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I. Si le désir déréglé de devenir savant rend souvent les hommes plus ignorants, le désir de paraître savant ne les rend pas seulement plus ignorants, mais il semble qu'il leur renverse l'esprit; car il y a une infinité de gens qui perdent le sens commun, parce qu'ils le veulent passer; et qui ne disent que des sottises, parce qu'ils ne veulent dire que des paradoxes. Ils s'éloignent si fort de toutes les pensées communes dans le dessein qu'ils ont d'acquérir la qualité d'esprit rare et extraordinaire, qu'en effet ils y réussissent, et qu'on ne les regarde plus ou qu'avec admiration, ou qu'avec beaucoup de mépris.

On les regarde quelquefois avec admiration, lorsque étant élevés à quelque dignité qui les couvre, on s'imagine qu'ils sont autant au-dessus des autres par leur génie et par leur érudition qu'ils le sont par leur rang ou par leur naissance; mais on les regarde le plus souvent avec mépris, et quelquefois même comme des fous, lorsqu'on les regarde de plus près et que leur. grandeur ne les cache point aux yeux des autres.

Les faux savants font manifestement paraître ce qu'ils sont dans les livres qu'ils composent et dans leurs con

versations ordinaires. Il est peut-être à propos d'en dire quelque chose.

II. Comme c'est la vanité et le désir de paraitre plus que les autres qui les engage dans l'étude, dès qu'ils se sentent en conversation, la passion et le désir de l'élévation se réveille en eux et les emporte. Ils montent tout d'un coup si haut, que tout le monde les perd quasi de vue, et qu'ils ne savent souvent eux-mêmes où ils en sont; ils ont si peur de n'être pas au-dessus de tous ceux qui les écoutent, qu'ils se fâchent même qu'on les suive, qu'ils s'effarouchent lorsqu'on leur demande quelque éclaircissement, et qu'ils prennent même un air de fierté à la moindre opposition qu'on leur fait. Enfin, ils disent des choses si nouvelles et si extraordinaires, mais si éloignées du sens commun, que les plus sages ont bien de la peine à s'empêcher de rire, lorsque les autres en demeurent tout étourdis.

Leur première fougue passée, si quelque esprit assez fort et assez ferme pour n'en avoir pas été renversé leur montre qu'ils se trompent, ils ne laissent pas de demeurer obstinément attachés à leurs erreurs. L'air de ceux qu'ils ont étourdis les étourdit eux-mêmes; la vue de tant d'approbateurs qu'ils ont convaincus par impression, les convainc par contre-coup; ou si cette vue ne les convainc pas, elle leur enfle au moins assez le courage pour soutenir leurs faux sentiments. La vanité ne leur permet pas de rétracter leur parole. Ils cherchent toujours quelque raison pour se défendre ; ils ne parlent même jamais avec plus de chaleur et d'empressement que lorsqu'ils n'ont rien à dire ; ils s'imaginent qu'on les injurie, et que l'on tâche de les rendre méprisables à chaque raison qu'on apporte contre eux; et plus elles sont fortes et judicieuses, plus elles irritent leur aversion et leur orgueil.

Le meilleur moyen de défendre la vérité contre eux

n'est pas de disputer, car enfin il vaut mieux et pour eux et pour nous les laisser dans leurs erreurs que de s'attirer leur aversion. Il ne faut pas leur blesser le cœur lorsqu'on veut leur guérir l'esprit, puisque les plaies du cœur sont plus dangereuses que celles de l'esprit; outre qu'il arrive quelquefois que l'on a affaire avec un homme qui est véritablement savant et qu'on pourrait le mépriser faute de Lien concevoir sa pensée, il faut donc prier ceux qui parlent d'une manière décisive de s'expliquer le plus distinctement qu'il leur est possible, sans leur permettre de changer de sujet ni de se servir de termes obscurs et équivoques, et si ce sont des personnes éclairées, on apprendra quelque chose avec eux; mais si ce sont de faux savants, ils se confondront par leurs propres paroles sans aller fort loin, et ils ne pourront s'en prendre qu'à eux-mêmes; on en recevra peut-être quelque instruction et même quelque divertissement, s'il est permis de se divertir de la faiblesse des autres en tâchant d'y remédier; mais ce qui est plus considérable, c'est qu'on empêchera par là que les faibles qui les écoutaient avec admiration ne se soumettent à l'erreur en suivant leurs décisions.

