huisne et une partie du Sonnois; Yves, que l'on croit tige des seigneurs de Château-Gonthier et de Nogent-leRotrou; Godehilde, qui épousa Albert, seigneur de la Ferté-en-Beauce; et enfin Hildeburge, qui fut mariée à Aymon, seigneur de Château-du-Loir, et qui devint mère de Gervais, successeur de son oncle Avesgaud dans la chaire épiscopale du Mans (4).

D'après ce simple aperçu, on comprend avec quel œil jaloux les comtes du Maine durent voir les progrès de cette famille qui s'annonçait comme une rivale menaçante. Cette inquiétude était augmentée par tous les exemples d'usurpations que l'on avait alors; et d'ailleurs les sires de Bellême apparaissaient comme les protégés des ducs de Normandie, jeune nation dont l'activité, l'adresse et la puissance faisaient le désespoir de tous ses voisins.

Dans de pareilles circonstances, la mort de l'évêque Mainard, arrivée en 960 (5), devait nécessairement apporter

(1) Fret, Chroniques percheronnes, t. III, p. 258.

(2) Vie de Gauzlin, num. 9, publiée par M. Léop. Delisle, 1853. (3) D. Briant, Cenomania.

(4) Dom Briant, Cenomania. Orderic Vital, Historia ecclesiastica, apud D. Bouquet, t. XI, p. 628 et passim. Willelmus Gemeticensis, Historia Normannorum, ibid., t. X, p. 191.- D. Mabillon, Vetera analecta, t. III, p. 197.— Gilles Bry, Histoire des pays et comtés du Perche, p. 28 et passim. Odolant-Desnos, Mémoires historiques sur Alençon, t. I, p. 98 et passim. — Fret, Chroniques percheronnes, t. I, p. 279 et passim. Ménage, Histoire de Sablé, part. Ire, 1. III, c. xvII. - L'Art de vérifier les dates, comtes d'Alençon et passim.

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(5) Une charte de l'évêque Mainard (Livre Blanc, num. 108) porte

de grands embarras, par la complication des intérêts qui se trouvaient en présence. L'élection de son successeur fut vivement disputée. L'un des prétendants, Sigefroy, dont on vient de rapporter l'origine, s'assura l'appui de Foulques le Bon, comte d'Anjou, qui avait aussi conçu l'espoir de se rendre maitre de notre province dans un avenir peu

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cette date: « Actum Cenomannis, in anno xv, regnante Lothario rege. >> Or, la quinzième année de Lothaire ne peut être antérieure à 968 ou 969. Il s'ensuivrait que le commencement de l'épiscopat de Sigefroy se rapporterait à 970 environ. Toutefois, cette date repose sur une copie postérieure de trois siècles à l'original, qui est perdu depuis longtemps; elle contredit trois ou quatre dates positives données par un manuscrit antérieur (Bibliothèque du Mans, n. 224). Comme il peut y avoir ici une simple erreur de copiste, qui aura écrit xv au lieu de v, il ne semble pas que l'on doive déranger la chronologie admise par de graves autorités. On a d'ailleurs une charte de Sigefroy, datée de l'an 971 (vid. infra), laquelle suppose plusieurs années d'épiscopat déjà écoulées. Enfin l'élection de Sigefroy doit être peu éloignée de la mort du comte d'Anjou Foulques le Bon, décédé le 11 novembre 958. Mais les raisons sur lesquelles s'appuie le sentiment contraire étant très-fortes, nous devons les faire connaître au lecteur. La contradiction relative à l'époque de la nomination de Sigefroy, disent les savants qui adoptent la date de 968 donnée par le Livre Blanc, peut provenir d'une supposition fausse de la part des auteurs du Pontifical. Ces auteurs connaissaient la durée de chaque épiscopat depuis saint Aldric. A partir de la mort de ce prélat, ils n'ont pas cru devoir admettre de vacances dans le siége, et la somme totale donnait sans doute 960. Pour les auteurs modernes, il peut se faire que l'adoption de cette date ait été le résultat d'une confusion de personnages. Segenfredus, nom donné à notre évêque dans les titres du temps, diffère peu de Regenfredus, qui est celui que portait un évêque de Chartres encore vivant en 960. Quelque charte de ladite année où figure ce nom, avec la simple qualification d'episcopus, est très-capable d'avoir occasionné une méprise. Dom Denys Briant, dans le Cenomania, et quelques auteurs à sa suite, Cauvin entre autres (Géographie ancienne du diocèse du Mans, Instrumenta, p. LXX, texte, p. 26), ont commis une erreur semblable à la suite d'une confusion de ce genre. Le premier cite une charte du Cartulaire du Mont-Saint-Michel (Carta Yvonis, Cabinet des chartes, G. 17. - Cartulaire du Mont-Saint-Michel, fol. 157), qui est une donation faite à l'abbaye, par Yves, de terres situées dans le Maine sur la frontière de l'Avranchin. Elle est sans date, et nos écrivains (Cauvin, loc. cit.) la rapportent tantôt à 994, tantôt à 997. L'embarras vient de ce qu'ils ont voulu voir dans un des signataires, Sigenfredus

