force et vivacité. Le sage et savant Poussin auroit peint le Guesclin et Boucicaut simples et couverts de fer, pendant que Mignard auront peint les courtisans du dernier siècle avec des fraises ou des collets montés, ou avec des canons, des plumes, de la broderie et des cheveux frisés. Il faut observer le vrai, et peindre d'après nature. Les fables mêmes qui ressemblent aux contes des fées ont je ne sais quoi qui plaît aux hommes les plus sérieux: on redevient volontiers enfant, pour lire les aventures de Baucis et de Philémon, d'Orphée et d'Eurydice. J'avoue qu'Agamemnon a une arrogance grossière, et Achille un na Renam turel féroce; mais ces caractères ne sont que trop vrais et que trop fréquents. Il faut les peindre pour corriger les mœurs. On prend plai- puff sir à les voir peintes fortement par des traits hardis. Mais pour les hé- O noctes cœnæque deum, quibus ipse, meique, Pertinet, et nescire malum est, agitamus: utrumne Vous chantiez quelquefois, monsieur, ce qu'Apollon vous inspiroit Tum vero in numerum Faunosque ferasque videres look up. a 7 ng MONSEIGNEUR, Le parti en est pris, je me ferai enlever par M. Destouches, dès qu'il voudra bien se charger de moi, et j'irai me livrer aux enchantements de Cambrai. Vous voulez bien m'y promettre de la liberté et de l'amitié. Je profiterai si bien de l'une et de l'autre, que je vous en serai peut-être incommode. Je vous engagerai à parler de toutes les choses que j'ai intérêt d'apprendre; et je ne rougirai point de vous découvrir toute mon ignorance, puisque l'amitié vous intéresse à m'instruire. Pour l'affaire d'Homère, il me semble, monseigneur, qu'elle est presque vidée entre vous et moi. J'ai prétendu seulement que l'absurdité du paganisme, la grossièreté de son siècle et le défaut de philosophie, lui avoient fait faire bien des fautes; vous en convenez, et je conviens aussi avec vous que ces fautes sont celles de son temps, et non pas les siennes. Vous adoptez encore le jugement que saint Augustin porte d'Homère. Il dit de ce poëte qu'il est très-agréablement frivole: le frivole tombe sur les choses, l'agréable tombe en partie su 1. Horat., Serm., lib. II, sat. vI, v. 65-74. 2. Virg., Ecl. VI. v. 27-28. l'expression; et puisque mes censures ne s'étendent jamais qu'aux cho ses, me voilà d'accord avec saint Augustin et avec vous. Mais, monseigneur, comme une douce dispute est l'âme de la conversation, je m'attends bien, quand j'aurai l'honneur de m'entretenir avec vous, à réveiller là-dessus de petites querelles. Je vous dirai, par exemple, qu'Homère a eu tort de donner à un homme aussi vicieux qu'Achille des qualités si brillantes, qu'on l'admire plus qu'on ne le hait. C'est, à mon avis, tendre un piége à la vertu de ses lecteurs, que de les intéresser pour des méchants. Vous me répondrez, j'insisterai; les choses s'éclairciront, et je prévois avec plaisir que je finirai toujours par me rendre. Nous passerons de là aux matières plus importantes. La raison me parlera par votre bouche, et vous connoîtrez à mon intention si je l'aime. Voilà l'enchantement que je me promets, et malheur à qui me viendra désenchanter ! Je suis, monseigneur, avec tous les sentiments que vous me connoissez, etc. JUGEMENT DE FÉNELON SUR UN POËTE DE SON TEMPS J'au lu, monsieur, avec un grand plaisir l'ouvrage de poésie que vous m'avez fait la grâce de m'envoyer. Je ne parlerois pas à un autre aussi librement qu'à vous, et je ne vous dirai mème ma pensée qu'à condition que vous n'en expliquerez à l'auteur que ce qui peut lui faire plaisır sans m'exposer à lui faire la moindre peine. Ses vers sont pleins, ce me semble, d'une poésie noble et hardie; il pense hautement; il peint bien et avec force; il met du sentiment dans ses peintures, chose qu'on ne trouve guère en plusieurs poëtes de notre nation. Mais je vous avoue que, selon mon foible jugement, il pourroit avoir plus de douceur et de clarté. Je voudrois un je ne sais quoi, qui est une facilité à laquelle il est très-difficile d'atteindre. Quand on est hardi et rapide, on court risque d'être moins clair et moins harmonieux. Les beaux vers de Malherbe sont clairs et faciles comme la prose la plus simple, et ils sont nombreux comme s'il n'avoit songé qu'à la seule harmonie. Je sais bien, monsieur, que cet as ☐ semblage de tant de choses qui semblent opposées est presque im- || possible dans une versification aussi gênante que la nôtre. De là vient que Malherbe, qui a fait quelques vers si beaux et si parfaits suivant le langage de son temps, en a fait tant d'autres où l'on le méconnoît. Nous avons vu aussi plusieurs poëtes de notre nation qui, voulant imiter l'essor de Pindare, ont eu quelque chose de dur et de raboteux. Ronsard a beaucoup de cette dureté, avec des traits hardis. Votre ami est infiniment plus doux et plus régulier. Ce qu'il peut y avoir d'inégal en lui n'est en rien comparable aux inégalités de Malherbe; et j'avoue que ma critique, trop rigoureuse, n'a presque rien à lui reprocher, et est forcée de le louer presque partout. Ce qui me rend 1. C'était, a ce que nous croyons, les poésies choisies de J.-B. Rousseau. (ÉD si difficile est que je voudrois qu'un court ouvrage de poésie fût fait comme Horace dit que les ouvrages des Grecs étoient achevés, ore rotundo. Il ne faut prendre, si je me trompe, que la fleur de chaque objet, et ne toucher jamais que ce qu'on peut embellir. Plus notre versification est gênante, moins il faut hasarder ce qui ne coule pas assez facilement. D'ailleurs, la poésie forte et nerveuse de cet auteur m'a fait tant de plaisir, que j'ai une espèce d'ambition pour lui, et que je voudrois des choses qui sont peut-être impossibles en notre langue. Encore une fois, je vous demande le secret, et je vous supplie de m'excuser sur ce que des eaux que je prends, et qui m'embarrassent un peu la tête, m'empêchent d'écrire de ma main. Il n'en est pas de même du cœur; car je ne puis rien ajouter, monsieur, aux sentiments très-vifs d'estime avec lesquels je suis votre, etc. ODE A L'ABBÉ DE LANGERON. DESCRIPTION DU PRIEURÉ DE CARENAC ' Montagnes de qui l'audace Je cueille au-dessus des nues Semblables aux monts de Thrac Dès que la vermeille aurore Mais dans ce rude paisage. 1. Cette ode a été imprimée dans l'édition du Telémaque donnée en 1717 par le chevalier de Ramsai. Fénelon la composa en 1681, pendant le séjour qu'il fit en Périgord, auprès de l'évêque de Sarlat, son oncle, qui venait de lui résigner le prieuré de Carenac, dans le diocèse de Sarlat. (ÉD. 2. Les montagnes du Périgord, où était Fénelon lorsqu'il composa cette ode. (ED.) Et d'une beauté sauvage, Solitude où la rivière De Zéphir la douce haleine, Je vois au bout des campagnes, Avec les fruits de l'automne . Cette solitude est le prieuré de Carenac, situé sur les bords de la Dor dogne. (ED.) |