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tristesse spirituelle, selon que ce cours d'esprits animaux est empêché ou favorisé par la volonté.

Mais il y a cette différence remarquable entre la joie intellectuelle qui accompagne la connaissance claire du bon état de l'âme et le plaisir sensible qui accompagne le sentiment confus de la bonne disposition du corps, que la joie intellectuelle est solide, sans remords, et aussi immuable que la vérité qui la cause; et que la joie sensible est presque toujours accompagnée de la tristesse de l'esprit ou du remords de la conscience, qu'elle est inquiète et aussi inconstante que la passion ou l'agitation du sang qui la produit. Enfin la première est presque toujours accompagnée d'une très-grande joie des sens, lorsqu'elle est une suite de la connaissance d'un grand bien que l'âme possède; et l'autre n'est presque jamais accompagnée de quelque joie de l'esprit, quoiqu'elle soit une suite d'un grand bien qui arrive seulement au corps, mais qui est contraire au bien de l'âme.

Il est pourtant vrai que, sans la grâce de Jésus-Christ, la douceur que l'âme goûte en s'abandonnant à ses pas sions est plus agréable que celle qu'elle ressent en suivant les règles de la raison. Et c'est cette douceur qui est l'origine de tous les désordres qui ont suivi le péché originel; et elle nous rendrait tous esclaves de nos passions, si le Fils de Dieu ne nous délivrait de leur servitude par la délectation de sa grâce. Car enfin les choses que je viens de dire pour la joie de l'esprit contre la joie des sens ne sont vraies que parmi les chrétiens; et elles étaient absolument fausses dans la bouche de Sénèque, d'Épicure même, et enfin de tous les philosophes qui paraissaient les plus raisonnables; parce que le joug de Jésus-Christ n'est doux qu'à ceux qui appartiennent à Jésus-Christ, et sa charge ne nous semble légère que lorsque sa grâce la porte avec nous.

CHAPITRE IV

Que les plaisirs et les mouvements des passions nous engagent dans l'erreur à l'égard du bien, et qu'il faut y résister sans cesse. Manière de combattre le libertinage.

Toutes les choses que nous venons d'expliquer des passions en général ne sont point libres; elles sont en nous sans nous, et il n'y a que le seul consentement de notre volonté qui dépende absolument de nous. La vue du bien est naturellement suivie du mouvement d'amour, du sentiment d'amour, de l'ébranlement du cerveau et du mouvement des esprits, d'une nouvelle émotion de l'âme qui augmente le premier mouvement d'amour, d'un nouveau sentiment de l'âme qui augmente le premier sentiment d'amour, et enfin du sentiment de douceur qui récompense l'âme de ce que le corps est dans l'état où il doit être. Toutes ces choses se passent dans l'âme et dans le corps naturellement et machinalement, je veux dire sans qu'elle y ait part, et il n'y a que notre seul consentement qui soit véritablement de nous. C'est aussi ce consentement qu'il faut régler, qu'il faut conserver libre, malgré tous les efforts des passions. C'est à Dieu seul à qui il faut soumettre sa liberté : il ne faut se rendre qu'à la voix de l'auteur de la nature, à l'évidence intérieure, aux reproches secrets de sa raison. Il ne faut consentir que lorsqu'on voit clairement que l'on ferait mauvais usage

de sa liberté si l'on ne voulait pas consentir; c'est là la principale règle qu'il faut observer pour éviter l'erreur et le péché.

Il n'y a que Dieu seul qui nous fasse voir avec évidence que nous devons nous rendre à ce qu'il souhaite de nous; il ne faut donc être esclave que de lui seul. Il n'y a point d'évidence dans les attraits et les caresses, dans les menaces et les frayeurs que les passions causent en nous; ce ne sont que des sentiments confus et obscurs auxquels il ne se faut point rendre. Il faut attendre qu'une lumière plus pure nous éclaire, que ces faux jours des passions se dissipent, et que Dieu parle. Il faut rentrer en nous-mêmes et chercher en nous celui qui ne nous quitte jamais et qui nous éclaire toujours. Il parle bas, mais sa voix est distincte; il éclaire peu, mais sa lumière est pure. Non, sa voix est aussi forte qu'elle est distincte; sa lumière est aussi vive et aussi éclatante qu'elle est pure; mais nos passions nous tiennent toujours hors de chez nous, et par leur bruit et leurs ténèbres elles nous empêchent d'être instruits de sa voix et éclairés de sa lumière. Il parle même à ceux qui ne l'interrogent pas ; et ceux que les passions ont emportés le plus loin entendent néanmoins quelques-unes de ses paroles; mais des paroles fortes, menaçantes et terribles, plus perçantes qu'une épée à deux tranchants, qui pénètre jusque dans les replis de l'âme, et qui discerne les pensées et les mouvements du cœur; car tout est à découvert devant ses yeux, et il ne peut voir les déréglements des pécheurs sans leur en faire intérieurement de sanglants reproches. Il faut donc rentrer dans nous-mêmes et nous rapprocher de lui. Il faut l'interroger, l'écouter et lui obéir; car si nous l'écoutons toujours, nous ne serons jamais trom

