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AUGUSTE. - Bonjour, grand orateur. Je suis ravi de vous revoir;

car je n'ai pas oublié toutes les obligations que je vous ai.

CICÉRON. - Vous pouvez vous en souvenir ici-bas, mais vous ne vous en souveniez guère dans le monde.

AUGUSTE. Après votre mort même je trouvai un jour un de mes petits-fils qui lisoit vos ouvrages: il craignit que je ne blamasse cette lecture, et fut embarrassé; mais je le rassurai, en disant de vous : « C'étoit un grand homme, et qui aimoit bien sa patrie. >> Vous voyez que je n'ai pas attendu la fin de ma vie pour bien parler de vous.

CICÉRON. Belle récompense de tout ce que j'ai fait pour vous élever! Quand vous parûtes, jeune et sans autorité, après la mort de Jules, je vous donnai mes conseils, mes amis, món crédit.

AUGUSTE. Vous le faisiez moins pour l'amour de moi que pour contre-balancer l'autorité d'Antoine, dont vous craigniez la tyrannie.

CICÉRON. Il est vrai, je craignis moins un enfant que cet homme puissant et emporté. En cela je me trompai, car vous étiez plus dangereux que lui. Mais enfin vous me devez votre fortune. Que ne disoisje point au sénat, pendant ce siége de Modène où les deux consuls Hirtius et Pansa, victorieux, périrent! Leur victoire ne servit qu'à vous mettre à la tête de l'armée. C'étoit moi qui avois fait déclarer la république contre Antoine par mes harangues, qu'on a nommées Philippiques. Au lieu de combattre pour ceux qui vous avoient mis les armes à la main, vous vous unîtes lâchement avec votre ennemi Antoine et avec Lépide, le dernier des hommes, pour mettre Rome dans les fers. Quand ce monstrueux triumvirat fut formé, vous vous demandâtes des têtes les uns aux autres. Chacun, pour obtenir des crimes de son compagnon, étoit obligé d'en commettre. Antoine fut contraint de sacrifier à votre vengeance L. César, son propre oncle, pour obtenir de vous ma tête: vous m'abandonnâtes indignement à sa fureur.

AUGUSTE. - Il est vrai; je ne pus résister à un homme dont j'avois besoin pour me rendre maître du monde. Cette tentation est violente, et il faut l'excuser.

CICÉRON. - Il ne faut jamais excuser une si noire ingratitude. Sans moi, vous n'auriez jamais paru dans le gouvernement de la république. Oh! que j'ai de regret aux louanges que je vous ai données! Vous êtes devenu un tyran cruel; vous n'étiez qu'un ami trompeur et perfide. AUGUSTE. - Voilà un torrent d'injures. Je crois que vous allez faire contre moi une philippique plus véhémente que celle que vous avez faite contre Antoine.

CICÉRON. Non; j'ai laissé mon éloquence en passant les ondes du Styx. Mais la postérité saura que je vous ai fait tout ce que vous avez été, et que c'est vous qui m'avez fait mourir pour flatter la passion d'Antoine. Mais ce qui me fâche le plus est que votre lâcheté, en vous rendant odieux à tous les siècles, me rendra méprisable aux hommes critiques: ils diront que j'ai été la dupe d'un jeune homme qui s'est servi de moi pour contenter son ambition. Obligez les hommes mal nés, il ne nous en revient que de la douleur et de la honte.

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Les fables et les illusions font plus sur la populace crédule
que la vérité et la vertu.

MERCURE. Je suis bien pressé de m'en retourner vers l'Olympe; et j'en suis fort faché, car je meurs d'envie de savoir par où tu as fini

ta vie.

