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fuccès paffager des représentations d'une tragédie ne dépend point du ftyle, mais des acteurs & des fituations, il arriva que les deux Phèdres femblèrent d'abord avoir une égale deftinée; mais l'impreffion régla bientôt le rang de P'une & de l'autre. Pradon, felon la coutume des mauvais auteurs, eut beau faire une préface infolente, dans laquelle il traitait fes critiques de malhonnêtes gens; fa piéce, tant vantée par fa cabale & par lui, tomba dans le mépris qu'elle mérite, & fans la Phèdre de Mr. Racine, on ignorerait aujourd'hui que Pradon en a compofé

une.

Mais d'où vient enfin cette diftance fi prodigieufe entre ces deux ouvrages? La conduite en eft à peu près la même. Phèdre eft mourante dans l'une & dans l'autre. Thésée eft abfent dans les premiers actes: il paffe pour avoir été aux enfers avec Pyrithous Hippolite fon fils veut quitter Trézène; veut fuir Aricie qu'il aime. Il déclare fa paffion à Aricie, & reçoit avec horreur celle de Phedre: il meurt du même genre de mort, & fon gouverneur fait le récit de fa mort. Il y a plus. Les perfonnages des deux piéces fe trouvant dans les mêmes fituations difent prefque les mêmes chofes; mais c'eft là qu'on diftingue le grand homme, & le mauvais poëte. C'eft lorfque Racine & Pradon penfent de même, qu'ils font le plus différens. En voici un exemple bien fenfible, dans la déclaration d'Hippolite à Aricie. Monfieur Racine fait ainfi parler Hippolite.

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Moi qui contre l'amour fiérement revolté,
Aux fers de ces captifs ai longtems infuké,
Qui des faibles mortels déplorant les naufrages,
Penfais toujours du bord contempler les orages,
Affervi maintenant fous la commune loi,
Par quel trouble me vois-je emporté loin de moi ?
Un moment a vaincu mon audace imprudente;
Cette ame fi fuperbe eft enfin dépendante.
Depuis près de fix mois honteux, defefpéré,
Portant partout le trait dont je fuis déchiré,
Contre vous, contre moi, vainement je m'éprouve ;
Fréfente je vous fuis, abfente je vous trouve.
Dans le fond des forêts votre image me fuit;
La lumière du jour, les ombres de la nuit,
Tout retrace à mes yeux les charmes que j'évite ;
Tout vous livre à l'envi le rebelle Hippolite.
Moi-même pour tout fruit de mes foins fuperflus:
Maintenant je me cherche, & ne me trouve plus.
Mon arc, mes javelots, mon char, tout m'importune.
Je ne me fouviens plus des leçons de Neptune.
Mes feuls gemiffemens font retentir les bois,
Et mes courfiers oififs ont oublié ma voix.

Voici comment Hippolite s'exprime dans Pradon.

Affez & trop longtems, d'une bouche profane
Je méprifai l'amour, & j'adorai Diane;
Solitaire, farouche, on me voyait toujours,
Chaffer dans nos forêts les lions & les ours.

Mais un foin plus preffant m'occupe & m'embarraffe ;
Depuis que je vous vois j'abandonne la chaffe ;
Elle fit autrefois mes plaifirs les plus doux,
Et quand j'y vais, ce n'eft que pour penfer à vous.

Оп

On ne faurait lire cès deux pièces de comparaifon, fans admirer l'une & fans rire de l'autre. C'eft pourtant dans toutes les deux le même. fonds de fentimens & de penfées ; car quand il s'agit de faire parler les paffions, tous les hommes ont prefque les mêmes idées; mais la façon de les exprimer diftingue l'homme d'efprit d'avec celui qui n'en a point, l'homme de génie d'avec celui qui n'a que de l'efprit, & le poëte d'avec celui qui vent l'être.

