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Il est certain que si l'esprit pouvait facilement s'appliquer aux idées claires et distinctes sans être comme soutenu par quelque sentiment, et si l'inquiétude de la volonté ne détournait point sans cesse son application, nous ne trouverions pas de fort grandes difficultés dans une infinité de questions naturelles que nous regardons comme inexplicables, et nous pourrions en peu de temps nous délivrer de notre ignorance et de nos erreurs à leur égard.

C'est, par exemple, une vérité incontestable à tout homme qui fait usage de son esprit que la création et l'anéantissement surpassent les forces ordinaires de la nature. Si l'on demeurait donc attentif à cette notion pure de l'esprit et de la raison, on n'admettrait pas avec tant de facilité la création et l'anéantissement d'un nombre infini de nouveaux êtres, comme des formes substantielles, des qualités et des facultés réelles, etc. On chercherait dans les idées distinctes que l'on a de l'étendue, de la figure et du mouvement, la raison des effets naturels; ce qui n'est pas toujours si difficile qu'on se l'imagine, car toutes les choses de la nature se tiennent et se prouvent les unes les autres.

Les effets du feu, comme ceux des canons et des mines, sont fort surprenants et leur cause est assez cachée. Néanmoins si les hommes, au lieu de s'arrêter aux impressions de leurs sens et à quelques expériences fausses ou trompeuses, s'arrêtaient fortement à cette seule notion de l'esprit pur, qu'il n'est pas possible qu'un corps qui est très-peu agité produise un mouvement violent, puisqu'il n'en peut pas donner plus qu'il n'en a lui-même, il serait facile de cela seul de conclure qu'il y a une matière subtile et invisible, qu'elle est très-agitée, qu'elle est répandue généralement dans tous les corps, et plusieurs autres choses semblables qui nous feraient connaître la nature du

feu et qui nous serviraient encore à découvrir d'autres vérités plus cachées.

Car puisqu'il se fait de si grands mouvements dans un canon et dans une mine et que tous les corps visibles qui les environnent ne sont point dans une assez grande agitation pour les produire, c'est une preuve certaine qu'il y en a d'autres invisibles et insensibles qui ont pour le moins autant d'agitation que le boulet de canon, mais qui, étant très-subtils et très-déliés, peuvent tout seuls passer librement et sans rien rompre par les pores du canon avant que le feu y soit, c'est-à-dire, comme on le peut voir expliqué plus au long et avec assez de vraisemblance dans M. Descartes 1, avant qu'ils aient entouré les parties dures et grossières du salpêtre dont la poudre est composée. Mais lorsque le feu y est, c'est-à-dire lorsque ces parties très-subtiles et très-agitées ont environné les parties grossières et solides du salpêtre et leur ont ainsi communiqué leur mouvement très-fort et très violent, alors il est nécessaire que tout crève, parce que les pores du canon, qui laissaient des passages libres de tous côtés aux parties subtiles dont nous parlons lorsqu'elles étaient seules, ne sont point assez grands pour laisser passer les parties grossières du salpêtre et quelques autres dont la poudre est comopsée, lorsqu'elles ont reçu l'agitation des parties subtiles qui les environnent.

Car de même que l'eau des rivières qui coule sous les ponts ne les ébranle pas à cause de la petitesse de ses parties, ainsi la matière très-subtile et très-déliée dont on vient de parler passe continuellement au travers des pores de tous les corps sans y faire des changements sensibles. Mais de même aussi que cette

1 Principes.

rivière est capable de renverser un pont lorsque, traînant dans le cours de ses eaux quelques grandes masses de glaces ou quelques autres corps plus solides, elle les pousse contre lui avec le même mouvement qu'elle a ; ainsi la matière subtile est capable de faire les effets surprenants que nous voyons dans les canons et dans les mines, lorsque, ayant communiqué aux parties de la poudre qui nagent au milieu d'elle son mouvement infiniment plus violent et plus rapide que celui des rivières et des torrents, ces mêmes parties de la poudre ne peuvent pas librement passer par les pores du corps qui les enferme, à cause qu'elles sont trop grossières, de sorte qu'elles les rompent avec violence pour se faire un passage libre.

Mais les hommes ne peuvent pas si facilement se représenter des parties subtiles et déliées, et ils les regardent comme des chimères à cause qu'ils ne les voient pas. Contemplatio fere desinit cum aspectu, dit Bacon. La plupart même des philosophes aiment mieux inventer quelque nouvelle entité pour ne se pas taire sur ces choses qu'ils ignorent. Et si on objecte contre leurs fausses et incompréhensibles suppositions qu'il est nécessaire que le feu soit composé de parties très-agitées, puisqu'il produit des mouvements si violents, et qu'une chose ne peut communiquer ce qu'elle n'a pas, ce qui certainement est une objection trèsclaire et très-solide; ils ne manquent pas de tout confondre par quelque distinction frivole et imaginaire, comme celle des causes équivoques et univoques, afin de paraître dire quelque chose lorsqu'en effet ils ne disent rien. Car enfin c'est une notion commune à des esprits attentifs qu'il ne peut pas y avoir dans la nature de véritable cause équivoque au sens qu'ils l'entendent, et que l'ignorance seule des hommes les a inventées.

Les hommes doivent donc s'attacher davantage à la considération des notions claires et distinctes s'ils veulent connaître la nature; ils doivent un peu réprimer et arrêter l'inconstance et la légèreté de leur volonté s'ils veulent pénétrer le fond des choses, car leurs esprits seront toujours faibles, superficiels et discursifs, si leurs volontés demeurent toujours légères, inconstantes et volages.

Il est vrai qu'il y a quelque fatigue et qu'il faut se contraindre pour se rendre attentif et pour pénétrer le fond des choses que l'on veut savoir, mais on n'a rien sans peine. Il est honteux que des personnes d'esprit et des philosophes, qui sont obligés par toutes sortes de raisons à la recherche et à la défense de la vérité, parlent sans savoir ce qu'ils disent, et se contentent de termes qui ne réveillent aucune idée distincte dans les esprits attentifs.

CHAPITRE III

I. La curiosité est naturelle et nécessaire. - II. Trois règles pour III. Explication de la première de ces règles.

la modérer.

I. Tant que les hommes auront de l'inclination pour un bien qui surpasse leurs forces et qu'ils ne le posséderont pas, ils auront toujours une secrète inclination pour tout ce qui porte le caractère du nouveau et de l'extraordinaire; ils courront sans cesse après les choses qu'ils n'auront point encore considérées, dans l'espérance d'y trouver ce qu'ils cherchent, et, leurs esprits ne pouvant se satisfaire entièrement que par la vue de celui pour qui ils sont faits, ils seront toujours dans l'inquiétude et dans l'agitation jusqu'à ce qu'il leur paraisse dans sa gloire.

Cette disposition des esprits est sans doute trèsconforme à leur état, car il vaut infiniment mieux chercher avec inquiétude la vérité et le bonheur qu'on ne possède pas, que de demeurer dans un faux repos en se contentant du mensonge et des faux biens dont on se repaît ordinairement. Les hommes ne doivent pas être insensibles à la vérité et à leur bonheur; le nouveau et l'extraordinaire les doit donc réveiller, et il y a une curiosité qui leur doit être permise ou plutôt qui leur doit être recommandée. Ainsi les choses communes et ordinaires ne renfermant pas le vrai bien et les opinions anciennes des philosophes étant très-incertaines,

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