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Le prodige de la prise de Namur peut-il aussi manquer d'être écrit dans toutes ses admirables circonstances? Déjà longtemps avant que ce grand événement étonnat le monde, nos ennemis, qui le croyaient impossible, avoient dit tout ce qui se pouvoit dire pour le faire admirer encore davantage après qu'il seroit arrivé. Ils avoient eux-mêmes publié partout que Namur étoit une place imprenable; ils souhaitoient que la France fût assez téméraire pour en entreprendre le siége; et quana ils y virent le roi en personne, ils crurent que ce sage prince n'agissoit plus avec la même sagesse. Ils se réjouirent publiquement d'un si mauvais conseil, qui ne pouvoit avoir, selon eux, qu'un malheureux succès pour nous.

C'étoit le raisonnement d'un prince qui passe pour un des plus grands politiques du monde, aussi bien que de tous les autres princes qui commandoient sous lui l'armée ennemie. Et il faut leur rendre justice: quand ils raisonnoient ainsi sur l'impossibilité de prendre Namur, ils raisonnoient selon les règles. Ils avoient pour eux toutes les apparences, la situation naturelle de la place, les nouvelles défenses que l'art y avoit ajoutées, une forte garnison au dedans, une puissante armée au dehors, et encore des secours extraordinaires qu'ils n'avoient point espérés: car il sembloit que les saisons déréglées et les éléments irrités fussent entrés dans la ligue; les eaux des pluies avoient changé les campagnes en marais, et la terre, dans la saison des fleurs, n'étoit couverte que de frimas. Cependant, malgré tant d'obstacles, ce Namur imprenable a été pris sur son rocher inaccessible, et à la vue d'une armée de cent mille hommes.

Peut-on douter après cela que nos ennemis mêmes ne parlent de cette conquête avec tous les sentiments d'admiration qu'elle mérite? Et puisqu'ils ont dit tant de fois qu'il étoit impossible de prendre cette place, il faut bien maintenant qu'ils disent, pour leur propre honneur, qu'elle a été prise par une puissance extraordinaire, qui tient du prodige, et à laquelle ne peuvent résister ni les hommes ni les éléments.

Mais de toutes les merveilles de ce fameux siége, la plus grande est sans doute la constance héroïque et inconcevable avec laquelle le roi en a soutenu et surmonté tous les travaux. Ce n'étoit pas assez pour lui de passer ses jours à cheval, il veilloit encore une grande partie de la nuit; et, après avoir commandé à ses principaux officiers d'aller prendre du repos, lui seul recommençoit tout de nouveau à travailler. Roi, ministre d'État et général d'armée tout ensemble, il n'avoit pas un seul moment sans une affaire de la dernière importance, ouvrant lui-même les lettres, faisant les réponses, donnant tous les ordres, et entrant encore dans tous les détails de l'exécution.

Quelle ample matière à cette agissante vertu qui lui est naturelle, avec laquelle il suffit tellement à tout, que jusqu'à présent l'Etat n'a rien encore souffert par la perte des ministres! Ils disparoissent et quittent les plus grandes places sans laisser après eux le moindre vide: tout se suit, tout se fait comme auparavant, parce que c'est toujours Louis le Grand qui gouverne.

Il revient enfin, après cette heureuse conquête, au milieu de ses peuples; il revient faire cesser les craintes et les alarmes où ils étoient d'avoir appris qu'il entroit chaque jour si avant dans les périls, qu'un jeune prince de son sang avoit été blessé à ses côtés.

A peine fut-il de retour, que les ennemis voulurent profiter de son éloignement; mais ils connurent bientôt que son armée, toute pleine de l'ardeur qu'il lui avoit inspirée, étoit une armée invincible.

Peut-on en avoir une preuve plus illustre et plus éclatante que le combat de Steinkerque? Le temps, le lieu, favorisoient les ennemis, et déjà ils nous avoient enlevé quelques pièces de canon, quand nos soldats, indignés de cette perte, courant sur eux l'épée à la main, renversèrent toutes leurs défenses, entrèrent dans leurs rangs, y portèrent l'épouvante et la mort, prirent tout ce qu'ils avoient de canons, et remportèrent enfin une victoire d'autant plus glorieuse, que les ennemis avoient crú d'abord l'avoir gagnée.

Tous ces merveilleux succès seront marqués dans l'histoire comme les effets naturels de la sage conduite du roi et des héroïques vertus par lesquelles il se fait aimer de ses sujets, d'un amour qui, en combattant pour lui, va toujours jusqu'à la fureur: mais lui-même, par un sentiment de piété et de religion, en a rapporté toute la gloire à Dieu; il a voulu que Dieu seul ait été loué: et il n'a pas même permis que, suivant la coutume, les compagnies soient allées le complimenter sur de si grands événements. Je dois craindre après cela de m'exposer à en dire davantage, et j'ajouterai seulement que plus ce grand prince fuit la louange, plus il fait voir qu'il en est digne.

MÉMOIRE

SUR LES OCCUPATIONS DE L'ACADÉMIE FRANÇOISE.