1 Heb. c. IV.

pés; et si nous lui obéissons toujours, nous ne serons jamais assujettis à l'inconstance des passions et aux misères dues au péché.

Il ne faut pas s'imaginer, comme certains esprits forts que l'orgueil des passions a réduits à la condition des bêtes, et qui, ayant longtemps méprisé la loi de Dieu, semblent enfin n'en connaître plus d'autre que celle de leurs passions infâmes; il ne faut pas, dis-je, s'imaginer, comme ces hommes de chair et de sang, que ce soit suivre Dieu et obéir à la voix de l'auteur de la nature, que de suivre les mouvements de ses passions et obéir aux désirs secrets de son cœur. C'est là le dernier aveuglement; c'est, selon saint Paul, la peine temporelle de l'impiété et de l'idolâtrie, c'est-àdire la punition des plus grands crimes 1. En effet, cette peine est d'autant plus grande qu'au lieu d'apaiser la colère de Dieu, comme toutes les autres punitions de ce monde, elle l'irrite et l'augmente sans cesse jusqu'au jour terrible auquel cette juste colère éclatera sur les pécheurs.

Cependant leurs raisonnements ne manquent pas de vraisemblance, ils semblent fort conformes au sens commun, ils sont favorisés des passions, et toute la philosophie de Zénon ne saurait sans doute les détruire. Il faut aimer le bien, disent-ils; le plaisir est le caractère que la nature a attaché au bien, et c'est par ce caractère, qui ne peut être trompeur puisqu'il vient de Dieu, que nous le discernons du mal. Il faut fuir le mal, disent-ils encore, la douleur est le caractère que la nature a attaché au mal; et c'est par ce caractère, qui ne peut être trompeur puisqu'il vient de Dieu, que nous le discernons du bien. On goûte du plaisir quand on s'abandonne à ses passions; on sent de la peine et

1 Rom. c. I.

de la douleur quand on y résiste. Donc l'auteur de la nature veut que nous nous abandonnions à nos passions et que nous n'y résistions jamais, puisque le plaisir et la douleur qu'il nous fait sentir dans ces rencontres sont des preuves certaines de ses volontés sur nous. C'est donc suivre Dieu que de suivre les désirs de son cœur, et c'est obéir à sa voix que de se rendre à cet instinct de la nature qui nous porte à satisfaire nos sens et nos passions. C'est de cette sorte qu'ils raisonnent et qu'ils se confirment dans leurs opinions infâmes. C'est ainsi qu'ils tâchent de se mettre à couvert des reproches secrets de leur raison, et Dieu permet pour punition de leurs crimes qu'ils s'éblouissent de ces fausses lumières. Trompeuses lumières qui les aveuglent au lieu de les éclairer, mais qui les aveuglent d'un aveuglement qu'ils ne sentent point et dont ils ne souhaitent pas même d'être guéris. Dieu les livre à un sens réprouvé; il les abandonne aux désirs de leur cœur, à des passions honteuses, à des actions indignes de l'homme, comme parle l'Écriture, afin qu'après s'être engraissés dans leurs débauches ils soient dans toute l'éternité les victimes du sacrifice de sa colère.

Mais il faut délier le nœud de la difficulté qu'ils proposent. La secte de Zénon n'ayant pu ledélier l'a coupé d'abord en niant que le plaisir fût un bien et que la douleur fût un mal. Mais cette défaite est bien cavalière pour des philosophes, et je ne crois pas qu'elle fasse changer de sentiment ceux qui reconnaissent par expérience qu'une grande douleur est une grande misère. Ainsi Zénon et toute la philosophie païenne ne peut résoudre la difficulté proposée par les épicuriens, et il faut avoir recours à une autre philosophie plus solide et plus éclairée.

Il est vrai que le plaisir est bon et que la douleur est mauvaise; que c'est le plaisir et la douleur que

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