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une fraîcheur délicieuse; on voudroit y être. On s'imagine un été brûlant, qui respecte ce bois sacré. Il est planté le long d'une eau claire, et semble se mirer dedans. On voit d'un côté un vert enfoncé; de l'autre une eau pure, où l'on découvre le sombre azur d'un ciel serein. Dans cette eau se présentent divers objets qui amusent la vue, pour la délasser de tout ce qu'elle a vu d'affreux. Sur le devant du tableau, les figures sont toutes tragiques. Mais dans ce fond tout est paisible, doux et riant: ici on voit des jeunes gens qui se baignent et qui se jouent en nageant; là, des pêcheurs dans un bateau : l'un se penche en avant et semble prêt à tomber, c'est qu'il tire un filet; deux autres, penchés en arrière, rament avec effort. D'autres sont sur le bord de l'eau, et jouent à la moure: il paroît dans les visages que l'un pense à un nombre pour surprendre son compagnon, qui paroît être attentif, de peur d'être surpris. D'autres se promènent au delà de cette eau sur un gazon frais et tendre. En les voyant dans un si beau lieu, peu s'en faut qu'on n'envie leur bonheur. On voit assez loin une femme qui va sur un âne à la ville voisine, et qui est suivie de deux hommes. Aussitôt on s'imagine voir ces bonnes gens qui, dans leur simplicité rustique, vont porter aux villes l'abondance des champs qu'ils ont cultivés. Dans le même coin gauche paroft au-dessus du bocage une montagne assez escarpée, sur laquelle est un château.

LÉONARD. - Le côté gauche de votre tableau me donne de la curiosité de voir le côté droit.

POUSSIN. - C'est un petit coteau qui vient en pente sensible jusqu'au bord de la rivière. Sur cette pente on voit en confusion des arbrisseaux et des buissons sur un terrain inculte. Au-devant de ce coteau sont plantés de grands arbres, entre lesquels on aperçoit la campagne, l'eau et le ciel.

LÉONARD. Mais ce ciel, comment l'avez-vous fait?

POUSSIN. Il est d'un bel azur, mêlé de nuages clairs qui semblent être d'or et d'argent.

LEONARD. - Vous l'avez fait ainsi, sans doute pour avoir la liberté de disposer à votre gré de la lumière, et pour la répandre sur chaque objet selon vos desseins.

POUSSIN. - Je l'avoue; mais vous devez avouer aussi qu'il paroît par là que je n'ignore point vos règles que vous vantez tant.

LÉONARD. - Qu'y a-t-il dans le milieu de ce tableau au delà de cette rivière?

POUSSIN. - Une ville dont j'ai déjà parlé. Elle est dans un enfoncement, où elle se perd; un coteau plein de verdure en dérobe une partie. On voit de vieilles tours, des créneaux, de grands édifices, et une confusion de maisons dans une ombre très-forte; ce qui rélève certains endroits éclairés par une certaine lumière douce et vive qui vient d'en haut. Au-dessus de cette ville paroît ce que l'on voit presque toujours au-dessus des villes dans un beau temps: c'est une fumée qui s'élève, et qui fait fuir les montagnes qui font le lointain. Ces montagnes, de figure bizarre, varient l'horizon, en sorte que les yeux sont conLÉONARD. - Ce tableau, sur ce que vous m'en dites, me paroît moins savant que celui de Phocion.

tents

POUSSIN. - Il y a moins de science d'architecture, il est vrai; d'ailleurs on n'y voit aucune connoissance de l'antiquité: mais en revanche la science d'exprimer les passions y est assez grande; de plus, tout ce paysage a des grâces et une tendresse que l'autre n'égale point.

LÉONARD.

bleau?

POUSSIN.

Vous seriez donc, à tout prendre, pour ce dernier ta

Sans hésiter, je le préfère; mais vous, qu'en pensez

vous sur ma relation?

