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lière de tous ces effets, quoique nous ne la connaissions pas. Leurs idées accessoires ne sont point toujours semblables aux nôtres; nous ne les pouvons connaître. Ainsi, il y a toujours quelque raison particulière qui les fait agir d'une manière qui nous paraît si extravagante.

CHAPITRE VII

Des passions en particulier, et premièrement de l'admiration et de ses mauvais effets.

Tout ce que j'ai dit jusqu'ici des passions est général; mais il n'est pas fort difficile d'en tirer des conséquences particulières. Il n'y a qu'à faire quelque réflexion sur ce qui se passe dans soi-même et sur les actions des autres, et l'on découvrira plus de ces sortes de vérités, d'une seule vue, que l'on n'en pourrait expliquer dans un temps considérable. Cependant il y a si peu de personnes qui s'avisent de rentrer dans eux-mêmes et qui fassent pour cela quelque effort d'esprit, qu'afin de les y exciter et de réveiller leur attention, il est nécessaire de descendre quelque peu dans le parti. culier.

Quand on se tâte et qu'on se frappe soi-même, il semble que l'on soit presque insensible; mais quand on est seulement touché par les autres, on en reçoit des sentiments assez vifs pour réveiller l'attention. En un mot, on ne se chatouille pas soi-même, on ne s'en avise pas, et l'on n'y réussirait peut-être pas si l'on s'en avisait. C'est à peu près par cette même raison que l'esprit ne s'avise pas de se tâter et de se sonder soi-même, qu'il se dégoûte incontinent de cette sorte de recherche, et qu'il n'est ordinairement capable de reconnaître et de sentir toutes les parties de son âme que lorsque

d'autres les touchent et les lui font sentir. Ainsi il est nécessaire, pour faciliter à quelques esprits la connaissance d'eux-mêmes, de descendre quelque peu dans le particulier des passions, afin de leur apprendre, en les touchant, toutes les parties qui les composent.

Ceux qui liront ce qui suit doivent néanmoins être avertis qu'ils ne sentiront pas toujours que je les touche, et qu'ils ne se reconnaîtront pas toujours sujets aux passions et aux erreurs dont je parlerai, par la raison que toutes les passions particulières ne sont pas toujours les mêmes dans tous les hommes.

Tous les hommes ont les mêmes inclinations naturelles qui n'ont point. de rapport au corps; ils ont même toutes celles qui ont rapport au corps, lorsque leur corps est parfaitement bien disposé. Mais les divers tempéraments des corps et leurs changements fréquents causent une variété infinie dans les passions particulières. Que si l'on ajoute à la diversité de la constitution du corps celle qui vient des objets, qui font des impressions bien différentes sur tous ceux qui n'ont pas les mêmes emplois ni la même manière de vivre, il est évident que tel se peut sentir fortement touché en quelque endroit de son âme par certaines choses, qui demeurera entièrement insensible à beaucoup d'autres. Ainsi on se tromperait souvent si on jugeait toujours par ce que l'on sent de ce que les autres doivent sentir.

Je ne crains point de me tromper lorsque j'assure que tous les hommes veulent être heureux; car je sais avec une entière certitude que les Chinois et les Tartares, que les anges et les démons mêmes, enfin que tous les esprits ont de l'inclination pour la félicité. Je sais même que Dieu ne produira jamais aucun esprit sans ce désir. Ce n'est point l'expérience qui me l'a appris jamais je ne vis ni Chinois ni Tartare. Ce n'est

point le témoignage intérieur de ma conscience; il m'apprend seulement que je veux être heureux. Il n'y a que Dieu qui me puisse convaincre intérieurement que tous les autres hommes, les anges et les démons veulent être heureux. Il n'y a que lui qui puisse m'assurer qu'il ne donnera jamais l'être à aucun esprit qui soit indifférent pour le bonheur; car quel autre que lui pourrait m'assurer positivement de ce qu'il fait et même de ce qu'il pense? Et comme il ne peut jamais me tromper, je ne puis douter de ce qu'il m'apprend. Je suis donc certain que tous les hommes veulent être heureux, parce que cette inclination est naturelle et qu'elle ne dépend point du corps.

Il n'en est pas de même des passions particulières. Si je suis passionné pour la musique, pour la danse, pour la chasse; si j'aime les douceurs ou le haut goût, je n'en puis rien conclure de certain touchant les passions des autres hommes. Le plaisir est sans doute doux et agréable à tous les hommes; mais tous les hommes ne trouvent pas du plaisir dans les mêmes choses. L'amour du plaisir est une inclination naturelle; cet amour ne dépend point du corps : il est donc général à tous les hommes. Mais l'amour de la musique, de la chasse ou de la danse n'est pas général, parce que la disposition du corps dont il dépend étant différente dans tous les hommes, toutes les passions qui en dépendent ne sont pas toujours les mêmes.

Les passions générales, comme le désir, la joie et la tristesse, tiennent le milieu entre les inclinations naturelles et les passions particulières. Elles sont générales comme les inclinations; mais elles ne sont pas également fortes, parce que la cause qui les produit et qui les entretient n'est pas elle-même également agissante. Il y a une variété infinie dans les degrés d'agitation des

esprits animaux, dans leur abondance et leur disette, leur solidité et leur délicatesse, et dans le rapport des fibres du cerveau avec ces esprits.

Ainsi, il arrive très-souvent que l'on ne touche les autres en aucun endroit de leur âme lorsque l'on parle des passions particulières; mais lorsqu'on les touche, ils en sont fortement émus. Il en est au contraire des passions générales et des inclinations, on touche toujours lorsque l'on en parle; mais on touche d'une manière si faible et si languissante qu'on ne se fait presque pas sentir. Je dis ces choses, afin que l'on ne juge pas si je me trompe par le seul sentiment qu'on a déjà reçu de ce que j'ai dit ou que l'on recevra de ce que je dirai dans la suite, mais par la considération de la nature des passions dont je traite.

Si l'on se proposait de traiter de toutes les passions particulières, ou si on les distinguait par les objets qui les excitent, il est visible qu'on ne finirait jamais et qu'on dirait toujours la même chose. On ne finirait jamais, parce que les objets de nos passions sont infinis; et l'on dirait toujours la même chose, parce que l'on traiterait toujours du même sujet. Les passions particulières pour la poésie, pour l'histoire, pour les mathématiques, pour la chasse et pour la danse ne sont qu'une même passion générale; car, par exemple, les passions de désir ou de joie pour tout ce qui plaît ne sont pas différentes, quoique les objets particuliers qui plaisent soient différents.

Il ne faut donc pas multiplier le nombre des passions selon le nombre des objets qui sont infinis, mais seulement selon les principaux rapports qu'ils peuvent avoir avec nous. Et de cette manière on reconnaîtra, comme nous l'expliquerons plus bas, que l'amour et l'aversion sont les passions-mères; qu'elles n'engendrent point d'autres passions générales que le désir, la

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