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passions, se fait en trois manières : par les sens, par l'imagination et par l'esprit. La perception du bien et du mal par les sens, ou le sentiment du bien et du mal, produit des passions très-promptes et trèssensibles. La perception du bien et du mal par la seule imagination en excite de bien plus faibles; el la vue du bien et du mal par l'esprit seul n'en produit de véritables, que parce que cette vue du bien et du mal par l'esprit est toujours accompagnée de quelque mouvement des esprits animaux.

Les passions ne nous sont données que pour le bien du corps, et que pour nous unir par le corps à tous les objets sensibles; car encore que les choses sensibles ne puissent être ni bonnes ni mauvaises à l'égard de l'esprit, elles sont toutefois bonnes ou mauvaises par rapport au corps auquel l'esprit est uni. Ainsi les sens et l'imagination découvrant beaucoup mieux les rapports que les objets sensibles ont avec le corps que l'esprit même, ces facultés doivent exciter des passions beaucoup plus vives qu'une connaissance claire et évidente. Mais parce que nos connaissances sont toujours accompagnées de quelque mouvement d'esprit, une connaissance claire et évidente d'un grand bien et d'un grand mal que les sens ne découvrent pas excite toujours quelque passion secrète.

Cependant toutes nos connaissances claires et évidentes du bien et du mal ne sont pas suivies de quelque passion sensible et dont on s'aperçoive, de même que toutes nos passions ne sont point accompagnées de quelque connaissance de l'esprit. Car si l'on pense quelquefois à des biens et à des maux sans se sentir ému, on se sent souvent ému de quelque passion sans en connaître et même quelquefois sans en sentir la cause. Un homme qui respire un bon air se sent ému de joie sans en savoir la cause, il ne connaît pas le bien qu'il

possède, qui produit cette joie; et s'il y a quelque corps invisible qui se mêlant dans le sang en empêche la fermentation, il se trouvera triste, et pourra même attribuer la cause de sa tristesse à quelque chose de visible qui se présentera devant lui dans le temps de sa passion. De toutes les passions, il n'y en a point qui soient plus sensibles ni plus promptes, et qui par conséquent soient le moins accompagnées de la connaissance de l'esprit, que l'horreur et l'antipathie, l'agrément et la sympathie. Un homme sommeillant à l'ombre se réveille quelquefois en sursaut si une mouche le pique ou si une feuille le chatouille, comme si un serpent le mordait. Le sentiment confus de quelque chose aussi terrible que la mort même l'effraie, et, sans qu'il y pense, il se trouve agité d'une passion très-forte et très-violente qui est une aversion de désir. Un homme au contraire dans quelque besoin, découvre par hasard quelque petit bien dont la douceur le surprend, il s'attache à cette bagatelle comme au plus grand de tous les biens, sans y faire la moindre réflexion. Cela arrive aussi dans les mouvements de sympathie et d'antipathie. On voit dans une compagnie une personne dont l'air et les manières ont de secrètes alliances avec la disposition présente de notre corps, sa vue nous touche et nous pénètre, nous sommes portés sans réflexion à l'aimer et à lui vouloir du bien. C'est le je ne sais quoi qui nous agite, car la raison n'y a point de part. Il arrive le contraire à l'égard de ceux dont l'air et les manières répandent, pour ainsi dire, le dégoût et l'horreur. Ils ont je ne sais quoi de fade qui repousse et qui nous effraie; mais l'esprit n'y connaît rien, car il n'y a que les sens qui jugent bien de la beauté et de la laideur sensible, lesquelles sont l'objet de ces sortes de passions.

LIVRE SIXIÈME

DE LA MÉTHODE

DEUXIÈME PARTIE.

CHAPITRE PREMIER

Dessein de ce livre, et les deux moyens généraux pour conserver l'évidence dans la recherche de la vérité, qui seront le sujet de ce livre.