Pour obéir à ce qui est porté dans la délibération du 23 novembre 1713, je proposerai ici mon avis sur les travaux qui peuvent être les plus convenables à l'Académie par rapport à son institution et à ce que le public attend d'un corps si célèbre. Pour le faire avec quelque ordre, je diviserai ce que j'ai à dire en deux parties: la première regardera l'occupation de l'Académie pendant qu'elle travaille encore au dictionnaire; la deuxième, l'occupation qu'elle peut se donner lorsque le dictionnaire sera entièrement achevé.

PREMIÈRE PARTIE. Occupation de l'Académie pendant qu'elle travaille encore au dictionnaire.

Je suis persuadé qu'il faut continuer le travail du dictionnaire, et qu'on ne peut y donner trop de soin ni trop d'application, jusqu'à ce qu'il ait reçu toute la perfection dont peut être susceptible le dictionnaire d'une langue vivante, c'est-à-dire sujette à de continuels changements.

Mais c'est une occupation vér tablement digne de l'Académie. Les mauvaises plaisanteries des ignorants, et sur le temps qu'on y emploie, et sur les mots que l'on y trouve, n'empêcheront pas que ce ne soit le meilleur et le plus parfait ouvrage qui ait été fait en ce genre-là jusqu'à présent. Je crois que cela ne suffit pas encore, et que, pour rendre ce grand ouvrage aussi utile qu'il le peut être, il faut y joindre un recueil très-ample et très-exact de toutes les remarques que l'on peut faire sur la langue françoise, et commencer dès aujourd'hui à y travailler. Voici les raisons de mon avis.

Le dictionnaire le plus parfait ne contient jamais que la moitié d'une langue: il ne présente que les mots et leur signification: comme un clavecin bien accordé ne fournit que des touches, qui expriment, à la vérité, la juste valeur de chaque son, mais qui n'enseignent ni l'art de les employer, ni les moyens de juger de l'habileté de ceux qui les emploient.

Les François naturels peuvent trouver dans l'usage du monde et dans le commerce des honnêtes gens ce qui leur est nécessaire pour bien parler leur langue; mais les étrangers ne peuvent le trouver que dans des remarques.

C'est ce qu'ils attendent de l'Académie; et c'est peut-être la seule chose qui manque à notre langue pour devenir la langue universelle de toute l'Europe, et pour ainsi dire, de tout le monde. Elle a fourni une infinité d'excellents livres en toutes sortes d'arts et de sciences. Les étrangers de tout pays, de tout âge, de tout sexe, de toute condition, se font aujourd'hui un honneur et un mérite de la savoir. C'est à nous à faire en sorte que ce soit pour eux un plaisir de l'apprendre.

On le peut aisément par le moyen de ces remarques qui seront également solides dans leurs décisions', et agréables par la manière dont elles seront écrites.

Et certainement rien n'est plus propre à redoubler dans les étrangers l'amour qu'ils ont déjà pour notre langue, que la facilité qu'on leur donnera de se la rendre familière, et l'espérance qu'ils auront de trouver en un seul volume la solution de toutes les difficultés qui les arrêtent dans la lecture de nos bons auteurs.

J'en ai souvent fait l'expérience avec des Espagnols, des Italiens, des Anglais, et des Allemands même: ils étoient ravis de voir qu'avec un secours médiocre ils parvenoient d'eux-mêmes à entendre nos poëtes françois plus facilement qu'ils n'entendent ceux mêmes qui ont écrit dans leur propre langue, et qu'ils se croient cependant obligés d'admirer, quoiqu'ils avouent qu'ils n'en ont qu'une intelligence très-imparfaite.

M. Prior, Anglois dont l'esprit et les lumières sont connus de tout le monde, et qui est peut-être, de tous les étrangers, celui qui a le plus étudié notre langue, m'a parlé cent fois de la nécessité du travail que je propose, et de l'impatience avec laquelle il est attendu.

Voici, à ce qu'il me semble, les moyens de l'entreprendre avec succès. Il faudroit convenir que tous les académiciens qui sont à Paris seroient obligés d'apporter par écrit, ou d'envoyer chaque jour d'assemblée une question sur la langue, telle qu'ils jugeroient à propos, sans même se mettre en peine de savoir si elle aura déjà été traitée par le P. Bouhours, par Ménage ou par d'autres.

On en doit seulement excepter celles de Vaugelas qui ont été revues par l'Académie, aux sages décisions de laquelle il se faut tenir. Ceux qui apporteront leurs questions pourront, à leur choix, ou les proposer eux-mêmes, ou les remettre à M. le secrétaire perpétuel, pour être par lui proposées; et elles le seront selon l'ordre dans lequel chacun sera arrivé à l'assemblée.

Les questions des absents seront remises à M. le secrétaire perpétuel, et par lui proposées après toutes les autres et dans l'ordre qu'il jugera à propos.