éloigné (1). Pour se ménager l'aide de ce puissant auxiliaire, Sigefroy ne craignit pas de recourir à des offres entachées de simonie; il s'engagea à lui céder la cour ou le manoir que les évêques du Mans possédaient depuis longtemps à · Coulaines, et qui était estimé à une somme très-considérable à cette époque, plus de mille livres de deniers (2);

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episcopus, notre évêque Sigefroy. Mais comme on y trouve en même temps l'indication que la charte fut donnée sous le règne de Robert (regnante Roberto rege), c'est-à-dire après 996, et que la mort du prélat manceau eut lieu en 995, il était difficile de concilier ces données positives. Il est donc très-probable que le Sigenfredus du titre n'est autre que l'évêque de Séez de ce nom, qui tint effectivement l'épiscopat du vivant du roi Robert, et qui ne figure dans l'acte que comme parent (oncle) du donateur. Il n'est pas probable non plus que ce dernier soit Yves de Bellême, frère de notre évêque, comme l'ont écrit plusieurs auteurs. La charte de Mainard consignée au Livre Blanc est un monument digne de foi. Antérieurement à l'année où elle fut délivrée, c'est-à-dire à 968 ou 969, on ne trouve pas en effet un seul titre daté où figure le nom de Sigefroy, évêque du Mans. Quant à l'intervention d'un comte d'Anjou dans la nomination de ce prélat, ne serait-ce pas une invention de l'historien? L'avénement au siége du Mans d'un personnage aussi mal famé que Sigefroy, devait-il avoir lieu de la même manière et aussi régulièrement que celui de ses prédécesseurs? En le mettant sur le compte d'un pouvoir étranger, on écartait le fait d'élection dans la localité. Seulement l'auteur, incertain de la date précise de la nomination, ou peu versé dans la chronologie des comtes d'Anjou, a mal choisi son homme, et les compilateurs y ont peu fait attention.

(1) Gesta Segenfredi Cenomanensis episcopi, apud D. Mabillon, Vetera analecta, t. III, p. 297.-D. Bouquet, t. X, p. 384.

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(2) Nam antequam esset ordinatus episcopus, cœpit et ipse destructor esse Ecclesiæ. Nam curiam antecessorum episcoporum, quam Colonias vocant, fiscalinorum admodum plenam, mille libris denariorum et plus valentem, et villam, quam Disiacum nominant... dedit Fulconi, Andegavorum comiti... Vetera analecta, t. III, p. 297. Au pouvoir actuel de l'argent, cette somme équivaut à 563,200 fr. de notre monnaie. Nous nous bornons ici et dans la suite de ce travail, à tirer, sans discussion, les conséquences des remarquables mémoires de M. Leber, publiés sous le titre de: Essai sur l'appréciation de la fortune privée au moyen âge.Pour les époques antérieures à celles étudiées par ce savant, nos appréciations sont tirées des principes posés par M. Guérard dans ses Prolégomènes sur le Polyptyque de l'abbé Irminon, p. 146, 147, 158, et du Cartulaire de Saint-Père de Chartres, p. 185. Lorsque la monnaic

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