LÉONARD. Je ne connois pas assez le tableau de Phocion pour le comparer. Je vois que vous avez assez étudié les bons modèles du siècle passé, et mes livres; mais vous louez trop vos ouvrages.

POUSSIN. C'est vous qui m'avez contraint d'en parler: mais sachez que ce n'est ni dans vos livres ni dans les tableaux du siècle passé que je me suis instruit; c'est dans les bas-reliefs antiques, où vous avez étudié aussi bien que moi. Si je pouvois un jour retourner parmi les vivants, je peindrois bien la jalousie; car vous m'en donnez ici d'excellents modèles. Pour moi, je ne prétends vous rien ôter de votre science ni de votre gloire; mais je vous céderois avec plus de plaisir, si vous étiez moins entêté de votre rang. Allons trouver Parrhasius: vous lui ferez votre critique, il décidera, s'il vous plaît; car je ne vous cède, à vous autres messieurs les modernes, qu'à condition que vous céderez aux anciens. Après que Parrhasius aura prononcé, je serai prêt à retourner sur la terre pour corriger mon tableau.

LIV. LÉGER ET ÉBROIN.

La vie simple et solitaire n'a point de charmes pour un ambitieux.

EBROIN.

Ma consolation dans mes malheurs est de vous trouver

dans cette solitude.

LEGER. - Et moi je suis fâché de vous y voir; car on y est sans fruit, quand on y est malgré soi.

ÉBROIN. Pourquoi désespérez-vous donc de ma conversion? Peutêtre que vos exemples et vos conseils me rendront meilleur que vous ne pensez. Vous qui êtes si charitable, vous devriez bien dans ce loisir prendre un peu soin de moi.

LÉGER. - On ne m'a mis ici qu'afin que je ne mêle de rien: je suis assez chargé d'avoir à me corriger moi-même.

ÉBROIN. -Quoi! en entrant dans la solitude on renonce à la charité? LÉGER. Point du tout; je prierai Dieu pour vous.

ÉBROIN. - Ho! je le vois bien; c'est que vous m'abandonnez comme un homme indigne de vos instructions. Mais vous en répondrez, et vous ne me faites pas justice. J'avoue que j'ai été fâché de venir ici; mais maintenant je suis assez content d'y être. Voici le plus beau desert qu'on puisse voir. N'admirez-vous pas ces ruisseaux qui tombent des montagnes, ces rochers escarpés et en partie couverts de mousse,

ces vieux arbres qui paroissent aussi anciens que la terre où ils sont plantés? La nature a ici je ne sais quoi de brut et d'affreux qui plast, et qui fait rêver agréablement.

LÉGER. Toutes ces choses sont bien fades à qui a le goût de l'ambition, et qui n'est point désabusé des choses vaines. Il faut avoir le cœur innocent et paisible pour être sensible à ces beautés champêtres.

ÉBROIN. m'a mis ici. LÉGER.

Mais j'étois las du monde et de ses embarras, quand on

Il paroît que vous en étiez fort las, puisque vous en êtes

sorti par force.

ÉBROIN. - Je n'aurois pas eu le courage d'en sortir; mais j'en élois pourtant dégoûté.

LÉGER. - Dégoûté comme un homme qui y retourneroit encore avec joie, et qui ne cherche qu'une porte pour y rentrer. Je connois votre cœur; vous avez beau dissimuler: avouez votre inquiétude; soyez au moins de bonne foi.

ÉBROIN. Mais, saint prélat, si nous rentrions vous et moi dans les affaires, nous y ferions des biens infinis. Nous nous soutiendrions l'un l'autre pour protéger la vertu; nous abattrions de concert tout ce qui s'opposeroit à nous.