5

On a vu, dans les livres précédents, que l'esprit de l'homme est extrêmement sujet à l'erreur; que les illusions de ses sens1, les visions de son imagination2 et les abstractions de son esprit3 le trompent à chaque moment; que les inclinations de sa volonté et les passions de son cœur lui cachent presque toujours la vérité, et ne la lui laissent paraître que lorsqu'elle est teinte de ces fausses couleurs qui flattent la concupiscence. En un mot, l'on a reconnu en partie les erreurs de l'esprit et les causes de ces erreurs ; il est temps présentement de montrer les chemins qui conduisent à la connaissance de la vérité, et de donner à l'esprit toute la force et toute l'adresse que l'on pourra pour marcher dans ces chemins sans se fatiguer inutilement et sans s'égarer.

Mais afin que l'on ne se donne point une peine inu

1 Livre 1.

2 Livre 2.

3 Livre 3.

Livre 4. 5 Livre 5.

tile à la lecture de ce dernier livre, je crois devoir avertir qu'il n'est fait que pour ceux qui veulent chercher sérieusement la vérité par eux-mêmes, et se servir pour cela des propres forces de leur esprit. Je demande qu'ils méprisent pour un temps toutes les opinions vraisemblables; qu'ils ne s'arrêtent point aux conjectures les plus fortes; qu'ils négligent l'autorité de tous. les philosophes; qu'ils soient, autant qu'il leur sera possible, sans préoccupation, sans intérêt, sans passion; qu'ils se défient extrêmement de leurs sens et de leur imagination; en un mot, qu'ils se souviennent bien de la plupart des choses que l'on a dites dans les livres précédents.

Le dessein de ce dernier livre est d'essayer de rendre à l'esprit toute la perfection dont il est naturellement capable, en lui fournissant les secours nécessaires pour devenir plus attentif et plus étendu, et en lui prescrivant les règles qu'il faut observer, dans la recherche de lavérité, pour ne se tromper jamais, et pour apprendre avec le temps tout ce que l'on peut savoir.

Si l'on portait ce dessein jusqu'à sa dernière perfection, ce que l'on ne prétend pas, car ceci n'est qu'un essai, on pourrait dire qu'on aurait donné une science universelle, et que ceux qui en sauraient faire usage seraient véritablement savants, puisqu'ils auraient le fondement de toutes les sciences particulières, et qu'ils les acquerraient à proportion de l'usage qu'ils feraient de cette science universelle. Car on tâche par ce traité de rendre les esprits capables de former des jugements véritables et certains sur toutes les questions qui leur seront proportionnées.

Comme il ne suffit pas, pour être bon géomètre, de savoir par mémoire toutes les démonstrations d'Euclide, de Pappus, d'Archimède, d'Appollonius, et de tous ceux qui ont écrit de la géométrie; ainsi ce n'est

pas assez pour être savant philosophe d'avoir lu Platon, Aristote, Descartes, et de savoir par mémoire tous leurs sentiments sur les questions de philosophie. La connaissance de toutes les opinions et de tous les jugements des autres hommes, philosophes ou géomètres, n'est pas tant une science qu'une histoire, car la véritable science, qui seule peut rendre à l'esprit de l'homme la perfection dont il est maintenent capable, consiste dans une certaine capacité de juger solidement de toutes les choses qui lui sont porportionnées. Mais, pour ne point perdre de temps et ne préoccuper personne par des jugements précipités, commençons à traiter d'une matière si importante.

Il faut se ressouvenir d'abord de la règle que l'on a établie et prouvée dès le commencement du premier livre, parce qu'elle est le fondement et le premier principe de tout ce que nous dirons dans la suite. Je la répète: on ne doit jamais donner un consentement entier qu'aux propositions qui paraissent si évidemment vraies qu'on ne puisse le leur refuser sans sentir une peine intérieure et des reproches secrets de la raison, c'est-à-dire sans que l'on connaisse clairement que l'on ferait mauvais usage de sa liberté si l'on ne voulait pas consentir. Toutes les fois que l'on consent aux vraisemblances, on se met certainement en danger de se tromper et l'on se trompe en effet presque toujours; ou enfin si l'on ne se trompe pas, ce n'est que par hasard et par bonheur. Ainsi la vue confuse d'un grand nombre de vraisemblances sur différents sujets, ne rend point notre raison plus parfaite; et il n'y a que la vue claire de la vérité qui lui puisse donner quelque perfection et quelque satisfaction solide.

Il est donc facile de conclure que n'y ayant que l'évidence qui, selon notre première règle, nous assure que nous ne nous trompons point, nous devons surtout

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