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DE LA RECHERCHE

DE LA VÉRITÉ

LIVRE QUATRIÈME

DES INCLINATIONS, OU DES MOUVEMENTS NATURELS DE L'ESPRIT.

CHAPITRE PREMIER

1. Les esprits doivent avoir des inclinations, comme les corps ont des mouvements. II. Dieu ne donne aux esprits du mouvement que pour lui. — III. Les esprits ne se portent aux biens particuliers que par le mouvement qu'ils ont pour le bien en général. — IV. Origine des principales inclinations naturelles, qui feront la division de ce quatrième livre.

Il ne serait pas nécessaire de traiter des inclinations naturelles, comme nous allons le faire dans ce quatrième livre, ni des passions, comme nous ferons dans le suivant, pour découvrir les causes des erreurs des hommes, si l'entendement ne dépendait point de la volonté dans la perception des objets; mais parce qu'il reçoit d'elle sa direction, que c'est elle qui le détermine et qui l'applique à quelques objets plutôt qu'à d'autres, il est absolument nécessaire de bien comprendre ses inclinations, afin de pénétrer les causes des erreurs auxquelles nous sommes sujets.

I. Si Dieu, en créant ce monde, eût produit une matière infiniment étendue sans lui imprimer aucun mou

IV.

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vement, tous les corps n'auraient point été différents les uns des autres; tout ce monde visible ne serait encore à présent qu'une masse de matière ou d'étendue qui pourrait bien servir à faire connaître la grandeur et la puissance de son auteur; mais il n'y aurait pas cette succession de formes et cette variété de corps qui fait toute la beauté de l'univers, et qui porte tous les esprits à admirer la sagesse infinie de celui qui le gouverne.

Or, il me semble que les inclinations des esprits sont au monde spirituel ce que le mouvement est au monde matériel, et que si tous les esprits étaient sans inclinations, ou s'ils ne voulaient jamais rien, il ne se trouverait pas dans l'ordre des choses spirituelles cette variété qui ne fait pas seulement admirer la profondeur de la sagesse de Dieu, comme fait la diversité qui se rencontre dans les choses matérielles; mais aussi sa miséricorde, sa justice, sa bonté, et généralement tous ses autres attributs. La différence des inclinations fait donc dans les esprits un effet assez semblable à celui que la différence des mouvements produit dans les corps; et les inclinations des esprits et les mouvements des corps font ensemble toute la beauté des êtres créés. Ainsi tous les esprits doivent avoir quelques inclinations, de même que les corps ont différents mouvements. Mais tâchons de découvrir quelles inclinations ils doivent avoir.

Si notre nature n'était point corrompue, il ne serait pas nécessaire de chercher par la raison, ainsi que nous allons faire, quelles doivent être les inclinations naturelles des esprits créés; nous n'aurions pour cela qu'à nous consulter nous-mêmes, et nous reconnaîtrions, par le sentiment intérieur que nous avons de ce qui se passe en nous, toutes les inclinations que nous devons avoir naturellement. Mais, parce que nous savons par

la foi que le péché a renversé l'ordre de la nature, et que la raison même nous apprend que nos inclinations sont déréglées, comme on le verra mieux dans la suite, nous sommes obligés de prendre un autre tour. Ne pouvant nous fier à ce que nous sentons, nous sommes obligés d'expliquer les choses d'une manière plus relevée, mais qui semblera sans doute peu solide à ceux qui n'estiment que ce qui se fait sentir.

II. C'est une vérité incontestable que Dieu ne peut avoir d'autre fin principale de ses opérations que luimême, et qu'il peut avoir plusieurs fins moins principales, qui tendent toutes à la conservation des êtres qu'il a créés. Il ne peut avoir d'autre fin principale que lui-même, parce qu'il ne peut pas errer ou mettre sa dernière fin dans les êtres qui ne renferment pas toute sorte de biens. Mais il peut avoir pour fin moins principale la conservation des êtres créés, parce que, participant tous de sa bonté, ils sont nécessairement bons, et même très-bons, selon l'Écriture, valde bona. Ainsi Dieu les aime, et c'est même son amour qui les conserve, car tous les êtres ne subsistent que parce que Dieu les aime. Diligis omnia quæ sunt, dit le Sage, et nihil odisti eorum quæ fecisti: nec enim odiens aliquid constituisti et fecisti. Quomodo autem posset aliquid permanere, nisi tu voluisses; aut quod a te vocatum non esset conservaretur? En effet, il n'est pas possible de concevoir que des choses qui ne plaisent pas à un être infiniment parfait et tout-puissant subsistent, puisque toutes choses ne subsistent que par sa volonté. Dieu veut donc sa gloire comme sa fin principale et la conservation de ses créatures, mais pour sa gloire.

Les inclinations naturelles des esprits étant certainement des impressions continuelles de la volonté de celui qui les a créés et qui les conserve, il est, ce me semble, nécessaire que ces inclinations soient entière

ment semblables à celles de leur créateur et de leur conservateur. Elles ne peuvent donc avoir naturellement d'autre fin principale que sa gloire, ni d'autre fin seconde que leur propre conservation et celle des autres, mais toujours par rapport à celui qui leur donne l'être. Car enfin il me paraît incontestable que Dieu, ne pouvant vouloir que les volontés qu'il crée aiment davantage un moindre bien qu'un plus grand bien, c'est-à-dire qu'elles aiment davantage ce qui est moins aimable que ce qui est plus aimable, il ne peut créer aucune créature sans la tourner vers lui-même et lui commander de l'aimer plus que toutes choses, quoiqu'il puisse la créer libre et avec la puissance de se détacher et de se détourner de lui.

III. Comme il n'y a proprement qu'un amour en Dieu, qui est l'amour de lui-même, et que Dieu ne peut rien aimer que par cet amour, puisque Dieu ne peut rien aimer que par rapport à lui, aussi Dieu n'imprime qu'un amour en nous, qui est l'amour du bien en général; et nous ne pouvons rien aimer que par cet amour, puisque nous ne pouvons rien aimer qui ne soit ou qui ne paraisse un bien. C'est l'amour du bien en général qui est le principe de tous nos amours particuliers, parce qu'en effet cet amour n'est que notre volonté; car, comme j'ai déjà dit ailleurs, la volonté n'est autre chose que l'impression continuelle de l'auteur de la nature, qui porte l'esprit de l'homme vers le bien en général. Certainement il ne faut pas s'imaginer que cette puissance que nous avons d'aimer vienne ou dépende de nous il n'y a que la puissance de mal aimer, ou plutôt de bien aimer ce que nous ne devons point aimer, qui dépende de nous, parce qu'étant libres, nous pouvons déterminer, et nous déterminons, en effet, à des biens particuliers, et par conséquent à de faux biens, le bon amour que Dieu ne cesse point d'imprimer

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