SERTORIUS. - En deux mots je vous l'apprendrai. Le jeune apprenti et la bonne vieille ne pouvoient me vaincre. Perpenna, le traître, me fit périr; sans lui j'aurois fait voir bien du pays à mes ennemis. MERCURE. Qui appelles-tu le jeune apprenti et la bonne vieille? SERTORIUS. Hé! ne savez-vous pas? c'est Pompée et Métellus. Métellus étoit mou, appesanti, incertain, trop vieux et usé; il perdoit les occasions décisives par sa lenteur. Pompée étoit, au contraire, sans expérience. Avec des barbares ramassés, je me jouois de ces deux capitaines et de leurs légions.

MERCURE. Je ne m'en étonne pas. On dit que tu étois magicien, que tu avois une biche qui venoit dans ton camp te dire tous les desseins de tes ennnemis, et tout ce que tu pouvois entreprendre contre

eux.

SERTORIUS.

Tandis que j'ai eu besoin de ma biche, je n'en ai découvert le secret à personne; mais maintenant, que je ne puis plus m'en servir, j'en dirai tout haut le mystère.

MERCURE. Eh bien! étoit-ce quelque enchantement?

SERTORIUS.

Point du tout. C'étoit une sottise qui m'a plus servi que mon argent, que mes troupes, que les débris du parti de Marius Sylla, que j'avois recueillis dans un coin des montagnes d'Espagne et de Lusitanie. Une illusion faite bien à propos mène loin les peuples crédules.

MERCURE.

SERTORIUS.

Mais cette illusion n'étoit-elle pas bien grossière?
Sans doute; mais les peuples pour qui elle étoit pré-

parée étoient encore plus grossiers.

MERCURE.

de ta biche?

SERTORIUS.

Quoi! ces barbares croyoient tout ce que tu racontois

Tout, et il ne tenoit qu'à moi d'en dire encore davantage; ils l'auroient cru. Avois-je découvert par des coureurs ou des espions la marche des ennemis, c'étoit la biche qui me l'avoit dit à l'oreille. Avois-je été battu, la biche me parloit pour déclarer que les dieux alloient relever mon parti. La biche ordonnoit aux habitants du pays de me donner toutes leurs forces, faute de quoi la peste et la famine devoient les désoler. Ma biche étoit-elle perdue depuis quelques jours, et ensuite retrouvée secrètement, je la faisois tenir bien cachée, et je déclarois par un pressentiment ou sur quelque présage qu'elle alloit revenir; après quoi je la faisois rentrer dans le camp, où elle ne manquoit pas de me rapporter des nouvelles de vous autres dieux. Enfin ma biche faisoit tout, et elle seule réparoit tous mes malheurs.

MERCURE. - Cet animal t'a bien servi. Mais tu nous servois mal; car de telles impostures décrient les immortels et font grand tort à tous nos mystères. Franchement, tu étois impie.

SERTORIUS. - Je ne l'étois pas plus que Numa avec sa nymphe Égérie, que Lycurgue et Solon avec leur commerce secret des dieux, que Socrate avec son esprit familier, enfin que Scipion avec sa façon mystérieuse d'aller au Capitole consulter Jupiter, qui lui inspiroit toutes ses entreprises de guerre contre Carthage. Tous ces gens-là ont été aussi imposteurs que moi.

MERCURE. Mais ils ne l'étoient que pour etapur de bonnes lois, ou pour rendre la patrie victorieuse.

SERTORIUS. Et moi pour me défendre contre le parti du tyran Sylla, qui avoit opprimé Rome, et qui avoit envoyé des citoyens changés en esclaves, pour me faire périr comme le dernier soutien de la liberté.

MERCURE. Quoi donc! la république entière, tu ne la regardes que comme le parti de Sylla? De bonne foi, tu étois demeuré seul contre les Romains. Mais, enfin, tu trompois ces pauvres barbares par des mystères de religion.

SERTORIUS. - Il est vrai; mais comment faire autrement avec les sots? Il faut bien les amuser par des sottises, et aller à son but. Si on ne leur disoit que des vérités solides, ils ne les croiroient pas. Racontez des fables, flattez, amusez, grands et petits courent après vous.

