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nous fait raisonner conséquemment. Nous rendant attentifs à ce que nous considérons, elle nous le fait connaître évidemment. Nous reconnaissons même par elle si nos suppositions sont fausses; car étant toujours certains que nos raisonnements sontvrais, et l'expérience ne s'accordant point avec eux, nous découvrons que les principes supposés sont faux. Mais sans la géométrie et l'arithmétique on ne peut rien découvrir dans les sciences exactes qui soit un peu difficile, quoiqu'on ait des principes certains et incontestables.

On doit donc regarder la géométrie comme une espèce de science universelle qui ouvre l'esprit, qui le rend attentif, et qui lui donne l'adresse de régler son imagination et d'en tirer tout le secours qu'il en peut recevoir car, par le secours de la géométrie, l'esprit règle le mouvement de l'imagination, et l'imagination réglée soutient la vue et l'application de l'esprit.

Mais afin que l'on sache faire un bon usage de la géométrie, il faut remarquer que toutes les choses qui tombent sous l'imagination ne peuvent pas s'imaginer avec une égale facilité; car toutes les images ne remplissent pas également la capacité de l'esprit. Il est plus difficile d'imaginer un solide qu'un plan, et un plan qu'une simple ligne : car il y a plus de pensée dans la vue claire d'un solide que dans la vue claire d'un plan et d'une ligne. Il en est de même des différentes lignes; il faut plus de pensée, c'est-à-dire plus de capacité d'esprit, pour se représenter une ligne parabolique ou elliptique, ou quelques autres plus composées, que pour se représenter la circonférence d'un cercle, et plus pour la circonférence d'un cercle que pour une ligne droite, parce qu'il est plus difficile d'imaginer des lignes qui se décrivent par des mouvements fort composés et qui ont plusieurs rapports, que celles qui se décrivent par des mouvements très-simples ou

qui ont moins de rapports. Car les rapports ne pouvant être clairement aperçus sans l'attention de l'esprit à plusieurs choses, il faut d'autant plus de pensée pour les apercevoir qu'ils sont en plus grand nombre. Il y a donc des figures si composées que l'esprit n'a point assez d'étendue pour les imaginer distinctement; mais il y en a aussi d'autres que l'esprit imagine avec beaucoup de facilité.

Des trois espèces d'angles rectilignes, l'aigu, le droit et l'obtus, il n'y a que le droit qui réveille dans l'esprit une idée distincte et bien terminée. Il y a une infinité d'angles aigus qui diffèrent tous entre eux; il en est de même de ceux qui sont obtus. Ainsi, lorsqu'on imagine un angle aigu ou un angle obtus, on n'imagine rien d'exact ni rien de distinct. Mais lorsqu'on imagine un angle droit, on ne peut se tromper : l'idée en est bien distincte, et l'image même que l'on s'en forme dans le cerveau est d'ordinaire assez juste.

Il est vrai qu'on peut aussi déterminer l'idée vague d'angle aigu à l'idée particulière d'un angle de trente degrés, et que l'idée d'un angle de trente degrés est aussi exacte que celle d'un angle de 90, c'est-à-dire d'un angle droit. Mais l'image que l'on tâcherait de s'en for mer dans le cerveau ne serait point, à beaucoup près, si juste que celle d'un angle droit. On n'est point accoutumé à se représenter cette image, et on ne peut la tracer qu'en pensant à un cercle ou à une partie déterminée d'un cercle divisé en parties égales. Mais pour imaginer un angle droit, il n'est point nécessaire de penser à cette division de cercle; la seule idée de perpendiculaire suffit à l'imagination pour tracer l'image de ce tangle, et l'on ne sent aucune difficulté à se représenter des perpendiculaires, parce qu'on est accoutumé à voir toutes choses debout.

Il est donc facile de juger que pour avoir un objet

simple, distinct, bien terminé, propre pour être imaginé avec facilité, et par conséquent pour rendre l'esprit attentif et lui conserver l'évidence dans les vérités qu'il cherche, il faut rapporter toutes les grandeurs que nous considérons à de simples surfaces terminées par des lignes et par des angles droits, comme sont les carrés parfaits et les autres figures rectangles, ou bien à de simples lignes droites; car ces figures sont celles dont on connaît plus facilement la nature.

J'aurais pu attribuer aux sens le secours que l'on tire de la géométrie pour conserver l'attention de l'esprit; mais j'ai cru que la géométrie appartenait davantage à l'imagination qu'aux sens, quoique les lignes soient quelque chose de sensible. Il serait assez inutile de déduire ici les raisons que j'ai eues, puisqu'elles ne serviraient qu'à justifier l'ordre que j'ai gardé dans ce que je viens de dire, ce qui n'est point essentiel. Je n'ai point aussi parlé de l'arithmétique ni de l'algèbre, parce que les chiffres et les lettres de l'alphabet dont on se sert dans ces sciences ne sont pas si utiles pour augmenter l'attention de l'esprit que pour en augmenter l'étendue, ainsi que nous expliquerons dans le chapitre suivant.

Voilà quels sont les secours généraux qui peuvent rendre l'esprit plus attentif. On n'en sait point d'autres, si ce n'est la volonté d'avoir de l'attention; de quoi on ne parle pas, parce qu'on suppose que tous ceux qui étudient veulent être attentifs à ce qu'ils étudient.

Il y en a néanmoins encore plusieurs qui sont particuliers à certaines personnes, comme sont certaines boissons, certaines viandes, certains lieux, certaines dispositions du corps, et quelques autres secours dont chacun doit s'instruire par sa propre expérience. Il faut observer l'état de son imagination après le repas et considérer quelles sont les choses qui entretiennent

ou qui dissipent l'attention de son esprit. Ce qu'on peut dire de plus général, c'est que l'usage modéré des aliments qui font beaucoup d'esprits animaux est trèspropre pour augmenter l'attention de l'esprit et la force de l'imagination dans ceux qui l'ont faible et languissante.

CHAPITRE V

Des moyens d'augmenter l'étendue et la capacité de l'esprit. Que l'arithmétique et l'algèbre y sont absolument nécessaires,

Il ne faut pas s'imaginer d'abord que l'on puisse jamais augmenter véritablement la capacité et l'étendue de son esprit. L'âme de l'homme est pour ainsi dire une quantité déterminée ou une portion de pensée qui a des bornes qu'elle ne peut passer; l'âme ne peut devenir plus grande ni plus étendue qu'elle est; elle ne s'enfle ni ne s'étend pas de même qu'on le croit des liqueurs et des métaux; enfin il me paraît qu'elle n'aperçoit jamais davantage en un temps qu'en un

autre.

Il est vrai que cela semble contraire à l'expérience. Souvent on pense à beaucoup d'objets; souvent on ne pense qu'à un seul, et souvent même on dit que l'on ne pense à rien. Cependant, si l'on considère que la pensée est à l'âme ce que l'étendue est au corps, on reconnaîtra manifestement que de même qu'un corps ne peut véritablement être plus étendu en un temps qu'en un autre, ainsi à le bien prendre, l'âme ne peut jamais penser davantage en un temps qu'en un autre, soit qu'elle aperçoive plusieurs objets, soit qu'elle n'en aperçoive qu'un seul, soit même dans le temps que l'on dit qu'on ne pense à rien.

Mais la cause pour laquelle on s'imagine que l'on pense plus en un temps qu'en un autre, c'est qu'on ne distingue pas assez entre apercevoir confusément et

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