Obrazy na stronie
PDF
ePub

est entièrement formé; car, de même qu'il faut plus d'esprit pour faire une montre d'un morceau de fer que pour la faire aller quand elle est tout achevée, il faudrait plutôt admettre une âme dans un œuf pour en former un poulet que pour faire vivre ce poulet quand il est tout à fait formé. Mais les hommes ne voient pas sensiblement la manière admirable dont un poulet se forme, de même qu'ils voient toujours sensiblement la manière dont il cherche les choses qui sont nécessaires à sa conservation. Ainsi, ils ne sont pas portés à croire qu'il y a des âmes dans les œufs par quelque impression sensible des mouvements nécessaires pour transformer les œufs en poulets; mais ils donnent des âmes aux animaux à cause de l'impression sensible des actions extérieures que ces animaux font pour la conservation de leur vie, quoique la raison que je viens de dire soit plus forte pour donner des âmes aux œufs que pour en donner aux poulets.

Cette seconde raison, qui est que la matière est incapable de sentir et de désirer, est sans doute une raison démonstrative contre ceux qui disent que les animaux sentent, quoique leurs âmes soient corporelles. Mais les hommes confondront et brouilleront éternellement ces raisons plutôt que d'avouer une chose contraire à des preuves seulement vraisemblables, mais très-sensibles et très-touchantes; et on ne les pourra pleinement convaincre qu'en opposant des preuves sensibles à leurs preuves sensibles, et en leur montrant visiblement comment toutes les parties des animaux ne sont que des machines, et qu'ils peuvent se remuer sans âme par la seule impression des objets et par leur constitution particulière, comme M. Descartes a commencé de le faire dans son traité De l'homme. Car toutes les raisons les plus certaines et les plus évidentes de l'entendement pur ne leur persuaderont ja

mais le contraire des preuves obscures qu'ils ont par les sens; et c'est même s'exposer à la risée des esprits superficiels et peu capables d'attention que de prétendre leur prouver, par des raisons un peu relevées, que les animaux ne sentent point.

Il faut donc bien retenir que la forte inclination que nous avons pour les divertissements, les plaisirs, et généralement pour tout ce qui touche nos sens, nous jette dans un très-grand nombre d'erreurs, parce que, la capacité de notre esprit étant bornée, cette inclination nous détourne sans cesse de l'attention aux idées claires et distinctes de l'entendement pur, propres à découvrir la vérité, pour nous appliquer aux idées fausses, obscures et trompeuses de nos sens, lesquelles inclinent plus la volonté par l'espérance du bien et du plaisir qu'elles n'éclairent par leur lumière et leur évidence.

CHAPITRE XII

Des effets que la pensée des biens et des maux futurs est capable de produire dans l'esprit.

S'il arrive souvent que de petits plaisirs et de légères douleurs, que l'on sent actuellement ou même que l'on s'attend de sentir, nous brouillent étrangement l'imagination et nous empêchent de juger des choses selon leurs véritables idées, il ne faut pas s'imaginer que l'attente de l'éternité n'agisse point sur notre esprit; mais il est à propos de considérer ce qu'elle est capable d'y produire.

Il faut d'abord remarquer que l'espérance d'une éternité de plaisirs n'agit pas si fort sur les esprits que la crainte d'une éternité de tourments. La raison en est que les hommes n'aiment pas tant le plaisir qu'ils haïssent la douleur. De plus, par le sentiment intérieur qu'ils ont de leurs désordres, ils savent qu'ils sont dignes de l'enfer, et ils ne voient rien dans eux-mêmes qui mérite des récompenses aussi grandes que celle de participer à la félicité de Dieu même. Ils sentent lorsqu'ils le veulent, et même souvent lorsqu'ils ne veulent pas, que, loin de mériter ces récompenses, ils sont dignes des plus grands châtiments; car leur conscience ne les quitte jamais. Mais ils ne sont pas de même incessamment convaincus que Dieu veut faire paraître sa miséricorde sur des pécheurs après avoir fait éclater

sa justice contre son fils. Ainsi, les justes mêmes appréhendent plus vivement l'éternité des tourments qu'ils n'espèrent l'éternité des plaisirs. La vue de la peine agit donc davantage que la vue de la récompense; et voici à peu près ce qu'elle est capable de produire, non pas toute seule, mais comme cause principale.