XLVIII. - LE JEUNE POMPÉE ET MÉNAS, AFFRANCHI
DE SON PÈRE.

Caractère d'un homme qui, n'aimant pas la vertu pour elle-même, n'est ni assez bon pour ne vouloir pas profiter d'un crime, ni assez méchant pour vouloir le commettre.

MÉNAS. - Voulez-vous que je fasse un beau coup?

POMPÉE. Quoi donc? Parle. Te voilà tout troublé; tu as l'air d'une sibylle dans son antre, qui écume, qui étouffe, qui est forcenée. MÉNAS. C'est de joie. Oh! l'heureuse occasion! Si c'étoit mon affaire, tout seroit déjà achevé. Le voulez-vous? Un mot oui ou non. POMPÉE. - Quoi! tu ne m'expliques rien, et tu demandes une réponse! Dis donc, si tu veux; parle clairement.

MÉNAS. Vous avez là Octave et Antcine couchés à cette table dans votre vaisseau; ils ne songent qu'à faire bonne chère.

POMPÉE. - Crois-tu que je n'ai pas des yeux pour les voir?

MÉNAS. - Mais vous avez des oreilles pour m'entendre? Le beau coup de filet!

POMPÉE. - Quoi! voudrois-tu que je les trahisse! Moi, manquer à la foi donnée à mes ennemis! Le fils du grand Pompée agir en scélérat! Ah! Ménas, tu me connois mal.

FÉNKLON. 11.

7

MÉNAS. Vous m'entendez encore plus mal; ce n'est pas vous qui devez faire ce coup. Voilà la main qui le prépare. Tenez votre parole en grand homme, et laissez faire Ménas, qui n'a rien promis.

POMPÉE. Mais tu veux que je te laisse faire, moi à qui on s'est confié? Tu veux que je le sache, et que je le souffre? Ah! Ménas, mon pauvre Ménas, pourquoi me l'as-tu dit? Il falloit le faire sans me le dire.

MÉNAS. - Mais vous n'en saurez rien. Je couperai la corde des ancres; nous irons en pleine mer; les deux tyrans de Rome sont dans vos mains. Les månes de votre père seront vengées des deux héritiers de César. Rome sera en liberté. Qu'un vain scrupule ne vous arrête pas; Ménas n'est pas Pompée. Pompée sera fidèle à sa parole, généreux, tout couvert de gloire; Ménas l'affranchi, Ménas fera le crime, et le vertueux Pompée en profitera.

POMPÉE. - Mais Pompée ne peut savoir le crime et le permettre sans y participer. Ah! malheureux! tu as tout perdu en me parlant. Que je regrette ce que tu pouvois faire!

MÉNAS. Si vous le regrettez, pourquoi ne le permettez-vous pas? Et si vous ne le pouvez permettre, pourquoi le regrettez-vous? Si la chose est bonne, il faut la vouloir hardiment et n'en faire point de façon; si elle est mauvaise, pourquoi vouloir qu'elle fût faite et ne vouloir pas qu'on la fasse? Vous êtes contraire à vous-même. Un fantôme de vertu vous rend ombrageux; et vous me faites bien sentir la vérité de ce qu'on dit, qu'il faut une âme forte pour oser faire les grands crimes.

POMPÉE.

Il est vrai, Ménas; je ne suis ni assez bon pour ne vouloir pas profiter d'un crime, ni assez méchant pour oser le commettre moi-même. Je me vois dans un entre-deux qui n'est ni vertu ni vice. Ce n'est pas le vrai honneur, c'est une mauvaise honte qui me retient. Je ne puis autoriser un traître; et je n'aurois point d'horreur de la trahison, si elle étoit faite pour me rendre maître du monde.

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Dangers du pouvoir absolu dans un souverain qui a la tête foible. CALIGULA. Je suis ravi de te voir: tu es une rareté. On a voulu me donner de la jalousie contre toi, en m'assurant que tu m'as surpassé en prodiges; mais, je n'en crois rien.

