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BALUE.

Oh! j'y ai assez demeuré. Si vous me fâchez, je ne dirai plus mot. Savez-vous bien que je ne crains guère les mauvaises humeurs d'une ombre de roi? Quoi donc? vous croyez être encore au Plessis-lez-Tours avec ves assassins?

LOUIS. - Non; je sais que je n'y suis pas, et bien vous en vaut. Mais enfin je veux bien vous entendre, pour la rareté du fait. Çà, prouvezmoi par vives raisons que vous avez dû trahir votre maître.

BALUE. - Ce paradoxe vous surprend; mais je m'en vais vous le vérifier à la lettre.

LOUIS. Voyons ce qu'il veut dire.

BALUE. - N'est-il pas vrai qu'un pauvre fils de meunier, qui n'a jamais eu d'autre éducation que celle de la cour d'un grand roi, a dû suivre les maximes qui y passoient pour les plus utiles et pour les meilleures, d'un commun consentement?

LOUIS. Ce que vous dites a queique vraisemblance. BALUE. - Mais répondez oui ou non, sans vous fâcher. LOUIS. Je n'ose nier une chose qui paroît si bien fondée, ni avouer ce qui peut m'embarrasser par ses conséquences.

BALUE. - Je vois bien qu'il faut que je prenne votre silence pour un aveu forcé. La maxime fondamentale de tous vos conseils, que vous aviez répandue dans toute votre cour, étoit de faire tout pour vous seul. Vous ne comptiez pour rien les princes de votre sang; ni la reine, que vous teniez captive et éloignée; ni le Dauphin, que vous éleviez dans l'ignorance et en prison; ni le royaume, que vous désoliez par votre politique dure et cruelle, aux intérêts duquel vous préfériez sans cesse la jalousie pour l'autorité tyrannique: vous ne comptiez même pour rien les favoris et les ministres les plus affidés dont vous vous serviez pour tromper les autres. Vous n'en avez jamais aimé aucun; vous ne vous êtes jamais confié à aucun d'eux que pour le besoin; vous cherchiez à les tromper à leur tour, comme le reste des hommes; vous étiez prêt à les sacrifier sur le moindre ombrage, ou pour la moindre utilité. On n'avoit jamais un seul moment d'assuré avec vous; vous vous jouiez de... la vie des hommes. Vous n'aimiez personne: qui vouliez-vous qui vous aimât? Vous vouliez tromper tout le monde: qui vouliez-vous qui se livrât à vous de bonne foi et de bonne amitié, et sans intérêt ? Cette fidélité désintéressée, où l'aurions-nous apprise? La méritiez-vous? l'espériez-vous? la pouvoit-on pratiquer auprès de vous et dans votre cour? Auroit-on pu durer huit jours chez vous avec un cœur droit et sincère? N'étoit-on pas forcé d'être un fripon des qu'on vous approchoit? N'étoit-on pas déclaré scélérat dès qu'on parvenoit à votre faveur, puisqu'on n'y parvenoit jamais que par la scélératesse? Ne deviez-vous pas le tenir pour dit? Si on avoit voulu conserver quelque honneur et quelque conscience, on se seroit bien gardé d'être jamais connu de vous: on seroit allé au bout du monde, plutôt que de vivre à votre service. Dès qu'on est fripon, on l'est pour tout le monde. Voudriez-vous qu'une âme que vous avez gangrenée, et à qui vous n'avez inspiré que scélératesse pour tout le genre humain, n'ait jamais que vertu pure et sans tache, que fidélité désintéressée et héroïque pour

