des mœurs dans la lettre de l'Écriture sainte; et on l'y trouve nonseulement avec une autorité et une beauté merveilleuse, mais encore avec une abondance inépuisable; en s'y attachant, un prédicateur auroit toujours sans peine un grand nombre de choses nouvelles et grandes à dire. C'est un mal déplorable de voir combien ce trésor est négligé par ceux mêmes qui l'ont tous les jours entre les mains. Si on s'attachoit à cette méthode ancienne de faire des homélies, il y auroit deux sortes de prédicateurs. Les uns, n'ayant ni la vivacité ni le génie poétique, expliqueroient simplement l'Écriture sans en prendre le tour noble et vif: pourvu qu'ils le fissent d'une manière solide et exemplaire, ils ne laisseroient pas d'être d'excellents prédicateurs; ils auroient ce que demande saint Ambroise, une diction pure, simple, claire, pleine de poids et de gravité, sans y affecter l'élégance, ni mépriser la douceur et l'agrément. Les autres, ayant le génie poétique. expliqueroient l'Écriture avec le style et les figures de l'Écriture même, et ils seroient par là des prédicateurs achevés. Les uns instruiroient d'une manière forte et vénérable: les autres ajouteroient à la force de l'instruction la sublimité, l'enthousiasme et la véhémence de l'Écriture: en sorte qu'elle seroit, pour ainsi dire, tout entière et vivante en eux, autant qu'elle peut l'être dans des hommes qui ne sont point miraculeusement inspirés d'en haut. B. Ah! monsieur, j'oubliois un article important: attendez, je vous prie; je ne vous demande plus qu'un mot. A. Faut-il censurer encore quelqu'un? B Oui, les panégyristes. Ne croyez-vous pas que quand on fait l'éloge d'un saint, il faut peindre son caractère, et réduire toutes ses actions et toutes ses vertus à un point? A. Cela sert à montrer l'invention et la subtilité de l'orateur. A. Elle me paroît fausse pour la plupart des sujets. C'est forcer les matières, que de les vouloir toutes réduire à un seul point. Il y a un grand nombre d'actions dans la vie d'un homme qui viennent de divers principes, et qui marquent des qualités très-différentes. C'est une subtilité scolastique, et qui marque un orateur très-éloigné de bien connoître la nature, que de vouloir rapporter tout à une seule cause. Le vrai moyen de faire un portrait bien ressemblant est de peindre un homme tout entier; il faut le mettre devant les yeux des auditeurs, parlant et agissant. En décrivant le cours de sa vie, il fant appuyer principalement sur les endroits où son naturel et sa grâce paroissent davantage; mais il faut un peu laisser remarquer ces choses à l'auditeur. Le meilleur moyen de louer le saint, c'est de raconter ses actions louables. Voilà ce qui donne du corps et de la force à un éloge; voilà ce qui instruit; voilà ce qui touche. Souvent les auditeurs s'en retournent sans savoir la vie du saint, dont ils ont entendu parler une heure: tout au plus ils ont entendu beaucoup de pensées sur un petit nombre de faits détachés et marqués sans suite. Il faudroit, au contraire, peindre le saint au naturel, le montrer tel qu'il a été dans tous les ages, dans toutes les conditions et dans les principales con jonctures où il a passé. Cela n'empêcheroit point qu'on ne remarquat son caractère; on le feroit même bien mieux remarquer par ses actions et par ses paroles, que par des pensées et des desseins d'imagination. B. Vous voudriez donc faire l'histoire de la vie du saint, et non pas son panégyrique? A. Pardonnez-moi, je ne ferois point une narration simple. Je me contenterois de faire un tissu des faits principaux: mais je voudrois que ce fût un récit concis, pressé, vif, plein de mouvements; je voudrois que chaque mot donnât une haute idée des saints, et fût une instruction pour l'auditeur. A cela j'ajouterois toutes les réflexions morales que je croirois les plus convenables. Ne croyez-vous pas qu'un discours fait de cette manière auroit une noble et aimable simplicité? Ne croyez-vous pas que les vies des saints en seroient mieux connues, et les peuples plus édifiés? Ne croyez-vous pas même, selon les règles de l'éloquence que nous avons posées, qu'un tel discours seroit plus éloquent que tous ces panégyriques guindés qu'on voit d'ordinaire? B. Je vois bien maintenant que ces sermons-là ne seroient ni moins instructifs, ni moins touchants, ni moins agréables que les autres. Je suis content, monsieur, en voilà assez; il est juste que vous alliez vous délasser. Pour moi, j'espère que votre peine ne sera pas inutile; car je suis résolu de quitter tous les récueils modernes et tous les pensieri italiens. Je veux étudier fort sérieusement toute la suite et tous les principes de la religion dans ses sources. C. Adieu, monsieur; pour tout remercîment, je vous assure que je vous croirai. A. Bonsoir, messieurs: je vous quitte avec ces paroles de saint Jérôme à