Pour parvenir à écrire comme Mr. Racine, il faudrait avoir fon génie, & polir autant que lui fes ouvrages. Quelle défiance ne dois-je donc point avoir, moi qui né avec des talens fi faibles, & accablé par des maladies continuelles, n'ai ni le don de bien imaginer, ni la liberté de corriger par un travail affidu les défauts de mes ouvrages? Je fens avec déplaifir toutes les fautes qui font dans la contexture de cette pièce, auffi-bien que dans la diction. J'en aurais corrigé quelques-unes, fi j'avais pu retarder cette édition; mais j'en aurais encor laiffé beaucoup. Dans tous les arts il y a un terme, par-delà lequel on ne peut plus avancer. On eft refferré dans les bornes de fon talent; on voit la perfection au-delà de foi, & on fait des efforts impuiffans pour y atteindre.

Je ne ferai point une critique détaillée de cette piéce les lecteurs la feront affez fans moi. Mais je crois qu'il eft néceffaire, que je parle ici d'une critique générale qu'on a faite fur le choix du fujet de Mariamne. Comme

f.

le

le génie des Français eft de faifir vivement le côté ridicule des chofes les plus férieufes, on difait que le fujet de Mariamne n'était autre chofe qu'un vieux mari amoureux & brutal, à qui sa femme refufe avec aigreur le devoir conjugal; & on ajoûtait, qu'une querelle de ménage ne pouvait jamais faire une tragédie. Je fupplie qu'on faffe avec moi quelques réflexions fur ce préjugé.

Les piéces tragiques font fondées ou fur les intérêts de toute une nation, ou fur les intérêts particuliers de quelques princes. De ce premier genre font l'Iphigénie en Aulide, où la Grèce affemblée demande le fang du fils d'Agamemnon les Horaces, où trois combattans ont entre les mains le fort de Rome: l'Oedipe, où le falut des Thébains dépend de la découverte du meurtrier de Laius. Du fecond genre font Britannicus, Phèdre, Mithridate &c.

Dans ces trois dernières tout l'intérêt est renfermé dans la famille du héros de la pièce: Tout roule fur des paffions que des bourgeois reffentent comme les princes; & l'intrigue de ces ouvrages eft auffi propre à la comédie qu'à la tragédie. Otez les noms, Mithridate n'eft qu'un vieillard amoureux d'une jeune fille : jes deux fils en font amoureux auffi; & il fe fert d'une rufe affez baffe pour découvrir celui des deux qui eft aimé. Phèdre eft une belle mère, qui enhardie par une intrigante, fait des propofitions à fon beau-fils, lequel eft occupé ailleurs. Néron eft un jeune homme impétueux, qui devient amoureux tout d'un coup, qui dans le moment

4.

crainte ou étais de fuccomber à la tentation de la trouver mauvaise. Ce fera au public à ju ger de fon prix.

Ce cenfeur affure, dans fon ouvrage, que ma tragédie languira triftement dans la boutique de Ribou, lorfque fa lettre aura décillé les yeux du public; heureufement il empêche luimême le mal qu'il me veut faire. Si fa fatyre. eft bonne, tous ceux qui la liront, auront quelque curiofité de voir la tragédie qui en eft l'objet; & au lieu que les pièces de théâtre font vendre d'ordinaire leurs critiques, cette critique fera vendre mon ouvrage. Je lui aurai la même obligation qu'Efcobar eut à Pascal. Cette comparaifon me parait affez jufte; car ma poëfie pourait bien être auffi relâchée que la morale d'Escobar; & il y a quelques traits dans la fatyre de ma piéce, qui font peut-être dignes des lettres provinciales, du moins par la malignité.

Je reçois une troifiénie critique; celle-ci eft. fi miférable, que je n'en puis moi-même foutenir la lecture. J'en attends encor deux autres. Voilà bien des ennemis; mais je fouhaite donner bientôt une tragédie qui m'en attire en cor davantage.

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