vous seul? Etiez-vous assez dupe pour le penser? Ne comptiez-vous pas que tous les hommes seroient pour vous comme vous pour eux? Quand même on auroit été bon et sincère pour tous les hommes, on auroit été forcé de devenir faux et méchant à votre égard. En vous trahissant, je n'ai donc fait que suivre vos leçons, que marcher sur vos traces, que vous rendre ce que vous nous donniez tous les jours, que faire ce que vous attendiez de moi, que prendre pour principe de ma conduite le principe que vous regardiez comme le seul qui doit animer tous les hommes. Vous auriez méprisé un homme qui auroit connu d'autre intérêt que le sien propre. Je n'ai pas voulu mériter votre mépris; et et j'ai mieux aimé vous tromper, que d'être un sot selon vos principes. LOUIS. J'avoue que votre raisonnement me presse et m'incommode. Mais pourquoi vous entendre avec mon frère le duc de Guyenne et avec le duc de Bourgogne, mon plus cruel ennemi?

BALUE.

C'est parce qu'ils étoient vos plus dangereux ennemis que je me liai avec eux, pour avoir une ressource contre vous, si votre jalousie ombrageuse vous portoit à me perdre. Je savois que vous compteriez sur mes trahisons et que vous pourriez les croire sans fondement; j'aimois mieux vous trahir pour me sauver de vos mains que périr dans vos mains, sur des soupçons, sans vous avoir trahi. Enfin j'étois bien aise, selon vos maximes, de me faire valoir dans les deux partis, et de tirer de vous, dans l'embarras des affaires, la récompense de mes services, que vous ne m'auriez jamais accordée de bonne grâce dans un temps de paix. Voilà ce que doit attendre de ses ministres un prince ingrat, défiant, trompeur, qui n'aime que soi.

LOUIS. Mais voici tout de même ce que doit attendre un traître qui vend son roi: on ne le fait pas mourir quand il est cardinal; mais on le tient onze ans en prison, on le dépouille de ses grands trésors.

BALUE. J'avoue mon unique faute: elle fut de ne vous tromper pas avec assez de précaution et de laisser intercepter mes lettres. Remettez-moi dans l'occasion; je vous tromperai encore selon vos mérites; mais je vous tromperois plus subtilement, de peur d'être dé

couvert.

LIX. LOUIS XI ET PHILIPPE DE COMMINES.

Les foiblesses et les crimes des rois ne sauroient être cachés.

LOUIS. On dit que vous avez écrit mon histoire. COMMINES. Il est vrai, sire; et j'ai parlé en bon domestique. LOUIS. - Mais on assure que vous avez raconté bien des choses dont je me passerois volontiers.

COMMINES. Cela peut être; mais en gros j'ai fait de vous un portrait fort avantageux. Voudriez-vous que j'eusse été un flatteur perpétuel, au lieu d'être un historien?

LOUIS. Vous deviez parler de moi comme un sujet comblé des grâces de son maître.

COMMINES. - C'eût été le moyen de n'être cru de personne. La reconnoissance n'est pas ce qu'on cherche dans un historien; au contraire, c'est ce qui le rend suspect

LOUIS. Pourquoi faut-il qu'il y ait des gens qui aient la démangeaison d'écrire? Il faut laisser les morts en paix et ne flétrir point leur mémoire.

COMMINES. - La vôtre étoit étrangement noircie; j'ai tâché d'adoucir les impressions déjà faites; j'ai relevé toutes vos bonnes qualités; je vous ai déchargé de toutes les choses odieuses qu'on vous imputoit sans preuves décisives. Que pouvois-je faire de mieux?

LOUIS. - Ou vous taire, ou me défendre en tout. On dit que vous avez représenté toutes mes grimaces, toutes mes contorsions lorsque je parlois tout seul, toutes mes intrigues avec de petites gens. On dit que vous avez parlé du crédit de mon prévôt, de mon médecin, de mon barbier et de mon tailleur; vous avez étalé mes vieux habits. On dit que vous n'avez pas oublié mes petites dévotions, surtout à la fin de mes jours; mon empressement à ramasser des reliques; à me faire frotter, depuis la tête jusqu'aux pieds, de l'huile de la sainte ampoule; et à faire des pèlerinages où je prétendois toujours avoir été guéri. Vous avez fait mention de ma barrette chargée de petits saints et de ma petite Notre-Dame de plomb, que je baisois dès que je voulois faire un mauvais coup; enfin de la croix de Saint-Lô, par laquelle je n'osois jurer sans vouloir garder mon serment, parce que j'aurois cru mourir dans l'année si j'y avois manqué. Tout cela est fort ridicule. COMMINES. Tout cela n'est-il pas vrai? pouvois-je le taire? LOUIS. Vous pouviez n'en rien dire.