Elle fait naître dans l'esprit une infinité de scrupules, et les fortifie de telle sorte qu'il est presque impossible de s'en délivrer. Elle étend pour ainsi dire la foi jusques aux préjugés, et fait rendre le culte qui n'est dû qu'à Dieu à des puissances imaginaires. Elle arrête opiniâtrément l'esprit à des superstitions vaines ou dangereuses. Elle fait embrasser avec ardeur et avec zèle des traditions humaines et des pratiques inutiles pour le salut, des dévotions juives et pharisaïques que la crainte servile a inventées. Enfin elle jette quelquefois les hommes dans un aveuglement de désespoir; de sorte que, regardant confusément la mort comme le néant, ils se hâtent brutalement de se perdre, afin de se délivrer des inquiétudes mortelles qui les agitent et qui les effraient. Les femmes, les jeunes gens, les esprits faibles sont les plus sujets aux scrupules et aux superstitions, et les hommes sont les plus capables de désespoir.

Il est facile de reconnaître les raisons de toutes ces choses; car il est visible que l'idée de l'éternité étant la plus grande, la plus terrible et la plus effrayante de toutes celles qui étonnent l'esprit et qui frappent l'imagination, il est nécessaire qu'elle soit accompagnée d'une grande suite d'idées accessoires, lesquelles fassent toutes un effet considérable sur l'esprit, à cause du rapport qu'elles ont à cette grande et terrible idée de l'éternité.

Tout ce qui a quelque rapport à l'infini n'est point pelit; ou, s'il est petit en lui-même, il reçoit, par ce

rapport, une grandeur qui n'a point de bornes, et qui ne se peut comparer avec tout ce qui est fini. Ainsi, tout ce qui a quelque rapport, ou même que l'on s'imagine avoir quelque rapport à cette alternative nécessaire d'une éternité de tourments ou d'une éternité de délices qui nous est proposée, effraye par nécessité tous les esprits qui sont capables de quelque réflexion et de quelque sentiment.

Les femmes, les jeunes gens et les esprits faibles, ayant, comme j'ai déjà dit ailleurs, les fibres du cerveau molles et flexibles, reçoivent des vestiges trèsprofonds de cette alternative; et, lorsqu'ils ont abondance d'esprits et qu'ils sont plus capables de sentiment que de juste réflexion, ils reçoivent, par la vivacité de leur imagination, un irès-grand nombre de faux vestiges et de fausses idées accessoires qui n'ont point de rapport naturel avec l'idée principale. Cependant ce rapport, quoique imaginaire, ne laisse pas d'entretenir et de fortifier ces faux vestiges et ces fausses idées accessoires auxquelles il a donné la naissance.

Lorsque des plaideurs ont une grande affaire qui les occupe tout entiers et qu'ils n'entendent point le procès, ils ont souvent de vaines frayeurs, parce qu'ils craignent que de certaines choses leur nuisent, auxquelles les juges n'ont aucun égard et que les gens du métier n'appréhendent point. L'affaire est de si grande conséquence pour eux que l'ébranlement qu'elle produit dans leur cerveau se répand et se communique à des traces éloignées qui n'y ont point naturellement de rapport. Il en est de même des scrupuleux; ils se font sans raison des sujets de crainte et d'inquiétude. Au lieu d'examiner la volonté de Dieu dans les saintes Écritures, et de s'en rapporter à ceux dont l'imagination n'est point blessée, ils pensent incessamment à une loi imaginaire que des mouvements déréglés de crainte

« PoprzedniaDalej »