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cepte, qui doit être invariable comme elle Par la même raifon l'unité de lieu eft effentielle; car une feule action ne peut fe paffer en plufieurs lieux à la fois. Si les perfonnages que je vois font à Athènes au premier acte, comment peuvent-ils fe trouver en Perfe au fecond? Mr. le Brun a-t-il peint Alexandre à Arbelles & dans les Indes fur la même toile ? » Je ne fe» rais pas étonné dit adroitement Mr. de la Motte, qu'une nation fenfée, mais moins

amie des règles, s'accommodât de voir Corio» lan condamné à Rome au premier acte, reçu chez les Volfques au troifiéme, & affiégeant Rome au quatrième, &c. Premiérement, je ne conçois point qu'un peuple fenfé & éclairé ne fût pas ani des règles, toutes puifées dans le bon-fens, & toutes faites pour fon plaifir. Se-. condement, qui ne fent que voilà trois tragédies, & qu'un pareil projet, fût-il exécuté mê-nie en beaux vers, ne ferait jamais qu'une piéce de Jodelle ou de Hardy verfifiée par un moderne habile?

L'unité de tems eft jointe naturellement aux deux premières. En voici, je crois, une preuve bien fenfible. J'affiste à une tragédie, c'est-à-dire, à la représentation d'une action. Le fujet eft l'accompliffement de cette action unique. On confpire contre Augufte dans Rome; je veux favoir ce qui va arriver d'Augufte & des conjurés. Si le poëte fait durer l'action quinze jours, il doit me rendre compte de ce qui fe fera paffé dans ces quinze jours; car je fuis là pour être informé de ce qui fe paffe, & rien ne

doit arriver d'inutile. Or s'il met devant mes yeux quinze jours d'événemens, voilà au moins quinze actions différentes, quelques petites qu'elles puiffent être. Ce n'eft plus uniquement cet accompliffement de la confpiration, auquel il falait marcher rapidement; c'eft une longue hiftoire qui ne fera plus intéreffante, parce qu'elle ne fera plus vive, parce que tout fe fera écarté du moment de la décision, qui eft le feul que j'attens. Je ne fuis point venu à la comédie pour entendre l'hiftoire d'un héros mais pour voir un feul événement de fa vie. Il y a plus. Le fpectateur n'est que trois heures à la comédie; il ne faut donc pas que l'action dure plus de trois heures. Cinna, Andromaque, Bajazet, Oedipe, foit celui du grand Corneille, foit celui de Mr. de la Motte, foit même le mien, fi j'ofe en parler, ne durent pas davantage. Si quelques autres piéces exigent plus de tems, c'eft une licence, qui n'eft pardonnable qu'en faveur des beautés de l'ouvrage; & plus cette li cence eft grande, plus elle eft faute.

Nous étendons fouvent l'unité de tems juf qu'à vingt-quatre heures, & l'unité de lieu à l'enceinte de tout un palais. Plus de févérité rendrait quelquefois d'affez beaux fujets impraticables, & plus d'indulgence ouvriraient la carrière à de trop grands abus. Car s'il était une fois établi, qu'une action théatrale pût fe paffer en deux jours, bientôt quelque auteur y employerait deux femaines, & un autre deux années ; & fi l'on ne réduifait pas le lieu de la fcène à un efpace limité, nous verrions en peu de tems des

piéces

piéces telles que l'ancien Jules Céfar des Anglais, où Caffius & Brutus font à Rome au premier acte & en Theffalie dans le cinquième.

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Ces loix obfervées, non-feulement fervent à écarter des défauts, mais elles amènent de vraies beautés; de même que les règles de la belle architecture exactement fuivies compofent néceffairement un bâtiment qui plait à la vie. On voit qu'avec l'unité de tems, d'action & de lieu, il est bien difficile qu'une piéce ne foit pas fimple. Auffi voilà le mérite de toutes les piéces de Mr. Raeine, & celui que demandait Ariftote. Mr. de la Motte, en défendant une tragédie de fa compofition, préfère à cette noble fimplicité la multitude des événemens ; il croit fon fentiment autorisé par le peu de cas qu'on fait de Bérénice, par l'eftime où eft encor le Cid. Il est vrai que le Cid eft plus touchant que Bérénice; mais Bérénice n'eft condamnable que parce que c'eft une élégie plutôt qu'une tragédie fimple; & le Cid, dont l'action eft véritablement tragique, ne doit point fon fuccès à la multiplicité des événemens ; mais il plait malgré cette multiplicité, comme il touche malgré l'infante, & non pas à caufe de l'infante.