LÉGER. - Confiez-vous à vous-même tant qu'il vous plaira, sur vos expériences passées; cherchez des prétextes pour flatter vos passions. pour moi, qui suis ici depuis plus de temps que vous, j'y ai eu le loisir d'apprendre à me défier de moi et du monde. Il m'a trompé une fois, ce monde ingrat: il ne me trompera plus. J'ai tâché de lui faire du bien; il ne m'a jamais rendu que du mal. J'ai voulu aider une reine bien intentionnée, on l'a décréditée, et réduite à se retirer. On m'a rendu ma liberté en croyant me mettre en prison: trop heureux de n'avoir plus d'autre affaire que celle de mourir en paix dans ce désert!

ÉBROIN. Mais vous n'y songez pas; si nous voulons nous réunir, nous pouvons encore être les mattres absolus.

LÉGER. - Les maîtres de quoi? de la mer, des vents et des flots? Non, je ne me rembarque plus après avoir fait naufrage. Allez chercher la fortune; tourmentez-vous, soyez malheureux dès cette vie, hasardez tout, périssez à la fleur de votre âge, damnez-vous pour troubler le monde et pour faire parler de vous; vous le méritez bien, puisque vous ne pouvez demeurer en repos.

ÉBROIN. Mais quoi! est-il bien vrai que vous ne désirez plus la fortune? l'ambition est-elle bien éteinte dans les derniers replis de votre cœur?

LÉGER. Me croiriez-vous si je vous le disois?

ÉBROIN. - En vérité, j'en doute fort. J'aurois bien de la peine; car enfin....

LÉGER. - Je ne vous le dirai donc pas; il est inutile de vous parler non plus qu'aux sourds. Ni les peines infinies de la prospérité, ni les adversités affreuses qui l'ont suivie, n'ont pu vous corriger. Allez, retournez à la cour: gouvernez; faites le malheur du monde, et trouvez-y le vôtre.

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LV. - LE PRINCE DE GALLES ET RICHARD SON FILS.

LE PRINCE.

Caractère d'un prince foible.

Hélas! mon cher fils, je te revois avec douleur: j'espérois pour toi une vie plus longue et un règne plus heureux. Qui estce qui a rendu ta mort si prompte? N'as-tu point fait la même faute que moi, en ruinant ta santé par un excès de travail dans la guerre contre les François?

RICHARD. Non, mon père, ma santé n'a point manqué : d'autres malheurs ont fini ma vie.

LE PRINCE. - Quoi donc quelque traître a-t-il trempé ses mains dans ton sang? Si cela est, l'Angleterre, qui ne m'a pas oublié, vengera ta

mort.

RICHARD. - Hélas! mon père, toute l'Angleterre a été de concert pour me déshonorer, pour me dégrader, pour me faire périr.

LE PRINCE. - O ciel! qui l'auroit pu croire? à qui se fier désormais? Mais qu'as-tu fait, mon fils? N'as-tu point de tort? Dis la vérité à ton père.

RICHARD. - A mon père? ils disent que vous ne l'êtes pas, et que je suis fils d'un chanoinede Bordeaux.

LE PRINCE. - C'est de quoi personne ne peut répondre; mais je ne saurois le croire. Ce n'est pas la conduite de ta mère qui leur donne cette pensée; mais n'est-ce point la tienne qui leur fait tenir ce

discours?

RICHARD.

Ils disent que je prie Dieu comme un chanoine, que je ne sais ni conserver l'autorité sur les peuples, ni exercer la justice, ni ? faire la guerre.

LE PRINCE. O mon enfant! tout cela est-il vrai? Il auroit mieux valu pour toi passer ta vie moine à Westminster, que d'être sur le trône avec tant de mépris.

RICHARD. J'ai eu de bonnes intentions, j'ai donné de bons exemples; j'ai eu même quelquefois assez de vigueur. Par exemple, je fis enlever et exécuter le duc de Glocester mon oncle, qui rallioit tous les mécontents contre moi, et qui m'auroit détrôné si je ne l'eusse prévenu.