Car il faut bien remarquer que le nombre des sots, ou de ceux qui se laissent conduire machinalement et par l'impression sensible étant infiniment plus grand que de ceux qui ont quelque ouverture d'esprit et qui ne se persuadent que par raison, quand un de ces savants parle et décide de quelque chose, il y a toujours beaucoup plus de personnes qui le croient sur sa parole que d'autres qui s'en défient. Mais, parce que ces faux savants s'éloignent le plus qu'ils peuvent des pensées communes, tant par le désir de trouver quelque opposant qu'ils maltraitent pour s'élever et pour paraitre, que par renversement d'esprit ou par esprit de contradiction; leurs décisions sont ordinairement fausses

ou obscures, et il est assez rare qu'on les écoute sans tomber dans quelque erreur.

Or, cette manière de découvrir les erreurs des autres ou la solidité de leurs sertiments est assez difficile à mettre en usage. La raison de ceci est que les faux savants ne sont pas les seuls qui veulent paraître ne rien ignorer, presque tous les hommes ont ce défaut, principalement ceux qui ont quelque lecture et quelque étude, ce qui fait qu'ils veulent toujours parler et expliquer leurs sentiments sans apporter assez d'attention pour bien comprendre celui des autres. Les plus complaisants et les plus raisonnables, méprisant dans leur cœur le sentiment des autres, montrent seulement une mine attentive, pendant que l'on voit dans leurs yeux qu'ils pensent à toute autre chose qu'à ce qu'on leur dit, et qu'ils ne sont occupés que de ce qu'ils veulent nous prouver sans songer à nous répondre. C'est ce qui rend souvent les conversations très désagréables; car de même qu'il n'y a rien de plus doux et qu'on ne saurait nous faire plus d'honneur que d'entrer dans nos raisons et d'approuver nos opinions, il n'y a rien aussi de si choquant que de voir qu'on ne les comprend pas et qu'on ne songe pas même à les comprendre : car enfin on ne se plaît pas à parler et à converser avec des statues, mais qui ne sont statues à notre égard que parce que ce sont des hommes qui n'ont pas beaucoup d'estime pour nous, et qui ne songent point à nous plaire, mais seulement à se contenter eux-mêmes en tâchant de se faire valoir. Que si les hommes savaient bien écouter et bien répondre, les conversations seraient non-seulement fort agréables, mais même trèsutiles. Au lieu que, chacun tâchant de paraître savant, on ne fait que s'entêter et disputer sans s'entendre ; on blesse quelquefois la charité, et l'on ne découvre presque jamais la vérité,

Mais les égarements où tombent les faux savants dans la conversation sont en quelque manière excusables. On peut dire pour eux que l'on apporte d'ordinaire peu d'application à ce qu'on dit dans ce tempslà; que les personnes les plus exactes y disent souvent des sottises, et qu'ils ne prétendent pas qu'on recueille toutes leurs paroles comme l'on a fait celles de Scaliger et du cardinal Perron.

Il y a raison dans ces excuses, et l'on veut bien croire que ces sortes de fautes sont dignes de quelque indulgence. On veut parler dans la conversation, mais il y a des jours malheureux dans lesquels on rencontre mal. On n'est pas toujours en humeur de bien penser et de bien dire, et le temps est si court dans certaines rencontres, que le plus petit nuage et la plus légère absence d'esprit fait malheureusement tomber dans des absurdités extravagantes les esprits mêmes les plus justes et les plus pénétrants.

Mais si les fautes que les faux savants commettent dans les conversations sont excusables, les fautes où ils tombent dans leurs livres, après y avoir sérieusement pensé, ne sont pas pardonnables, principalement si elles sont fréquentes, et si elles ne sont point réparées par quelques bonnes choses; car enfin, lorsque l'on a composé un méchant livre, on est cause qu'un trèsgrand nombre de personnes perdent leur temps à le lire, qu'ils tombent souvent dans les mêmes erreurs dans lesquelles on est tombé, et qu'ils en déduisent encore plusieurs autres, ce qui n'est pas un petit mal.

Mais, quoique ce soit une faute plus grande qu'on ne s'imagine que de composer un méchant livre, ou simplement un livre inutile, c'est une faute dont on est plutôt récompensé qu'on n'en est puni; car il y a des crimes que les hommes ne punissent pas, soit parce qu'ils sont à la mode, soit parce qu'on n'a pas d'ordinaire une

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