Népotien : « Quand vous enseignerez dans l'Eglise, n'excitez point les applaudissements, mais les gémissements du peuple. Que les larmes de vos auditeurs soient vos louanges. Il faut que les discours d'un prêtre soient pleins de l'Écriture sainte. Ne soyez pas un déclamateur, mais un vrai docteur des mystères de Dieu. » 1. Ep. xxxiv, t. IV, part. 2, p. 262. DISCOURS DE RÉCEPTION A L'ACADÉMIE FRANÇOISE (Le mardi 31 mars 1693). J'aurois besoin, messieurs, de succéder à l'éloquence de M. Pellisson aussi bien qu'à sa place, pour vous remercier de l'honneur que vous me faites aujourd'hui, et pour réparer dans cette compagnie la perte d'un homme si estimable. Dès son enfance il apprit d'Homère, en le traduisant presque tout entier, à mettre dans les moindres peintures et de la vie et de la grace; bientôt il fit sur la jurisprudence un ouvrage où l'on ne trouva d'autre défaut que celui de n'être pas conduit jusqu'à sa fin. Par de si beaux essais, il se hâtoit, messieurs, d'arriver à ce qui passa pour son chef-d'œuvre: je veux dire l'Histoire de l'Académie. Il y montra son caractère, qui étoit la facilité, l'invention, l'élégance, l'insinuation, la justesse, le tour ingénieux. Il osoit heureusement, pour parler comme Horace. Ses mains faisoient naître des fleurs de tous côtés; tout ce qu'il touchoit étoit embelli. Des plus viles herbes des champs, il savoit faire des couronnes pour les héros; et la règle si nécessaire aux autres, de ne toucher jamais que ce qu'on peut orner, ne sem bloit pas faite pour lui. Son style noble et léger ressembloit à la démarche des divinités fabuleuses qui couloient dans les airs sans poser le pied sur la terre. Il racontoit (vous le savez mieux que moi, messieurs), avec un tel choix des circonstances, avec une si agréable variété, avec un tour si propre et si nouveau jusque dans les choses les plus communes, avec tant d'art pour transporter le lecteur dans le temps où les choses s'étoient passées, qu'on s'imagine y être, et qu'on s'oublie dans le doux tissu de ses narrations, Tout le monde y a lu avec plaisir la naissance de l'Académie. Chacun, pendant cette lecture, croit être dans la maison de M. Conrart, qui en fut comme le berceau. Chacun se plaît à remarquer la simplicité, l'ordre, la politesse, l'élégance, qui régnoient dans ses premières assemblées, et qui attirèrent les regards d'un puissant ministre; ensuite les jalousies et les ombrages qui troublèrent ces beaux commencements; enfin l'éclat qu'eut cette compagnie par les ouvrages des premiers académiciens. Vous y reconnoissez l'illustre Racan, héritier de l'harmonie de Malherbe; Vaugelas, dont l'oreille fut si délicate pour la pureté de la langue; Corneille, grand et hardi dans ses caractères où est marquée une main de maître; Voiture, toujours accom pagné des grâces les plus légères. On y trouve le mérite et la vertu joints à l'érudition et à la délicatesse, la naissance et les dignités avec le goût exquis des lettres. Mais je m'engage insensiblement au delà de mes bornes: en parlant des morts je m'approche trop des vivants, dont je blesserai la modestie par mes louanges. Pendant cet heureux renouvellement des lettres, M. Pellisson préDISCOURS DE RÉCEPTION A L'ACADÉMIE FRANÇOISE. 293 sente un beau spectacle à la postérité. Armand, cardinal de Richelieu, changeoit alors la face de l'Europe, et recueillant les débris de nos guerres civiles, posoit les vrais fondements d'une puissance supérieure à toutes autres. Pénétrant dans le secret de nos ennemis, et impénétrable pour celui de son maître, il remuoit de son cabinet les plus profonds ressorts dans les cours étrangères pour tenir nos voisins toujours divisés. Constant dans ses maximes, inviolable dans ses promesses, il faisoit sentir ce que peuvent la réputation du gouvernement et la confiance des alliés. Né pour connoître les hommes et pour les employer selon leurs talents, il les attachoit par le cœur à sa personne et à ses desseins pour l'État. Par ces puissants moyens il portoit chaque jour des coups mortels à l'impérieuse maison d'Autriche, qui menaçoit de son joug tous les pays chrétiens. En même temps, il faisoit au dedans du royaume la plus nécessaire de toutes les conquêtes, domptant l'hérésie tant de fois rebelle. Enfin, ce qu'il trouva le plus difficile, il calmoit une cour orageuse, où les grands, inquiets et jaloux, étoient en possession de l'indépendance. Aussi, le temps, qui efface les autres noms, fait croître le sien; et à mesure qu'il s'éloigne de nous, il est mieux dans son point de vue. Mais, parmi ses pénibles veilles, il sut se faire un doux loisir pour se délasser par le charme de l'éloquence et de la poésie. Il reçut dans son sein l'Académie naissante: un magistrat éclairé et amateur des lettres en prit après lui la protection: Louis y a ajouté l'éclat qu'il répand sur tout