LE PRINCE. Ce coup étoit hardi et peut-être nécessaire; car je connoissois bien mon frère, qui étoit dissimulé, artificieux, entreprenant, ennemi de l'autorité légitime, propre à rallier une cabale dangereuse. Mais, mon fils, ne lui avois-tu donné aucune prise sur toi? D'ailleurs, ce coup étoit-il assez mesuré? l'as-tu bien soutenu?

RICHARD. Le duc de Glocester m'accusoit d'être trop uni avec les François, anciens ennemis de notre nation: mon mariage avec la fille de Charles VI, roi de France, servit au duc à éloigner de moi les cœurs des Anglois.

LE PRINCE. - Quoi! mon fils, tu t'es rendu suspect aux tiens par FÉVELON. - II.

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UNIVERS

CALIFORNIA

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une alliance avec les ennemis irréconciliables de l'Angleterre! Et que t'ont-ils donné pour ce mariage? as-tu joint le Poitou et la Touraine à la Guyenne, pour unir tous nos Etats de France jusqu'à la Normandie? RICHAP - Nullement; mais j'ai cru qu'il étoit bon d'avoir hors de l'Angleterre un appui contre les Anglois factieux.

LE PRINCE. - O malheur de l'Etat! ô déshonneur de la maisca royale! tu vas mendier le secours de tes ennemis, qui auront toujours un intérêt capital de rabaisser ta puissance! Tu veux affermir ton règne en prenant des intérêts contraires à la grandeur de ta propre nation! Tu ne te contentes pas d'être aimé de tes sujets comme leur père; tu veux être craint comme un ennemi qui s'entend avec les étrangers pour les opprimer! Hélas! que sont devenus ces beaux jours où je mis en suite le roi de France dans les plaines de Créci, inondées du sang de trente mille François, et où je pris un autre roi de cette nation aux portes de Poitiers? Oh! que les temps sont changés! Non, je ne m'étonne plus qu'on t'ait pris pour le fils d'un chanoine. Mais qui est-ce qui t'a détrôné?

RICHARD. - Le comte d'Erby.

LE PRINCE.

bataille?

Comment? a-t-il assemblé une armée? a-t-il gagné une

RICHARD. Rien de tout cela. Il étoit en France à cause d'une querelle avec le grand maréchal, pour laquelle je l'avois chassé : l'archevêque de Cantorbéry y passa secrètement, pour l'inviter à entrer dans une conspiration. Il passa par la Bretagne, arriva à Londres pendant que je n'y étois pas, trouva le peuple prêt à se soulever. La plupart des mutins prirent les armes; leurs troupes montèrent jusqu'à soixante mille hommes; tout m'abandonna. Le comte vint me trouver dans un château où je me renfermai; il eut l'audace d'y entrer presque seul : je pouvois alors le faire périr.

LE PRINCE. - Pourquoi ne le fis-tu pas, malheureux?

RICHARD. - Les peuples, que je voyois en armes dans toute la campagne, m'auroient massacré.

LE PRINCE. - Hé! ne valoit-il pas mieux mourir en homme de courage?
RICHARD. - Il y eut d'ailleurs un présage qui me découragea.
LE PRINCE. - Qu'étoit-ce?

RICHARD. - Ma chienne, qui n'avoit jamais voulu caresser que moi seul, me quitta d'abord pour aller en ma présence caresser le comte: je vis bien ce que cela signifioit, et je le dis au comte même.

LE PRINCE.

Voilà une belle naïveté! Un chien a donc décidé de ton autorité, de ton honneur, de ta vie, et du sort de toute l'Angleterre! Alors que fis-tu?

RICHARD. - Je priai le comte de me mettre en sûreté contre la fureur de ce peuple.

LE PRINCE. Hélas! il ne te manquoit plus que de demander lâchement la vie à l'usurpateur. Te la donna-t-il au moins?

RICHARD. Oui, d'abord. Il me renferma dans la Tour, où j'aurois vécu encore assez doucement: mais mes amis me firent plus de mal que mes ennemis; ils voulurent se rallier pour me tirer de captivité et

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