- Mr. de la Motte croit, qu'on peut fe mettre au-deffus de toutes ces règles, en s'en tenant à l'unité d'intérêt, qu'il dit avoir inventée, & qu'il appelle un paradoxe : mais cette unité d'intérêt ne me paraît autre chofe que celle de l'action. Si plufieurs perfonnages, dit-il, font diverfement intéressés dans le même événement,

Fils font tous dignes que j'entre dans leurs paffions,

il y a alors unité d'action, & non pas unité d'intérêt. Depuis que j'ai pris la liberté de difputer contre Mr. de la Motte fur cette petite queftion, j'ai relu le difcours du grand Corneille fur les trois unités; il vaut mieux confulter ce grand maître que moi. Voici comme il s'exprime: Je tiens donc, & je l'ai déja dit, que l'unité d'action confifte en l'unité d'intrigue & en l'unité de péril. Que le lecteur life cet endroit de Corneille, & il décidera bien vite entre Mr. de la Motte & moi; & quand je ne ferais pas fort de l'autorité de ce grand homme, n'ai-je pas encore une raison plus convaincante ? C'est l'expérience. Qu'on life nos meilleures tragédies Françaises, on trouvera toujours les perfonnages principaux diverfement intéreffés; mais ces intérêts divers fe rapportent tous à celui du perfonnage principal, & alors il y a unité d'action. Si au contraire tous ces intérêts différens ne fe rapportent pas au principal acteur, fi ce ne font pas des lignes qui aboutiffent à un centre commun, l'intérêt eft double, & ce qu'on appelle action au théatre, l'eft auffi. Tenons-nous- en donc, comme le grand Corneille, aux trois unités, dans lefquelles les autres règles, c'est-à-dire, les autres beautés, fe trouvent renfermées.

Mr. de la Motte les appelle des principes de fantaisie, & prétend qu'on peut fort bien s'en paffer dans nos tragédies, parce qu'elles font négligées dans nos opéra. C'eft, ce me fem ble, vouloir réformer un gouvernement régue lier fur l'exemple d'une anarchie.

Théatre. Tom. I.

B

DB

DE L'OPÉRA.

L'Opéra eft un fpectacle auffi bizarre que ma gnifique, où les yeux & les oreilles font plus fatisfaits que l'efprit, où l'afferviffement à la mufique rend néceffaires les fautes les plus ridicules, où il faut chanter des ariettes dans la deftruction d'une ville, & danfer autour d'un tombeau; où l'on voit le palais de Pluton & celui du Soleil, des dieux, des démons, des magiciens, des preftiges, des monftres, des palais formés & détruits en un clin d'œil. On tolère ces extravagances, on les aime même, parce qu'on eft là dans le pays des fées ; & pourvû qu'il y ait du fpectacle, de belles danfes, une belle mufique, quelques fcènes intéreffantes, on eft content. Il ferait auffi ridicule d'exiger dans Alceste l'unité d'action, de lieu & de tems, que de vouloir introduire des danfes &ides démons dans Cinna ou dans Rodogune.

Cependant quoique les opéra foient difpenfés de ces trois règles, les meilleurs font encor ceux où elles font le moins violées : on les retrouve même " fi je ne me trompe, dans plufieurs, tant elles font néceffaires & naturelles, & tant elles fervent à intéreffer, le fpectateur. Comment donc Mr. de la Motte peut- il reprocher à notre nation la légèreté de condamner dans un spectacle les mêmes chofes que nous approuvons dans un autre? Il n'y a perfonne qui ne pût répondre à Mr. de la Motte. J'exige avec raifon beaucoup plus de perfection d'une tragédie, que d'un opéra; parce qu'à une tra

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