ce qu'il favorise de ses regards; à l'ombre de son grand nom, on ne cesse point ici de rechercher la pureté et la délicatesse de notre langue. Depuis que des hommes savants et judicieux ont remonté aux véritables règles, on n'abuse plus, comme on le faisoit autrefois, de l'esprit et de la parole; on a pris un genre d'écrire plus simple, plus naturel, plus court, plus nerveux, plus précis. Ou ne s'attache plus aux paroles que pour exprimer toute la force des pensées; et on n'admet que les pensées vraies, solides, concluantes pour le sujet où l'on se renferme. L'érudition, autrefois si fastueuse, ne se montre plus que pour le besoin; l'esprit même se cache, parce que toute la perfection de l'art consiste à imiter si naïvement la simple nature, qu'on le prenne pour elle. Ainsi on ne donne plus le nom d'esprit à une imagination éblouissante; on le réserve pour un génie réglé et correct qui tourne tout en sentiment, qui suit pas à pas la nature toujours simple et gracieuse, qui ramène toutes les pensées aux principes de la raison, et qui ne trouve beau que ce qui est véritable. On a senti même en nos jours que le style fleuri, quelque doux et quelque agréable qu'il soit, ne peut jamais s'élever au-dessus du genre médiocre, et que le vrai genre sublime, dédaignant tous les ornements empruntés, ne se trouve que dans la simplicité. On a enfin compris, messieurs, qu'il faut écrire comme les Raphaël, les Carrache et les Poussin ont peint, non pour chercher de merveilleux caprices et pour faire admirer leur imagination en se jouant du pinceau, mais pour peindre d'après nature. On a reconnu aussi que les beautés du discours ressemblert à celles de l'architecture. Les ouvrages les plus hardis et les plus façonnés du gothique ne sont pas les meilleurs. Il ne faut admettre dans un édifice aucune partie destinée au seul ornement; mais, visant toujours aux belles proportions, on doit tourner en ornement toutes les parties nécessaires à soutenir un édifice. Ainsi on retranche d'un discours tous les ornements affectés qui ne servent ni à démêler ce qui est obscur, ni à peindre vivement ce qu'on veut mettre devant les yeux, ni à prouver une vérité par divers tours sensibles, ni à remuer les passions, qui sont les seuls ressorts capables d'intéresser et de persuader l'auditeur; car la passion est l'âme de la parole. Tel a été, messieurs, depuis environ soixante ans, le progrès des lettres, que M. Pellisson auroit dépeint pour la gloire de notre siècle, s'il eût été libre de continuer son Histoire de l'Académie. Un ministre, attentif à attirer à lui tout ce qui brilloit, l'enleva aux. lettres et le jeta dans les affaires: alors quelle droiture, quelle probité, quelle reconnoissance constante pour son bienfaiteur! Dans un emploi de confiance, il ne songea qu'à faire du bien, qu'à découvrir le mérite et à le mettre en œuvre. Pour montrer toute sa vertu, il ne lui manquoit que d'être malheureux. Il le fut, messieurs : dans sa prison éclatèrent son innocence et son courage; la Bastille devint une douce solitude où il faisoit fleurir les lettres. Heureuse captivité! liens salutaires, qui réduisirent enfin sous le joug de la foi cet esprit trop indépendant! Il chercha pendant ce loisir, dans les sources de la tradition, de quoi combattre la vérité; mais la vérité le vainquit, et se montra à lui avec tous ses charmes. Il sortit de sa prison honoré de l'estime et des bontés du roi: mais, ce qui est bien plus grand, il en sortit étant déjà dans son cœur humble enfant de l'Église. La sincérité et le désintéressement de sa conversion lui en firent retarder la cérémonie, de peur qu'elle ne fût récompensée par une place que ses talents pouvoient lui attirer, et qu'un autre moins vertueux que lui auroit recherchée. Depuis ce moment il ne cessa de parler, d'écrire, d'agir, de répandre les graces du prince, pour ramener ses frères errants. Heureux fruits des plus funestes erreurs! Il faut avoir senti, par sa propre expérience, tout ce qu'il en coûte dans ce passage des ténèbres à la lumière, pour avoir la vivacité, la patience, la tendresse, la délicatesse de charité, qui éclatent dans ses écrits de controverse. Nous l'avons vu, malgré sa défaillance, se trafner encore au pied des autels jusqu'à la veille de sa mort, pour célébrer, disoit-il, sa fête et l'anniversaire de sa conversion. Hélas! nous l'avons vu, séduit par son zèle et par son courage, nous promettre, d'une voix mourante, qu'il achèveroit son grant ouvrage sur l'eucharistie, oui, je l'ai vu les larmes aux yeux, je l'ai entendu; il m'a dit tout ce qu'un catholique nourri depuis tant d'années des paroles de la foi peut dire pour se préparer à recevoir les sacrements avec ferveur. La mort, il est vrai, le surprit, venant sous l'apparence du sommeil: mais elle le trouva dansla préparation des yrais fidèles. |