COMMINES. - Vous pouviez n'en rien faire.

LOUIS. - Mais cela étoit fait, et il ne falloit pas le dire. COMMINES. Mais cela étoit fait, et je ne pouvois le cacher à la postérité.

LOUIS. Quoi! ne peut-on pas cacher certaines choses?

COMMINES. - Hé! croyez-vous qu'un roi puisse être caché après sa mort comme vous cachiez certaines intrigues pendant votre vie? Je n'aurois rien sauvé pour vous par mon silence, et je me serois déshonoré. Contentez-vous que je pouvois dire bien pis et être cru; mais je ne l'ai pas voulu faire.

LOUIS. Quoi! l'histoire ne doit-elle pas respecter les rois? COMMINES. Les rois ne doivent-ils pas respecter l'histoire et la postérité, à la censure de laquelle ils ne peuvent échapper? Ceux qui veulent qu'on ne parle pas mal d'eux n'ont qu'une seule ressource, qui est de bien faire.

:

LX. LOUIS XI ET CHARLES, DUC DE BOURGOGNE. Les méchants, à force de tromper et de se défier des autres, sont trompés eux-mêmes.

LOUIS. arrivés.

Je suis fâché, mon cousin, des malheurs qui vous sont

CHARLES. - C'est vous qui en êtes cause; vous m'avez trompé. LOUIS. - C'est votre orgueil et votre emportement qui vous trompoient. Avez-vous oublié que je vous avertis qu'un homme m'avoit offert de vous faire périr?

CHARLES. Je ne pus le croire; je m'imaginai que si la chose eût été vraie, vous n'auriez pas eu assez de probité pour m'en avertir, et que vous l'aviez inventée pour me faire peur, en me rendant suspects tous ceux dont je me servois; cette fourberie étoit assez de votre caractère, et je n'avois pas grand tort de vous l'attribuer. Qui n'eût pas été trompé comme moi dans une occasion où vous étiez bon et sincère? LOUIS. - Je conviens qu'il n'étoit pas à propos de se fier souvent à ma sincérité; mais encore valoit-il mieux se fier à moi qu'au traître Campobache, qui te vendit si cruellement.

CHARLES. - Voulez-vous que je parle ici franchement, puisqu'il ne s'agit plus de politique chez Pluton? Nous étions tous deux dans d'étranges maximes; nous ne connoissions, ni vous ni moi, aucune vertu. En cet état, à force de se défier, on persécute souvent les gens de bien; puis on se livre par une espèce de nécessité au premier venu; et ce premier venu est d'ordinaire un scélérat qui s'insinue par la flatterie. Mais, dans le fond, mon naturel étoit meilleur que le vôtre; j'étois prompt et d'une humeur un peu farouche, mais je n'étois ni trompeur ni cruel comme vous. Avez-vous oublié qu'à la conférence de Conflans vous m'avouâtes que j'étois un vrai gentilhomme, et que je vous avois bien tenu la parole que j'avois donnée à l'archevêque de Narbonne?

LOUIS. Bon! c'étoient des paroles flatteuses que je vous dis alors pour vous amuser et pour vous détacher des autres chefs de la ligue du bien public. Je savois bien qu'en vous louant je vous prendrois pour dupe.

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La générosité et la bonne foi sont de plus sûres maximes en politique que la cruauté et la finesse.