On emploiera depuis trois heures jusqu'à quatre au travail du dictionnaire, et depuis quatre ju qu'à cinq à examiner les questions : les décisions seront rédigées au bas de chaque question, ou par celui qui l'aura proposée, s'il le désire, ou par M. le secrétaire perpétuel, ou par ceux qu'il voudra prier de le soulager dans ce travail.

La meilleure manière de trouver aisément des questions et d'en rendre l'examen doublement utile, ce sera de les chercher dans nos bons livres, en faisant attention à toutes les façons de parler qui le mériteront, ou par leur élégance, ou par leur irrégularité, ou par la difficulté que les étrangers peuvent avoir à les entendre; et en cela je ne propose que l'exécution du vingt-cinquième article de nos statuts.

Les académiciens qui sont dans les provinces ne seront point exempts de ce travail, et seront obligés d'envoyer tous les mois ou tous les trois mois à M. le secrétaire perpétuel autant de questions qu'il y aura eu de jours d'assemblée. On tirera de ce travail des avantages trèsconsidérables: ce sera pour les étrangers un excellent commentaire sur tous nos bons auteurs, et pour nous-mêmes un moyen sûr de développer le fond de notre langue, qui n'est pas encore parfaite

ment connu.

De ces remarques mises en ordre, on pourra aisément former le plan d'une nouvelle grammaire françoise, et elle sera peut-être la seule bonne qu'on ait vue jusqu'à présent.

Elles seront encore très-utiles pour conserver le mérite du dictionnaire; car il s'établit tous les jours des mots nouveaux dans notre langue: ceux qui y sont établis perdent leur ancienne signification et en acquièrent de nouvelles. Il est impossible de faire une édition du dictionnaire à chaque changement, et cependant ces changements le rendroient défectueux en peu d'années, si l'on ne trouve le moyen d'y suppléer par ces remarques, qui seront , pour ainsi dire, le journal de notre langue, et le dépôt éternel de tous les changements que fera l'usage.

Je ne dois point omettre que ce nouveau genre d'occupation rendra nos assemblées plus vives et plus animées, et par conséquent y attirera un plus grand nombre d'académiciens, à qui la longue et pesante uniformité de notre ancien travail ne laisse pas de paroître ennuyeuse. Le public même prendra part à nos exercices, et travaillera, pour ainsi dire, avec nous; la cour et la ville nous fourniront des questions en

Crileres:

style

grand nombre, indépendamment de celles qui se trouvent dans les livres: donc l'intérêt que chacun prendra à la question qu'il aura proposée produira dans les esprits une émulation qui est capable de porter notre langue à un degré de perfection où elle n'est point encore arrivée. On en peut juger par le progrès que la géométrie et la musique ont fait dans ce royaume depuis trente ans.

Il faudra imprimer régulièrement et au commencement de chaque trimestre le travail de tout ce qui aura été fait dans le trimestre précédent: la révision de l'ouvrage et le soin de l'impression pourront être remis à deux ou trois commissaires, que l'Académie nommera tous les trois mois pour soulager M. le secrétaire perpétuel.

Chacun de ces volumes, dont il faut espérer que la lecture sera trèsagréable et le prix très-modique, se distribuera aisément non-seulement par toute la France, mais par toute l'Europe; et l'on ne sera pas longtemps sans en reconnaître l'utilité.

Et pour éviter l'ennui que trop d'uniformité jette toujours dans les meilleures choses, il sera à propos de varier le style de ces remarques, en les proposant en forme de lettre, de dialogue ou de question, suivant le goût et le génie de ceux qui les proposeront

SECONDE PARTIE. - Occupation de l'Académie après que
le dictionnaire sera achevé.

de tous les bons auteurs qui ont écrit en notre langue, et qu'elle Mon avis est que l'Académie entreprenne d'examiner les ouvrages en donne au public une édition accompagnée de trois sortes de notes:

2 pensers

1o Sur le style et le langage;

2° Sur les pensées et les sentiments;

3 regles vrae sur le fond et sur les règles de l'art de chacun de ces ou

vrages.

Nous avons, dans les remarques de l'Académie sur le Cid et dans ses observations sur quelques odes de Malherbe, un modèle très-parfait de cette sorte de travail; et l'Académie ne manque ni de lumières ni du courage nécessaire pour l'imiter.

Il ne faut pas toutefois espérer que cela se fasse avec la même ardeur que dans les premiers temps, ni que plusieurs commissaires s'assemblent régulièrement, comme ils faisoient alors, pour examiner un même ouvrage, et en faire ensuite leur rapport dans l'assemblée générale; ainsi, il faut que chacun des académiciens, sans en excepter ceux qui sont dans les provinces, choisisse, selon son goût, l'auteur qu'il voudra examiner, et qu'il apporte ou qu'il envoie ses remarques par écrit aux jours d'assemblée.

Le public ne jugera pas indigne de l'Académie un travail qui a fait autrefois celui d'Aristote, de Denys d'Halicarnasse, de Démétrius, d'Hermogène, de Quintilien et de Longin; et peut-être que par là nous mériterons un jour de la postérité la même reconnoissance que nous conservons aujourd'hui pour ces grands hommes qui nous ont

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