NÉRON. Belle comparaison! tu étois un fou. Pour moi, je me suis joué des hommes, et je leur ai fait voir des choses qu'ils n'avoient jamais vues. J'ai fait périr ma mère, ma femme, mon gouverneur, mon précepteur; j'ai brûlé ma patrie. Voilà des coups d'un grand courage qui s'élève au-dessus de la foiblesse humaine. Le vulgaire appelle cela cruauté; moi je l'appelle mépris de la nature entière et grandeur d'âme. CALIGULA. Tu fais le fanfaron. As-tu étouffé comme moi ton père mourant? as-tu caressé comme moi ta femme, en lui disant: «Jolie petite tête, que je ferai couper quand il me plaira! >>>

NÉRON. Tout cela n'est que gentillesse: pour moi, je n'avance rien qui ne soit solide. Hé! vraiment, j'avois oublié un des beaux endroits de ma vie; c'est d'avoir fait mourir mon frère Britannicus.

CALIGULA. - C'est quelque chose, je l'avoue. Sans doute, tu l'as fait pour imiter la vertu du grand fondateur de Rome, qui, pour le bien public, n'épargna pas même le sang de son frère. Mais tu n'étois qu'un musicien.

NÉRON. Pour toi, tu avois des prétentions plus hautes; tu voulois être dieu et massacrer tous ceux qui en auroient douté.

CALIGULA. Pourquoi non? pouvoit-on mieux employer la vie des hommes que de la sacrifier à ma divinité? C'étoient autant de victimes immolées sur mes autels.

NÉRON. - Je ne donnois pas dans de telles visions; mais j'étois le plus grand musicien et le comédien le plus parfait de l'empire; j'étois même bon počte.

CALIGULA. - Du moins tu le croyois, mais les autres n'en croyoient rien; on se moquoit de ta voix et de tes vers.

NÉRON. On ne s'en moquoit pas impunément. Lucain se repentit d'avoir voulu me surpasser.

CALIGULA. - Voilà un bel honneur pour un empereur romain que de monter sur le théâtre comme un bouffon, d'être jaloux des poëtes et de s'attirer la dérision publique!

NÉRON. C'est le voyage que je fis dans la Grèce qui m'échauffa la cervelle sur le théâtre et sur toutes les représentations.

CALIGULA. - Tu devois demeurer en Grèce pour y gagner ta vie en comédien, et laisser faire un autre empereur à Rome, qui en soutint mieux la majesté.

NÉRON. - N'avois-je pas ma maison dorée, qui devoit être plus grande que les plus grandes villes? Oui-da, je m'entendois en magnificence.

CALIGULA. - Si on l'eût achevée, cette maison, il auroit fallu que les Romains fussent allés loger hors de Rome. Cette maison étoit proportionnée au colosse qui te représentoit, et non pas à toi, qui n'étois pas plus grand qu'un autre homme.

NÉRON. - C'est que je visois au grand.

CALIGULA. - Non; tu visois au gigantesque et au monstrueux. Mais tous ces beaux desseins furent renversés par Vindex.

NÉRON. Et les tiens par Chéréas, comme tu allois au théâtre. CALIGULA. - A n'en point mentir, nous fîmes tous deux une fin assez malheureuse et dans la fleus de notre jeunesse.

NÉRON. - Il faut dire la vérité; peu de gens étoient intéressés à faire des vœux pour nous et à nous souhaiter une longue vie. On passe mal son temps à se croire toujours entre des poignards.

CALIGULA. - De la manière que tu en parles, tu ferois croire que si tu retournois au monde, tu changerois de vie.

NÉRCN. Point du tout, je ne pourrois gagner sur moi de me modérer. Vois-tu bien, mon pauvre ami (et tu l'as senti aussi bien que moi), c'est une étrange chose que de pouvoir tout. Quand on a la tête

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