LOUIS XI. - Voilà, si je ne me trompe, un de mes successeurs. Quoique les ombres n'aient plus ici-bas aucune majesté, il me semble que celle-ci pourroit bien être quelque roi de France; car je vois que ces autres ombres la respectent et lui parlent françois. Qui es-tu? Dis-lemoi, je te prie.

LOUIS XII. Je suis le duc d'Orléans, devenu roi sous le nom de Louis XII.

LOUIS XI. - Comment as-tu gouverné mon royaume?

LOUIS XII. Tout autrement que toi. Tu te faisois craindre; je me suis fait aimer. Tu as commencé par charger les peuples; je les ai soulagés, et j'ai préféré leur repos à la gloire de vaincre mes ennemis.

LOUIS XI. - Tu savois donc bien mal l'art de régner. C'est moi qui ai mis mes successeurs dans une autorité sans bornes; c'est moi qui ai dissipé les ligues des princes et des seigneurs; c'est moi qui ai levé des sommes immenses. J'ai découvert les secrets des autres; j'ai su cacher les miens. La finesse, la hauteur et la sévérité sont les vraies maximes du gouvernement. J'ai grand'peur que tu auras tout gâté et que ta mollesse aura détruit tout mon ouvrage.

LOUIS XII. J'ai montré, par les succès de mes maximes, que les tiennes étoient fausses et pernicieuses. Je me suis fait aimer; j'ai vécu en paix sans manquer de parole, sans répandre de sang, sans ruiner mon peuple. Ta mémoire est odieuse; la mienne est respectée. Pendant ma vie on m'a été fidèle; après ma mort on me pleure, et on craint de ne trouver jamais un aussi bon roi. Quand on se trouve si bien de la générosité et de la bonne foi, on doit bien mépriser la cruauté et la finesse.

LOUIS XI. Voilà une belle philosophie, que tu auras sans doute apprise dans cette longue prison où l'on m'a dit que tu as langui avant que de monter sur le trône,

LOUIS XII. Cette prison a été moins honteuse que la tienne de Péronne. Voilà à quoi sert la finesse et la tromperie: on se fait prendre par son ennemi. La bonne foi n'exposeroit pas à de si grands périls. LOUIS XI. - Mais j'ai su par adresse me tirer des mains du duc de Bourgogne.

LOUIS XII. Oui, à force d'argent, dont tu corrompis ses domestiques, et en le suivant honteusement à la ruine de tes alliés les Liégeois, qu'il te fallut aller voir périr.

LOUIS XI. As-tu étendu le royaume comme je l'ai fait? J'ai réuni à la couronne le duché de Bourgogne, le comté de Provence et la Guyenne même.

LOUIS XII. Je t'entends: tu savois l'art de te défaire d'un frère pour avoir son partage; tu as profité du malheur du duc de Bourgogne, qui courut à sa perte; tu gagnas le conseiller du comte de Provence pour attraper sa succession. Pour moi, je me suis contenté d'avoir la Bretagne par une alliance légitime avec l'héritière de cette maison, que j'aimois et que j'épousai après la mort de ton fils. D'ailleurs j'ai moins songé à avoir de nouveaux sujets qu'à rendre fidèles et heureux ceux que j'avois déjà. J'ai éprouvé même, par les guerres de Naples et de Milan, combien les conquêtes éloignées nuisent à un État.

LOUIS XII.

LOUIS XI. Je vois bien que tu manquois d'ambition et de génie. Je manquois de ce génie faux et trompeur qui t'avoit tant décrié, et de cette ambition qui met l'honneur à compter pour rier la sincérité et la justice.

LOUIS XI. Tu parles trop.

LOUIS XII.

C'est toi qui as souvent trop parlé. As-tu oublié le marchand de Bordeaux établi en Angleterre; et le roi Édouard, que tu convias à venir à Paris? Adieu.

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